Claude Demelenne
La gauche française est la plus bête du monde. Et en Belgique ? (carte blanche)
« C’est devenu, en France, un sport national : tirer sur l’ambulance de la gauche. Celle-ci est en panne sèche. Plus une goutte dans le réservoir. Ailleurs en Europe, la gauche gestionnaire reprend des couleurs. Les leçons sont encourageantes pour les socialistes belges », estime Claude Demelenne, essayiste et auteur de plusieurs ouvrages sur la gauche.
La gauche française est en perdition. Le scrutin présidentiel du printemps prochain actera sa marginalisation dans le paysage politique. Le mal qui ronge la gauche, chez nos voisins, se résume en quelques chiffres. Elle se présente à l’électeur hyper fragmentée. Pas moins de sept candidats se disputeront les suffrages du ‘peuple de gauche’ : un mélenchoniste (Jean-Luc Mélenchon lui-même), une socialiste (Anne Hidalgo), un écologiste (Yannick Jadot), une progressiste inclassable (Christiane Taubira), un communiste (Fabien Roussel) et deux trotskystes (Nathalie Arthaud et Philippe Poutou). Sept candidats, sept chapelles. Les petits chefs se détestent et se tirent dans les pattes.
30%, une misère
Depuis de longs mois, toutes les enquêtes d’opinion créditent cette gauche déchirée d’un score historiquement bas : 30%, une misère. Par ailleurs, le candidat de gauche qui se comporte le moins mal – Jean-Luc Mélenchon, leader de la ‘France insoumise’ – est selon les sondages en-dessous de la barre des 10%. Pire encore, Anne Hidalgo, la candidate socialiste disparaît sous les radars, avec un score de 3%. Les écologistes, qui pensaient leur heure arrivée, ne percent pas et doivent se contenter d’un pâle 8%. Certes, toutes ces prévisions doivent être prises avec des pincettes (les sondages se trompent souvent). Et le nombre de candidats de gauche sur la ligne de départ de la présidentielle sera peut-être revu à la baisse, avec un retrait éventuel d’Anne Hidalgo.
Le cauchemar Hidalgo
Parlons-en, d’Anne Hidalgo. La maire de Paris vit un véritable cauchemar. Ses meetings se déroulent dans des salles presque vides. Ses propositions font flop et n’intéressent personne. A la Primaire populaire, Hidalgo – qui a d’abord soutenu l’initiative, avant de se rétracter – a même été devancée par l’économiste et député européen, Pierre Larrouturou, peu connu du grand public. Ses ‘camarades’ du PS la soutiennent mollement… dans le meilleur des cas. « Cela va être le supplice chinois. Si on continue, on va faire – 3% », ironisait ce dimanche un cadre socialiste. Ses supporters affirment que c’est injuste mais, quoi qu’il en soit, la mayonnaise Hidalgo n’a pas pris. Et elle ne prendra pas. Pour éviter une humiliation politique et une faillite financière (en-dessous de 5%, les frais de campagne de la candidate ne seront pas remboursés), il serait préférable qu’elle se retire. On la voit mal, pourtant, appeler à voter pour Christiane Taubira, icône d’une partie de la ‘gauche morale’, gagnante sans gloire de la Primaire populaire, et détestée par beaucoup de socialistes.
Mélenchon, schtroumpf grognon
Les responsabilités de Jean-Luc Mélenchon sont énormes dans la faillite de la gauche française. Le programme socio-économique du candidat ‘insoumis’ ne manque pas d’intérêt. Il contient une batterie de propositions qu’il a élaborées, guidé par une obsession louable : réduire les inégalités, notamment en matière de fiscalité. Mais si le message est de qualité, le messager est médiocre. En vieillissant, Mélenchon a accentué ses nombreux défauts. D’une part, il est de plus en plus sectaire. Une gauche unie n’a jamais fait partie de ses plans, car il risquerait de perdre son statut de Lider Maximo. D’autre part, dans ses apparitions publiques, en meeting et à la télévision, Mélenchon apparaît, encore davantage que lors de ses deux campagnes électoral précédentes, comme un schtroumpf grognon, toujours de méchante humeur. Un remarquable tribun, capable de parler plus d’une heure sans notes ni prompteur, mais grimaçant, insultant ses interlocuteurs, volontiers vulgaire, pratiquant une violence verbale qui projette de lui l’ image d’un homme incapable de maîtriser ses nerfs.
Social-démocratie, le retour
Si Mélenchon avait joué plus collectif et appris à respecter ses interlocuteurs, la gauche française aurait pu espérer une qualification pour le second tour du scrutin présidentiel. On en est loin. Mais finalement, la crise de la gauche française n’est-elle pas comparable à celle que traversent nombre de sociaux-démocrates européens ? Pas vraiment. Ces derniers mois, la social-démocratie a marqué des points dans plusieurs pays. Ce dimanche, les socialistes portugais ont remporté à la majorité absolue les élections législatives. En Allemagne, ils sont redevenus le premier parti et gouvernent avec les libéraux et les écologistes. En Espagne, les socialistes sont également de nouveau la première force politique.
En Belgique, pas de bonnet d’âne
Et en Belgique ? Le bilan est mitigé mais pas désespérant. La Belgique francophone n’a pas fait le deuil de la social-démocratie, qui reste performante malgré quelques trous inquiétants dans le filet de la sécurité sociale. Si la gauche française mérite un grand bonnet d’âne pour ses divisions, ses chamailleries, et ses incohérences, la gauche gestionnaire belge tient globalement la route. Elle est menacée par un double danger. Les nationalistes de la NV.A et du Vlaams Belang, au Nord, qui veulent dynamiter l’Etat belge et – ne nous voilons pas la face, c’est leur objectif principal – tailler des croupières à l’Etat providence, trop généreux à leurs yeux. Au Sud, la gauche gestionnaire est menacée par les ‘radicaux’ du PTB, qui veulent tailler des croupières à la social-démocratie, l’ennemi de longue date qu’il faut éradiquer. En Belgique comme en France, la gauche la plus bête du monde est celle qui cultive son sectarisme et ses certitudes, refusant d’élaborer les indispensables compromis : entre les communautés bien sûr mais aussi entre les classes sociales, qu’une gauche intelligente doit être capable de réconcilier.
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