La fondation Gates, une arnaque ?
Auteur de L’Art de la fausse générosité, Lionel Astruc distingue celles à taille raisonnable qui recherchent le bien commun de quelques-unes qui ont conquis un pouvoir exorbitant. Illustration avec la fondation de Bill et Melinda Gates, qui sait soigner ses intérêts.
Vous affirmez que la fondation Bill et Melinda Gates privilégie les solutions technologiques aux solutions sociales, économiques et politiques. Quelles sont les conséquences de cette stratégie ?
Les solutions technologiques avancées ne sont pas accompagnées d’un argumentaire qui permettrait de changer le modèle à sa source. Elles sont coupées de la réalité parce qu’elles n’intègrent pas une vision plus large de la société. En connaissant le passé de Bill Gates chez Microsoft et en démontant ce modèle, on devine où il veut en venir.
Cette primauté de la technologie est-elle délibérément développée pour servir les intérêts de Microsoft ?
Je ne pense pas que Bill Gates le fasse avec cet objectif. Pour moi, il est de bonne foi : il croit que l’on peut sauver le monde grâce aux innovations technologiques, sans changer de modèle. Pas étonnant puisque c’est celui qui l’a porté tout en haut de la pyramide. Mais la philosophie ultracapitaliste qu’il sous-tend met les multinationales productrices de ces technologies au coeur de son action. J’y vois deux conflits d’intérêts. A grande échelle, l’argent que la fondation Gates verse revient dans le giron des activités de ses entreprises. A plus petite échelle, une entreprise qui a comme actionnaire le trust de la fondation Gates peut bénéficier des actions de celle-ci.
Bill Gates est de bonne foi. Il croit pouvoir sauver le monde grâce aux innovations technologiques.
Quel est le rôle du fonds d’investissements et quelle est son interaction avec la fondation Gates ?
L’argent qui alimente la fondation Bill et Melinda Gates repose uniquement sur les dividendes d’un fonds d’investissements qui lui est adossé, le trust de la fondation. C’est contradictoire. Pourquoi ? Parce que le trust investit dans l’industrie de l’armement, les énergies fossiles, la grande distribution, la malbouffe (McDonald’s, Coca-Cola), les OGM (Monsanto)… Le fait d’investir dans 35 des 200 sociétés qui émettent le plus de CO2 au monde me paraît contraire à l’objectif prétendument d’intérêt général de la fondation Gates. Autre problème, le conflit d’intérêts. Le trust n’hésite pas à investir dans des entreprises qui bénéficient de dons de la fondation, comme Monsanto (NDLR : racheté en 2018 par Bayer).
Précisément, vous affirmez que la fondation Gates provoque l’appauvrissement des paysans obligés désormais d’acheter leurs intrants. Comment ce processus s’est-il mis en place ?
Aujourd’hui, 80 % des semences utilisées en Afrique sont produites par de petits exploitants. Elles peuvent être reproduites par ceux qui les achètent. La stratégie de la fondation Gates, main dans la main avec Monsanto, est de marginaliser ce fonctionnement et d' » apporter aux paysans pauvres la science et les technologies agricoles « , notamment les OGM. Ce bouleversement crée une dépendance des agriculteurs à l’égard des entreprises. L’objectif de l’Alliance pour une révolution verte en Afrique (Agra), filiale africaine de la fondation Gates, est que l’industrie agrochimique soit omniprésente et que les méthodes d’agroécologie soient supplantées par une agriculture plus intensive.
Tant que ces ultrariches ne paient pas leurs impôts, parler de générosité est indécent.
Vous soutenez aussi que la fondation Gates entrave l’accès des populations les plus pauvres aux soins qui leur seraient utiles. Comment ?
Une enquête du magazine scientifique The Lancet a révélé que les choix de la fondation Gates s’orientent plus favorablement vers les traitements de maladies qui impliquent la diffusion de vaccins et qui entraînent le développement de marchés pour les laboratoires pharmaceutiques.
En quoi le cas de l’artemesia (voir Le Vif/L’Express du 27 octobre 2017) pour lutter contre le paludisme est-il emblématique de ce fonctionnement ?
Des études très solides ont montré qu’elle est efficace contre le paludisme. Bill Gates ne s’est pas contenté de balayer d’un revers de la main la solution de la tisane qui en est issue. Il a contribué, de par son influence au sein de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) à l’interdiction de son utilisation. L’OMS n’a octroyé des crédits de recherches qu’au vaccin. Cela rejoint le constat qu’avaient dressé les enquêteurs de la justice américaine lorsqu’ils avaient instruit le procès de Bill Gates à la fin des années 1980. Il ne se contente pas de prendre des parts de marché et de supplanter le concurrent, il essaie ensuite de le faire disparaître. Cette obsession de la compétition, il la met aussi en oeuvre dans la philhantropie.
Le mode de fonctionnement de la fondation Gates est-il partagé par d’autres fondations privées ?
Il faut faire la distinction entre la fondation Gates et les innombrables fondations qui, à travers le monde, font un vrai travail d’intérêt général, mettent en oeuvre une vraie générosité d’une manière ingénieuse et désintéressée. Mais au-delà d’un certain montant et d’un certain pouvoir, le fonctionnement de certaines fondations pose problème. Le philanthrocapitalisme applique les techniques des affaires dans la philanthropie et utilise celle-ci pour stimuler les affaires. En ce sens, la fondation Gates est emblématique des projets de quelques milliardaires.
Un des objectifs du philanthrocapitalisme est-il de soustraire une société à une fiscalité trop punitive en se donnant une image de bienfaitrice ?
Le comportement de la fondation Gates, c’est comme si vous alliez au restaurant, que vous partiez sans payer et que vous donniez un gros pourboire au serveur. Vous passez pour un généreux. Mais c’est illégal et cela ne contribue pas à l’harmonie de la vie en société. Tant que ces ultrariches ne paient pas leurs impôts, parler de générosité est indécent. Dans certains pays, le contournement fiscal opéré par Microsoft est équivalent ou supérieur au montant des dons de la fondation Gates.
L’Art de la fausse générosité, la fondation Bill et Melinda Gates, par Lionel Astruc, Actes Sud, 128 p.
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