La Belgique dépeinte par The Economist: « C’est l’Etat défaillant le plus prospère au monde »
The Economist décrit une Belgique surréaliste, un « pays qui offre une leçon de stabilité par le chaos. » Le regard est détonant. Extraits.
« L’histoire de Jürgen Conings, un tireur d’élite de l’armée de 46 ans, disparu en mai, a remué la Belgique. Une chasse à l’homme d’un mois mettant en scène des forces spéciales de cinq pays, des drones et des chiens renifleurs n’a rien donné. Au lieu de cela, le corps de M. Conings a été retrouvé le 20 juin par un maire local. Il faisait du VTT à proximité et a remarqué une odeur. »
Le très réputé magazine britannique The Economist prend en exemple l’affaire Jürgen Conings pour dépeindre le surréalisme belge.
Vu de l’extérieur, c’est un pays gris. De l’intérieur, c’est le chaos
« Il se passe des choses en Belgique. Vu de l’extérieur, c’est un pays gris, célèbre pour les frites, Magritte, le chocolat et connu comme étant le centre de l’UE – un projet dont toute la philosophie fait de l’histoire européenne un processus ennuyeux plutôt qu’une guerre sanglante. Vu de l’intérieur, c’est le chaos, au point qu’un terroriste anti-confinement armé surnommé « Belgian Rambo » errant dans les bois semble normal. »
L’hebdomadaire ne manque pas d’exemples pour illustrer le détachement belge et ses dérives. « C’est, après tout, un pays où quelqu’un a saboté une centrale nucléaire en 2014, sans faire trop de bruit. Une réputation de relâchement policier et de contrebande d’armes en a fait une plaque tournante idéale pour les terroristes islamistes, qui ont fait des dizaines de morts entre 2015 et 2016 en Belgique et en France. Cela a traumatisé la société française, mais a beaucoup moins marqué la Belgique. »
« Survivre en Belgique demande un certain état d’esprit »
Avant de souligner des anecdotes plus légères. « Parfois, le désordre est simplement amusant – les trains sont retardés à cause d’un incendie dans une usine de gaufres, par exemple. Ou lorsque, les autorités imputent la destruction des plans du système de tunnels de Bruxelles à des souris affamées. Survivre en Belgique demande un certain état d’esprit. Appelez ça le zen belge : une capacité à faire face à un mode de vie parfois dérangeant, parfois merveilleux, mais toujours étrange. »
« Le zen belge commence par le fait d’être à l’aise dans des situations absurdes. C’est une noble tradition belge. Le détachement ironique est une forme d’autodéfense. La Belgique est attaquée depuis qu’elle existe », note le magazine, qui prend l’exemple de Charles Baudelaire, qui a passé les dernières années de sa vie à Bruxelles. L’écrivain n’a pas caché à quel point il détestait aussi bien la ville (« Capitale des singes »), le pays (« petit ragamuffin pleurnichard ») et ses habitants (« extraordinairement écervelés, étonnamment têtus »).
La zénitude belge est également nécessaire pour des raisons domestiques. « Le désordre peut dominer la vie quotidienne. Alors que d’autres pays souffrent d’une attitude « l’ordinateur dit non », la Belgique a des bureaucrates artisans, qui peuvent faire apparaître ou disparaître des obstacles au gré de leurs envies. Il n’y a pas deux interactions avec un officiel belge identiques », note The Economist.
L’hebdo évoque David Helbich, artiste allemand vivant à Bruxelles, et l’auteur de Belgian Solutions, un livre à succès sur les solutions aléatoires qui parsèment le pays. « Le livre imagé emmène les lecteurs à travers les étranges compromis du paysage belge. On peut y voir des bornes au milieu des pistes cyclables, ou Bruxelles comme étant peut-être la seule capitale européenne avec un urinoir sur le côté d’une église. »
« Ce qui est mort ne peut jamais mourir »
La politique de notre pays n’est bien sûr pas épargnée. « Comprendre la politique belge nécessite un regard métaphysique. La Belgique est une expérience de gouvernance quantique, avec l’État à la fois partout et nulle part. Ce pays de 11 millions d’habitants a un nid de parlements : un fédéral, un pour chacune de ses trois régions, ainsi que des pour les communautés française, néerlandaise et germanophone. En Belgique, la responsabilité est partagée entre tellement de couches qu’en fin de compte personne n’est responsable.«
Un étrange succès
Mais The Economist voit, dans ce grand bazar, des avantages uniques au monde « Le pays est remarquablement durable. Il a survécu heureux sans gouvernement fédéral pendant deux ans. En Flandre, les partis séparatistes, comme le Vlaams Belang, recueillent près de la moitié des voix. À certains égards, la séparation a déjà eu lieu. Du berceau à la tombe, les vies des communautés divisées de Belgique se chevauchent à peine, avec des écoles, des médias, des langues et des modes de vie différents. Ses frontières internationales sont presque invisibles, mais ses frontières intérieures sont incontournables, comme l’a souligné Tony Judt, un historien. La séparation serait simple, mais inutile. La Belgique offre une leçon de stabilité par le chaos. Même sa disparition serait sereine. C’est l’État défaillant le plus prospère au monde.«
La Belgitude est possible grâce à cet étrange succès. « Les Belges sont presque aussi riches que les Allemands et mieux lotis que les Britanniques ou les Français. Leurs soins de santé sont excellents. La propriété est bon marché; les salaires sont élevés. Une vie belge est, en moyenne, longue et prospère. Dans de telles circonstances, un soldat lourdement armé errant dans les bois peut être balayé par des blagues d’humour noir. Les autorités belges se sont suffisamment inquiétées pour mettre Conings sur une liste de surveillance, mais il a tout de même pu disparaître avec suffisamment d’armes pour faire un massacre. En fin de compte, ce n’était qu’un chapitre étrange dans un livre plutôt étrange. Tant que la Belgique évite la vraie tragédie, rien ne viendra troubler le zen belge« , conclut The Economist, dans cette description criante de vérité.
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