Karim Pakzad (Iris): « Les talibans ont envie de durer »
Pour Karim Pakzad, chercheur associé à l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris), les dirigeants islamistes sont plus prudents que lors de leur première expérience du pouvoir.
Qui exerce réellement le pouvoir à Kaboul?
Les talibans sont entrés dans Kaboul le 15 août après la fuite du président Ashraf Ghani et l’effondrement de l’armée et des forces de l’ordre. Aujourd’hui, on a des certitudes sur le déroulement de la prise de la capitale afghane. Ce scénario n’était pas prévu par les principaux dirigeants des talibans qui étaient présents à Doha, au Qatar, et qui étaient en train de négocier avec les Américains et des représentants du gouvernement afghan. Pour preuve, quelques heures à peine avant l’entrée dans Kaboul, ils ont publié une déclaration demandant aux combattants sur le terrain de rester dans les faubourgs de la capitale parce que des négociations étaient en cours pour transférer le pouvoir d’une manière coordonnée aux talibans. La conquête précipitée de la capitale est donc le résultat de divisions apparues au sein des talibans. Quand j’ai vu que ceux qui entraient dans la ville portaient le bonnet typique de l’est et du sud-est de l’Afghanistan, notamment du Waziristan, j’ai vite compris que c’étaient les hommes du réseau Haqqani (NDLR: clan réputé avoir des liens avec Al-Qaeda) qui étaient à la manoeuvre, davantage que des talibans aguerris du Helmand, du Nimroz ou de Kandahar. Une frange des talibans n’a pas respecté l’ordre de rester dans les faubourgs de Kaboul et a profité du vide laissé par la fuite du président Ghani pour y entrer.
Les talibans ont changé parce que la société afghane a changé. »
Karim Pakzad, chercheur associé à l’Iris, ancien professeur à l’université de Kaboul.
L’influence du réseau Haqqani s’est-elle confirmée par la suite?
On en a eu très rapidement la confirmation. Trois jours après la prise de Kaboul, Anas Haqqani, le neveu du chef historique du réseau Djalâlouddine Haqqani, rencontre en présence de la presse des anciens dirigeants restés à Kaboul, le docteur Abdullah Abdullah (NDLR: alors président du Haut conseil pour la réconciliation nationale) ou Hamid Karzai (NDLR: président de 2014 à 2021). La deuxième confirmation de cette influence est arrivée avec la formation du gouvernement. Tout le monde pensait qu’il serait dirigé par le mollah Abdul Ghani Baradar, celui qui avait mené les négociations de paix avec les Américains et qui était la figure des talibans dans les missions à l’étranger, à Téhéran, à Moscou, à Pékin… Même s’il était un dirigeant historique des talibans, il était réputé assez conciliant. Surprise, Abdul Ghani Baradar a été écarté du poste de chef du gouvernement au profit d’un mollah traditionnel, lisse, sans pouvoir politique, Mohammad Hassan Akhund, et il a été nommé vice-Premier ministre. Enfin, la direction des ministères de l’Intérieur et de la Défense a été confiée respectivement à Sirajuddin Haqqani, leader actuel du réseau Haqqani recherché par Interpol et pour lequel les Américains avaient promis une récompense de dix millions de dollars, et au mollah Mohammad Yaqoub, le fils du mollah Omar, fondateur des talibans. Si on peut le classer dans le clan des talibans historiques, il est connu pour ses opinions beaucoup plus guerrières que le reste des talibans.
A-t-on assisté à une répression de l’opposition afghane?
On ne peut pas répondre par oui ou par non à cette question. La situation est compliquée. Les talibans d’aujourd’hui sont quand même différents de ceux d’il y a vingt-cinq ans. En 1996, dès leur prise de pouvoir, on a vu le type de régime qu’ils ont mis en place: ils ont perpétré des massacres partout, ils ont interdit aux femmes de sortir. Les talibans ont changé parce que la société afghane a changé. Une grande partie de la jeunesse est éduquée et habituée à la liberté d’opinion. Cette fois-ci, on voit que les talibans ne se contentent pas de prendre le pouvoir et de faire n’importe quoi. Ils ont envie de gouverner et de durer. Ils ont décrété quelques mesures significatives. Notamment, l’amnistie en faveur des forces de l’ordre et des hommes politiques. Pour une grande partie, cela a été respecté. Certes, plusieurs anciens dirigeants sont partis à l’étranger, mais les opposants restés à Kaboul, par exemple Hamid Karzai ou le docteur Abdullah Abdullah, ne sont pas inquiétés. Ils ont plutôt tendance à s’autocensurer parce que la crainte de la répression demeure.
Les talibans seront-ils plus conciliants avec la communauté internationale?
Ils sont confrontés à une situa- tion extrêmement compliquée. Ils essayent d’obtenir le déblocage des avoirs afghans dans les banques américaines et la reconnaissance internationale, notamment en récupérant le siège de l’Afghanistan aux Nations unies. Mais pour l’instant, aucun Etat dans le monde ne les a reconnus. Il faut noter que pour une fois, la communauté internationale a pris les décisions à l’unanimité. Même les voisins de l’Afghanistan, la Russie, la Chine, le Pakistan, qui entretiennent de bonnes relations avec les talibans et qui ont hâte de reconnaître leur régime, ont adhéré aux exigences des Américains et des Européens aux Nations unies. Quelles sont-elles? Un: il faut un gouvernement inclusif à Kaboul, qui représente la totalité de la composition ethnique de l’Afghanistan. Deux: les talibans doivent démontrer qu’ils luttent contre le terrorisme, pas seulement contre l’Etat islamique mais aussi contre d’autres organisations terroristes, d’origine ouzbèke ou chinoise ouïghoure. Trois: le respect des droits humains, notamment les droits des femmes, droit à l’éducation, au travail, etc.
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