Italie: Conte à la croisée des chemins
Abandonné par son petit allié Matteo Renzi, le Premier ministre peut se reposer sur une coalition constituée au forceps ou tenter l’aventure risquée d’un nouveau parti.
Tout premier foyer d’infection européen, l’Italie semblait avoir résisté, tant bien que mal, aux affres et aux aléas de la pandémie du coronavirus. Malgré ses presque 85.000 victimes, la Péninsule, gouvernée à coups de décrets-lois, s’est même retrouvée, en ce mois de janvier, au premier rang de l’Union européenne en matière de vaccinations. Un équilibre très délicat, quasi miraculeux, qui s’est pourtant rompu définitivement.
Le 13 janvier, l’ancien Premier ministre Matteo Renzi, leader de Italia Viva (petit parti de centre-gauche, avec 2,4% des intentions de vote), a annoncé qu’il retirait ses deux ministres du gouvernement de Giuseppe Conte, ouvrant, ainsi, une crise politique sans précédent et plongeant le pays, déjà meurtri par le fléau épidémique, dans une atmosphère crépusculaire. Une décision « incompréhensible », dictée uniquement « par les intérêts personnels et de parti » de Renzi, selon 73% des Italiens dans un sondage Ipsos. Pourtant, l’ancien président du Conseil avait été le père symbolique de cet exécutif, créé, au mois d’août 2019, grâce à la singulière alliance de forces antagonistes – le Parti démocrate (PD) et le Mouvement 5 étoiles (M5S) – dans le seul but de barrer la route à la droite populiste de Matteo Salvini, de la Ligue. Un exécutif né boiteux, otage de ses divisions internes et des incessantes revendications de Italia Viva, et destiné, selon les mots mêmes de Renzi, à une courte durée de vie.
La partie de poker jouée par Renzi pourrait produire le résultat opposé à celui espéré.
Plan de relance et vision stratégique
Or, de façon tout à fait paradoxale, la crise sanitaire a donné un second souffle au gouvernement Conte. En raison de l’avancée de la pandémie, de la chute vertigineuse du PIB et de l’explosion de l’endettement public, Renzi, l’éternel rottamatore (« démolisseur »), s’est vu contraint de freiner ses appétits réformateurs. Une stratégie attentiste qui a duré jusqu’à l’annonce du plan de relance européen et de l’octroi à Rome de 209 milliards d’euros de prêts et de dons. Une manne qui a fait exploser la « mésentente cordiale » entre Giuseppe Conte et son prédécesseur.
L’accusant de « populisme », d’amateurisme et d’arrogance gestionnaire, mais, surtout, de « n’avoir pas respecté la liturgie politique de la démocratie », Matteo Renzi a défini Conte comme « incapable de formuler une vision stratégique pour le pays ». Des accusations, extrêmement graves, qui ont marqué le début de la fin. Considéré comme un « suicide aux conséquences dramatiques » par la majorité des Italiens, cette rupture a été définie comme un « acte de vrai courage » par Renzi, qui rêve encore d’une nouvelle majorité de centre-gauche définitivement libérée de la présence de son nouveau meilleur ennemi, Conte. Or, ce dernier n’a aucune intention de lâcher prise et bénéficie, pour l’instant, du soutien du PD et du M5S qui, stupéfaits par la volteface de Italia Viva, considèrent Renzi comme « un interlocuteur indigne de confiance ».
Dans un pressant appel au Parlement, les 18 et 19 janvier, Giuseppe Conte a, en effet, déclaré: « Aujourd’hui, on tourne la page. Et je demande aux forces libérales, populaires, socialistes: aidez-nous à repartir, tous ensemble, avec promptitude et courage! » Un nouvel élan qui pourrait se réaliser grâce à la majorité absolue obtenue par l’exécutif après le vote de confiance à la Chambre des députés et grâce à la majorité relative obtenue au Sénat.
La menace électorale de la droite dure
Pour le Premier ministre, il n’y a en effet que deux options. Le premier scénario comporte la création d’un « pacte de fer » avec cette nouvelle majorité parlementaire. Composée d’une troupe hétéroclite de députés et de sénateurs « bâtisseurs de stabilité », « enrôlés » grâce à une frénétique tournée d’appels et de rencontres officieuses, elle permettrait de créer un nouvel équilibre gouvernemental, de mettre en oeuvre le plan de relance national et toutes les réformes structurelles promises à Bruxelles. Mais encore faut-il voir si cette majorité composite sera considérée comme politiquement viable par le chef de l’Etat, Sergio Mattarella. La seconde hypothèse, bien plus risquée, prévoit l’organisation d’élections législatives anticipées, auxquelles Conte serait tenté de participer avec une formation politique fraîchement composée, libérale et européiste.
De l’autre côté de la barricade, les partis de la droite souverainiste affichent une cohésion inédite. Ils rejettent l’idée d’un gouvernement Conte 3 et réclament haut et fort l’organisation d’un scrutin, certains de remporter la mise. Selon un récent sondage de l’institut Corsera, les trois principaux partis de la coalition de droite (Ligue, Fratelli d’Italia et Forza Italia) sont, en effet, crédités de 48,3% des intentions de vote. Dans ce dernier scénario, encore très aléatoire, la partie de poker jouée par Renzi pourrait, ainsi, produire le résultat opposé à celui qu’il avait espéré et livrer la Péninsule aux forces populistes de la droite radicale.
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