Sébastien Boussois
Il faut d’urgence empêcher Vladimir Poutine de jeter de l’huile djihadiste sur le feu ukrainien (carte blanche)
La Russie recrute-t-elle des djihadistes pour combattre en Ukraine? Le risque est réel, selon Sébastien Boussois, docteur en sciences politiques. Qui met en garde: il faut tout faire « pour éviter que Poutine nous amène le Moyen-Orient et la Syrie à 2400 km de Bruxelles ».
La guerre provoquée par Vladimir Poutine s’enlise depuis maintenant plus de deux semaines déjà en Ukraine. Misant de manière optimiste sur une guerre éclair pour s’emparer de Kiev, le Président russe a de toute évidence surestimé la logistique et la motivation de son armée d’une part, mais s’est retrouvé confronté d’autre part à une résistance beaucoup plus forte que prévue de la part de ses ennemis ukrainiens.
Bien que la communauté internationale se soit émue, ait condamné d’emblée l’agression de Vladimir Poutine, mis en place des sanctions inédites contre le Kremlin et les Russes, demandé en vain l’arrêt des combats, l’on sait le rapport de force toujours largement en faveur de Moscou. C’est l’impuissance de l’OTAN, de l’administration américaine, et de l’Union européenne, qui nous a condamné à envoyer pour des milliards de dollars d’équipements militaires et d’armes à l’Ukraine comme lot de consolation face à l’échec de la diplomatie et du multilatéralisme préventif. Véritable aide ou sacrifice ?
Ce choix politique de l’Europe nous fait penser au chiffon rouge agité devant le taureau. On a donné toutes les raisons à Poutine de jouer la surenchère et d’écraser désormais les Ukrainiens. Quoi qu’en disent nos experts et médias, le fossé entre les deux armées, malgré le choix européen d’armer les Ukrainiens, risque bien de s’aggraver dans les semaines à venir pour de multiples raisons. Non seulement, face à l’horreur de la guerre, près de 2 millions et demi d’Ukrainiens ont déjà fui, des femmes et des enfants bien sûr. L’appel du président Volodimyr Zelensky aux Ukrainiens à se battre jusqu’au bout a poussé quelques milliers d’Ukrainiens de la diaspora à revenir au pays combatttre sous le drapeau bleu et jaune. Mais cela ne suffira pas. D’un côté comme de l’autre, cette eau fournie au moulin de la folie des hommes relègue un peu plus la voie de la diplomatie aux calendes grecques. Car qui peut croire, même s’il était sûrement du devoir par culpabilité des Européens d’armer les Ukrainiens, que la solution militaire du moment puisse conduire rapidement à ce que l’Europe défend d’habitude comme credo : l’incontournabilité de la solution politique ?
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Lors d’une intervention récente à la télévision, j’avais exprimé mon inquiétude sur le fait que l’Ukraine pourrait devenir une nouvelle Syrie sur le continent européen. Certes, il faut bien sûr espérer que le conflit ne dégénère pas en guerre civile et n’embrase tout le continent mais si la comparaison peut paraître rapide, il y a des éléments non seulement troublants mais très inquiétants qui peuvent nous alerter d’ores et déjà : la récente communication du Ministre de la Défense russe, Sergueï Choïgou, précisait que près de 16000 combattants venus majoritairement du Moyen-Orient sont prêts à venir combattre sur le sol ukrainien. Voilà pour la version officielle russe. Ces individus pourront être ajoutés aux régiments tchétchènes islamistes menés d’une main de fer par le dirigeant incontrôlable Ramzan Kadyrov. Pour les services américains, parmi ces nouveaux combattants à venir sur le sol ukrainien, la Russie recruterait des combattants djihadistes, aguerris aux conflits urbains et hybrides. C’est là qu’il y a de quoi s’inquiéter si les Ukrainiens ne résistent pas malgré les armes européennes, et que ces armes basculent dans le giron de ces milliers de djihadistes qui seront désormais aux portes de l’Europe. La libanisation du conflit serait enclenchée et aurait des conséquences au coeur même des frontières de l’Europe terrestre.
Il est totalement fou de faire de l’Ukraine un nouvel arsenal militaire en puissance, non sécurisé, comme elle le fut en 1991, à l’effondrement de l’URSS. A la chute du mur, l’utilisation de toutes ces armes est devenue rapidement opaque et des arsenaux entiers se sont évaporés dans la nature. Si de 1991 à 2012, le pays s’est bien débarrassé des armes nucléaires (les plus dangereuses), quid des autres arsenaux ? Pour ressurgir sur des zones de conflit violentes notamment en Afrique des années plus tard. Tout comme du côté des Russes, des Ukrainiens aussi avaient rapidement compris l’intérêt mercantile majeur qu’ils pourraient tirer ce cette manne. Quid si ces djihadistes envoyés par Moscou récupèrent ces armes et deviennent incontrôlables par Moscou, eux qui n’ont cure de géopolitique, et qui n’auront qu’une idée en tête : installer leur projet. Ce qui affectera non seulement notre sécurité pour les années à venir, mais aussi celle de la Russie même. Une Russie qui devient folle si elle vient finalement à importer ces combattants du chaos. C’est la boite de Pandore que l’on va ouvrir au coeur de l’Europe et la balkanisation de l’Union européenne. Les conséquences internationales seront terribles! Il faut non seulement sauver les Ukrainiens, sécuriser les arsenaux militaires qu’on y envoie, mais tout faire en terme de pression sur Moscou pour éviter que Poutine nous amène le Moyen-Orient et la Syrie à 2400 km de Bruxelles.
Sébastien Boussois
Docteur en sciences politiques, chercheur Moyen-Orient relations euro-arabes/ terrorisme et radicalisation, enseignant en relations internationales, collaborateur scientifique du CECID (Université Libre de Bruxelles), de l’OMAN (UQAM Montréal) et de SAVE BELGIUM (Society Against Violent Extremism)
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