Hollande-Macron, ce qu’ils se sont dit dans le secret du bureau présidentiel
Que se sont dit François Hollande et Emmanuel Macron dans le secret du bureau présidentiel, le jour de l’investiture ? C’est ce qu’a imaginé notre éditiorialiste. Une fiction furieusement réaliste.
La porte s’ouvre. François Hollande entre une dernière fois dans son bureau.
François Hollande Eh bien, vas-y! Entre ici, Emmanuel…
Emmanuel Macron reste dans l’embrasure.
Emmanuel Macron » Avec mon cortège d’ombres « , c’est ça ?
F. H. Il y en a quelques-unes dans ton programme, en tout cas.
E. M. Le clair-obscur, c’est mon côté Hollande… Et puis, un programme, ça ne sert à rien.
F. H. Tout de même, ça aide à faire travailler le gouvernement…
E. M. Ça aide à trahir ses promesses, pas plus.
F. H. Avec ou sans programme, entre quand même.
Emmanuel Macron s’avance.
F. H. Julie est désolée, mais elle ne souhaitait pas apparaître comme première dame juste le dernier jour…
E. M. Je comprends. Brigitte ne se formalise pas, tu sais.
F. H. Jean-Pierre (NDLR: Jean-Pierre Jouyet, secrétaire général de l’Elysée et ami d’Emmanuel Macron) était ravi de lui faire visiter les lieux. En plus, ils sont de la même génération…
u0022Tu apprendras ici que ce n’est jamais la faute des autres. Tout te retombe dessus.u0022
E. M. Il est un tout petit peu plus jeune qu’elle…
F. H. Ah ?…
Un silence. Le président Macron parcourt la pièce des yeux.
E. M. Tu te souviens de notre première réunion ici ? En 2012. Le soir de la passation des pouvoirs… On revenait de Berlin. On y croyait. Même toi.
F. H. Surtout moi ! On a fait beaucoup de choses, d’ailleurs. La retraite à 60 ans pour les carrières longues, le mariage pour tous, les mutuelles généralisées, la réforme territoriale, les…
E. M. Pas la peine de me faire le coup du bilan, François. La campagne est finie…
F. H. Si mon bilan était aussi mauvais qu’on le dit, tu n’aurais pas gagné.
E. M. Si ton bilan était aussi bon que tu le penses, tu aurais été candidat… Tout le reste n’est que littérature.
F. H. Tiens, à propos de littérature, j’ai un cadeau pour toi.
E. M. Qu’est-ce que c’est ?
F. H. Ouvre…
E. M.Seuls demeurent…
F. H. Avec une dédicace de Char… à un jeune homme, apparemment.
E. M. » Pour Emmanuel, en espérant qu’il ne connaîtra pas de temps troublés. » Quel beau cadeau… Merci…
F. H. C’est une idée de moi, mais c’est Jouyet qui l’a trouvé… La dédicace pour ce mystérieux » Emmanuel « , c’est un coup de chance. Ou alors Jean-Pierre a fait un faux. Mais je ne veux pas le croire…
Macron le regarde étrangement.
F. H. Non, je blague… Il t’aime beaucoup, tu sais, Jean-Pierre. Il t’a toujours défendu.
E. M. J’adore ce recueil.
F. H. Je sais. J’avais lu dans L’Express que ton mot préféré, c’était » saxifrage « , parce que Char l’emploie dans un poème…
E. M. Oui, écoute : » Fureur et mystère tour à tour le séduisirent et le consumèrent. Puis vint l’année qui acheva son agonie de saxifrage. »
F. H. J’espère que ce n’est pas ce qui t’attend ici…
E. M. Quoi ?
F. H. Une agonie de saxifrage.
E. M. Ne t’en fais pas pour moi. La saxifrage pousse dans les anfractuosités, on dit qu’elle brise les rochers… C’est ce que j’ai fait avec la droite et la gauche, d’ailleurs. Non ?
Un silence.
F. H. Quand est-ce que tu as décidé de me trahir ?
E. M. Je ne t’ai pas trahi, François…
F. H. Ne joue pas sur les mots.
E. M. Je ne t’ai pas trahi. Tu m’as pris pour Brutus, j’étais Octave.
F. H. Ta culture de khâgneux (NDLR: élève de classe préparatoire littéraire aux Ecoles normales supérieures), je te conseille d’en user avec parcimonie, ici.
u0022Je ne t’ai pas trahi, François… Tu m’as pris pour Brutus, j’étais Octave.u0022
E. M. Je suis resté fidèle à ce que tu voulais faire au début. Réformer le pays. Calmement mais en profondeur.
F. H. C’est pour cela que tu as soutenu les hausses d’impôts ?
E. M. Je ne pensais pas qu’il y aurait un tel rejet… Il faut dire qu’Ayrault a été d’un maladroit !
F. H. Une des choses que tu apprendras ici, c’est que ce n’est jamais la faute des autres. Tout te retombe dessus un jour ou l’autre. Mais tu ne m’as pas répondu. Quand est-ce que tu as… disons » pensé à te présenter » ?
E. M. Quand tu as voulu faire voter la déchéance de nationalité. J’ai pris conscience que tu ne comprenais plus la France, que tu ne savais plus quel était ton rôle. Et, surtout, j’ai compris que la gauche était foutue, que le PS était mort.
F. H. Tu aurais pu m’en parler…
E. M. A quoi bon ? Tu n’écoutais que tes conseillers en com. Et tes journalistes préférés.
F. H. Tu es un peu injuste, Emmanuel…
E. M. Pourquoi toutes ces confidences ? Tu as eu peur de ne laisser aucune trace ?
F. H. Ne sous-estime pas la solitude de l’homme qui occupe ce bureau.
Un silence.
E. M. On devrait peut-être parler des dossiers, non ?
F. H. A quoi bon ? Jouyet te dira tout. Tu fais un aller-retour à Berlin cet après-midi, je suppose ?
E. M. Non. Je vais au Liban, d’abord, voir nos soldats. Et les chrétiens d’Orient. C’est Merkel qui viendra me voir demain. Je l’annoncerai tout à l’heure. Joli coup, non ? J’irai à Berlin jeudi. Je resterai deux jours. Je parlerai devant le Bundestag.
F. H. Pas mal. Méfie-toi de Merkel, quand même. Dès que je suis entré dans son bureau, la première fois, dès qu’elle m’a regardé dans les yeux, j’ai compris qu’on ne négocie rien avec elle. On doit obéir, c’est tout.
Et puis fais attention, tes ennemis sont ici, ne t’éloigne pas trop.
E. M. Tu ne crois pas que le principal ennemi d’un président, c’est lui-même ?
F. H. Ta philosophie à deux sous aussi, tu devrais la mettre en veilleuse…
Un silence. Emmanuel Macron regarde le jardin.
E. M. Mitterrand disait qu’un président doit savoir s’ennuyer… Tu crois que j’y arriverai ?
u0022Pendant cinq ans, il y aura moi et le FN. La gauche, LR, ce sont des moignonsu0022
F. H. Très facilement. Dès que tu seras impopulaire.
E. M. Pour l’instant, ça va de ce côté-là.
F. H. Dans quelques heures, tu vas nommer vingt ministres…
E. M. Quinze…
F. H. Eh bien, ce seront quinze sources d’emmerdes. Tu as mangé ton pain blanc, Emmanuel, j’espère que tu en as bien profité.
E. M. En tout cas, je n’ai pas l’intention de partir en vacances et de me mettre au travail fin août…
F. H. Les législatives, ça ne va pas être simple…
E. M. Pourquoi ? Hors de la majorité présidentielle, point de salut. Pendant cinq ans, il y aura moi et le Front national. La gauche, Les Républicains, ce sont des moignons, des croupions. Marine et moi, on est la viande, les autres, ce sont les légumes.
Un temps.
F. H. Bien ! Tu as encore des questions ? Sinon on va pouvoir y aller, peut-être…
E. M. Il n’y a pas un truc symbolique à faire, du genre » code nucléaire » ?
F. H. Ah ! Oui… Je l’ai mis sur le bureau… Mince… Je suis sûr de l’avoir posé par là… C’est mon aide de camp qui a dû… Ce serait embêtant que tu ne l’aies pas avec toi tout de suite. Si Poutine t’attaque par surprise… Ah ! Le voici. C’est un médaillon, mais tu n’es pas obligé de le porter tout le temps, la procédure est plus compliquée que ça…
E. M. Je vais l’apprendre par coeur, ce sera plus simple.
F. H. Ça ne m’étonne pas de toi… Bon, je ne t’explique pas non plus comment marchent le téléphone et la télévision, tu maîtrises ça mieux que moi, ce sont des jouets de ton âge.
E. M. Oui. Je le connais bien, finalement, ce bureau.
F. H. En 1995, Mitterrand a fait installer les lieux comme au temps de De Gaulle, pour accueillir Chirac. Rien n’a bougé depuis.
E. M. Je vais peut-être tout changer. M’installer au rez-de-chaussée. Mettre des meubles modernes. Il y a le wi-fi ?
Un silence.
F. H. En fait, Emmanuel, tu ne le connais pas, ce bureau. C’est ici que tu vas apprendre ta première chute dans les sondages, c’est ici qu’on va t’annoncer que le chômage est encore en hausse, ici qu’on va te révéler qu’un de tes ministres a une enquête aux fesses, ici que le chef d’état-major va te dire qu’un gamin de 22 ans a été tué au Mali, ici que tu vas décrocher le téléphone pour parler à ses parents, pour les entendre te remercier d’avoir pris la peine de les appeler. Tu ne connais rien de tout cela, monsieur le Président.
E. M. Belle anaphore, monsieur le Président… J’essaierai de m’en souvenir. J’ai beaucoup appris avec toi, y compris par tes erreurs. Par nos erreurs.
Un silence.
F. H. Bon, il est temps que j’y aille, Emmanuel.
E. M. Je crois que j’ai intérêt à te raccompagner jusqu’à ta voiture. A moins que tu ne partes en BlaBlaCar, comme tu l’as promis dans Society ?
F. H. Chiche ? Ou alors à pied, comme Giscard… Je serais moins sifflé que lui, tes fans m’aiment bien. Non, la République est bonne fille, elle me véhicule. Et puis, je suis encore président pour dix minutes, donc il pleut. Alors mieux vaut ne pas prendre le risque de finir trempé. Allez, en route !
E. M. Non, François… En marche !
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