Gouvernance post-crise du coronavirus: 5 idées pour un monde meilleur
Quelles conséquences la crise sanitaire aura-t-elle sur la gestion des Etats et de la planète ? Cinq penseurs livrent des pistes pour surmonter les défis futurs. D’un Fonds mondial de solidarité à la promotion d’un patriotisme européen.
Premier trauma universel de l’histoire, l’épidémie de coronavirus inspire des réflexions multiples sur ses conséquences. L’impact sur le mode de gouvernance, nationale ou mondiale, a suscité une production éditoriale spécifique. Cinq ouvrages sont présentés ci-dessous en proposant pour chaque auteur une idée maîtresse développée sur la base d’un constat établi à l’aune de la crise sanitaire.
La juriste Monique Chemillier-Gendreau, le politologue Ivan Krastev, l’ancien ministre français des Affaires étrangères Hubert Védrine, le géo- politologue Pascal Boniface et le philosophe Slavoj Zizek dessinent ainsi une ébauche du monde de demain dans une diversité de points de vue qui vont des propositions concrètes et applicables à des mutations plus profondes mais moins réalistes.
Le constat. Pour Ivan Krastev, auteur de Est-ce déjà demain ? (1), les gouvernements européens ont eu tendance à présenter le Covid-19 comme une sorte de retour simultané des trois précédentes crises qui ont ébranlé le Vieux Continent ces dix dernières années : le terrorisme, la crise financière et la crise migratoire. Sauf que pour lui, l’impact de la pandémie dément les répercussions des trois crises prises séparément. » La crise financière mondiale avait eu pour conséquence une réticence très nette à la mutualisation des dettes et à l’assouplissement des contraintes budgétaires pesant sur les Etats. C’est désormais le contraire qui se produit. La guerre contre la terreur n’avait pas poussé les Européens à transiger sur leurs libertés publiques au nom de la sécurité. Là encore, il semble que les choses en aillent dorénavant autrement. Quant à la crise migratoire, elle avait abouti à un consensus tacite : il semblait inenvisageable de fermer les frontières intérieures de l’Europe, notamment parce que les citoyens d’Europe de l’Est en auraient considérablement pâti. La crise sanitaire vient démontrer que les frontières pouvaient et pourraient être fermées, au moins pour un temps « , analyse le politologue bulgare.
L’idée. Au lieu de doper les nationalismes étatiques, la crise sanitaire aurait, selon Ivan Krastev, conforté la construction européenne. » Alors que l’Union européenne s’envisage comme l’avocate ultime de l’ouverture et de l’interdépendance, il est fort possible que ce soit la pression de la démondialisation qui, à l’avenir, pousse les Européens à adopter plus de politiques communes et même à déléguer à Bruxelles certaines prérogatives d’urgence, estime le président du Center for Liberal Strategies de Sofia. » D’une part, le Covid-19 a un caractère planétaire ; d’autre part, tout le monde s’accorde à dire que le nationalisme économique tel qu’il fut à l’oeuvre au xixe siècle ne représente plus une option réaliste pour les Etats nationaux européens petits et moyens. La combinaison de ces deux constats est propice à un nationalisme territorial reconfiguré, centré sur l’Union européenne. »
Le constat. Pour Hubert Védrine, auteur de Et après ? (1), il est difficile de mesurer l’impact que » le premier trauma universel » aura sur la conduite du monde. » Il y a un piège dans lequel il ne faut pas tomber, et qui serait de confondre la remise en marche de l’appareil productif et commerçant, aussi rapidement que le permet la situation sanitaire, et un retour à la normale. En effet, la situation d’avant n’était pas « normale ». D’ailleurs une sorte de dazibao moderne réclame : « pas de retour à l’anormal » « , observe l’ancien ministre français des Affaires étrangères. Pour autant, il est inutile, selon lui, de » perdre du temps à réclamer (à qui ? ) l’instauration d’une nouvelle gouvernance mondiale « .
L’idée. Hubert Védrine prône en revanche des actions plus concrètes, notamment en matière d’écologie. » Pour construire une rationalité écologico-économique, il faut faire entrer des références financières claires, simples, mathématiques, dans des milliards de décisions économiques quotidiennes, prises par des acteurs économiques indifférents aux conséquences écologiques de leur actions « , suggère-t-il. Aussi, préconise-t-il » un nouveau mode de calcul du PIB, incorporant les coûts écologiques jusque-là externalisés, et qu’on pourrait appeler un PIB/E « . Il » s’imposerait comme une sorte d’aiguilleur automatique pour un investisseur chinois, aussi bien que sud-africain ou américain « .
Le constat. Dans Pour un Conseil mondial de la Résistance (1), sur le modèle du Conseil national de la Résis-tance mis en place en France après la Seconde Guerre mondiale, Monique Chemillier-Gendreau analyse la vulnérabilité des systèmes hospitaliers que la crise sanitaire a révélé, même en Europe. » L’argument ayant servi à la dégradation des services publics dans les pays où ils étaient solides et à l’incapacité d’en doter les sociétés où il n’y en a jamais eu est, uniformément, celui de l’absence d’argent public disponible à cet effet. Mais aucun Etat n’a réussi à mettre en place une politique efficace contre la corruption et contre l’évasion fiscale, ces fléaux mondiaux. »
L’idée. La professeure émérite de droit public et de science politique à l’université Paris-Diderot propose dès lors de » créer un fonds mondial de solidarité sanitaire, sociale, écologique et pacifique financé par des mesures fiscales internationales portant sur les transactions financières, sur les revenus des multinationales et sur les activités polluantes « . Il aurait notamment comme objectifs » d’assurer des conditions de mise sur le marché mondial des médicaments indispensables de manière à en permettre l’accès à tous « , » d’aider les Etats dans lesquels les populations ont profité des délocalisations et qui pâtiront d’un retour vers des circuits de production courts » ; » de promouvoir les droits sociaux dans les pays où ils sont insuffisants ou même inexistants « …
Le constat. A travers son essai Dans la tempête virale (1), le philosophe Slavoj Zizek questionne l’empressement de certains dirigeants à relancer la machine économique en reléguant la situation sanitaire au second plan. Donald Trump » s’adresse aux « gens ordinaires », aux bas salaires, pour qui la pandémie est une catastrophe sur le plan économique et qui, en conséquence, ne peuvent se permettre de rester chez eux, analyse l’auteur slovène. Le piège est double : premièrement, les politiques économiques de Trump, dont l’axe central est le démantèlement des restes de l’Etat-providence, sont dans une large mesure responsables de la situation affreuse dans laquelle se retrouvent plongés de nombreux travailleurs gagnant mal leur vie […]. Deuxièmement, ceux qui veulent réellement « retourner travailler » sont les pauvres, alors que les plus aisés n’auraient rien contre l’idée de se confiner confortablement. Il y a ceux qui ne peuvent s’isoler, qui doivent impérativement travailler – à l’extérieur – afin que les autres puissent demeurer confinés. »
L’idée. Pour Slavoj Zizek, » s’enfermer, seul avec soi-même, édifier de nouveaux murs et organiser de nouvelles quarantaines ne sera pas suffisant » pour surmonter la prochaine épidémie. » Une solidarité parfaitement inconditionnelle et une réponse coordonnée au niveau mondial s’imposent absolument – une nouvelle forme de ce qui était jadis appelé communisme « . Parmi les propositions du philosophe dans ce cadre figurent une couverture santé véritablement universelle et une coordination de la production et de la distribution de biens et matériels essentiels. Bref, selon l’auteur, une forme douce du » communisme de désastre « , en tant qu’antidote au capitalisme du désastre.
Le constat. Même si les questions sanitaires ne relèvent pas de la compétence de l’Union européenne, Pascal Boniface, dans Géopolitique du Covid-19 (1), estime qu’on aurait pu s’attendre à » une meilleure coordination, à une solidarité plus immédiate, à des décisions de long terme plus robustes » de la part de l’Europe. L’UE s’est tout de même bien rattrapée en autorisant les Etats à venir en aide aux entreprises, en suspendant le Pacte de stabilité et en proposant un plan de relance, appuyé par la France et l’Allemagne, sur la base d’un emprunt mutualisé. Le directeur de l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris) met aussi en exergue le plan d’aide de 15,6 milliards de la Commission européenne aux pays les plus vulnérables d’Afrique, illustration selon lui d’un » véritable multilatéralisme, actif et responsable « .
L’idée. Sur la base de cet exemple, Pascal Boniface appelle l’Europe à jouer enfin un rôle de » global player « , pour cesser d’être seulement un » global payeur « . » Avec le plan franco-allemand du 18 mai 2020, l’Allemagne a fait le choix fondamental de l’Europe. Avec le projet annoncé par Ursula von der Leyen le 27 mai, l’idée d’une » commission géopolitique » a pris corps. C’est à partir d’un noyau dur, des pays fondateurs moins les Pays-Bas et plus l’Espagne, le Portugal et quelques autres que l’Europe peut se remettre en marche « , pronostique-t-il.
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