Elections françaises, J-2: tout comprendre sur le scandale McKinsey qui a agité la campagne (analyse)
Un rapport du Sénat pointe le large recours du gouvernement aux cabinets de conseils et leur faculté d’éviter de payer des impôts. Embarrassant.
A l’aube du premier tour de l’élection présidentielle, une torpille tirée du Sénat est venue ébranler le candidat Emmanuel Macron et son camp un peu trop convaincu de sa réélection. Le 17 mars, la chambre haute a sorti un rapport explosif sur l’usage « tentaculaire » que fait le gouvernement « des cabinets de conseil sur les politiques publiques ». Un nom a immédiatement retenu l’attention: McKinsey. En quelques jours, il est devenu le symptôme de ce que le président n’aurait sans doute pas voulu voir décortiquer dans les médias: une propension à recourir de façon exagérée aux cabinets de conseil privés au détriment des grands corps de l’Etat. Il fait aussi peser sur lui le soupçon de s’accommoder d’un modèle de gouvernement à l’anglo-saxonne, porteur d’un mot honni en France, le néolibéralisme.
Les hauts fonctionnaires français, empreints de tradition jacobine, sont moins perméables que les Anglo-Saxons aux consultants.
Un marché comme les autres?
Qu’a donc dévoilé le Sénat pour embarrasser à ce point la macronie? Le rapport d’Eliane Assassi, présidente du groupe communiste, dénonce trois points, au moins. D’abord, le coût de l’intervention des cabinets de conseil – 893,9 millions d’euros en cinq ans, soit plus du double de ce qui a été dépensé durant les années précédentes – et les techniques comptables dont aurait usé McKinsey et qui lui aurait permis d’éviter l’impôt sur les sociétés entre 2011 et 2020, contrairement aux affirmations devant l’assemblée d’un de ses dirigeants en France, Karim Tadjeddine. Le Sénat a saisi la justice pour suspicion de faux témoignage. Troisième point: l’influence des cabinets privés dans les prises de décision politiques, renforcée par les liens personnels qui existent entre l’équipe gouvernementale et le cabinet McKinsey.
C’est certainement cette dernière dimension qui suscite la plus forte indignation. En effet, plusieurs domaines d’intérêt public ont été soumis à l’avis de sociétés de conseil. Ainsi, le cabinet McKinsey a multiplié les missions pendant la pandémie de Covid-19. Il a notamment affiché sa préférence pour l’arrêt ponctuel de la distribution de gants médicaux aux établissements médico-sociaux, le temps de reconstituer le stock. Le même cabinet est également intervenu pour appuyer l’administration dans la préparation de plusieurs réformes des aides sociales, dont celle des retraites pour un montant de 920 000 euros.
Eliane Assassi évoque par ailleurs des « témoignages alarmants » de fonctionnaires à l’Ofpra (Office français de protection des réfugiés et apatrides), où des consultants venus de différents cabinets sont intervenus pour l’accélération des délais de traitement des demandes d’asile. Suscitant une indignation toute particulière, McKinsey a enfin été impliqué dans l’organisation d’une réflexion sur l’avenir du métier d’enseignant, qui n’a jamais abouti, pour un coût de 496 800 euros.
Ce faisant, les différents cabinets de conseils ont introduit, dans l’antre bien gardée de la haute administration française, des techniques anglo-saxonnes telles que le « nudging », une pratique de persuasion mise en pratique aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne qui pousse les individus dans une direction, tout en les assurant qu’il s’agit d’un libre choix. Il n’en fallait pas plus pour qu’une partie de l’opposition politique qualifie ces pratiques de « scandale d’Etat », selon les mots du candidat à la présidentielle de l’Union populaire, Jean-Luc Mélenchon.
Tradition politique heurtée
Face à la polémique, la ministre de la Fonction publique, Amélie de Montchalin, a dénoncé une « récupération politique » et assuré que les cabinets ne décident jamais à la place du gouvernement. Olivier Dussopt, le ministre chargé des Comptes, s’est, lui, engagé à mettre en oeuvre « la traçabilité des prestations dans les productions finales », ainsi qu' »un renforcement des règles de la mise en concurrence ».
Rappelons que l’objectif premier de l’enquête du Sénat démarré il y a quatre mois et lancée par le groupe communiste, républicain, citoyen et écologiste (CRCE) était d’examiner l’influence des cabinets de conseil sur les politiques publiques et d’en finir avec l’opacité dans l’attribution des contrats. A cet égard, le rapport ne pointe pas seulement du doigt le cabinet McKinsey, même si c’est celui-ci qui retient l’attention. Le rapport souligne également que la présence de plusieurs d’entre eux n’a pas commencé sous le quinquennat d’Emmanuel Macron. Un bref tour d’horizon des pays européens démontre, en outre, que ce phénomène n’est pas propre à la France: entre 2005 et 2017, Der Spiegel révélait que les dépenses du secteur public allemand à destination des cabinets de conseil, dont McKinsey, avaient grimpé de 1,1 milliard à 2,9 milliards d’euros. D’après les données de la Fédération européenne des associations de conseils en organisation (Feaco), la France se situe dans la moyenne européenne, loin derrière l’Allemagne ou la Grande-Bretagne.
Pour Nicolas Lecaussin, directeur de l’Institut de recherches économiques et fiscales (Iref), l’explication de cette influence « moyenne » est culturelle. « Les hauts fonctionnaires français, empreints de tradition jacobine, sont moins perméables que nos voisins anglo-saxons aux consultants », écrit-il dans une opinion publiée dans La Tribune. L’attachement au rôle de l’Etat et à la fonction publique est largement partagé dans l’opinion française. De l’extrême gauche à l’extrême droite, il n’y a jamais eu de vraie place pour un parti libéral en France, et encore moins néolibéral.
Ce que l’on nomme désormais « l’affaire McKinsey » devrait avoir un impact sur les résultats électoraux: jamais l’écart entre un candidat « républicain » et un candidat de l’extrême droite n’aura été si mince à l’aube des élections.
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