Carte blanche
Docteur Raoult et Mister Chloroquine
La pandémie du coronavirus suscite les plus graves inquiétudes. La course à la recherche scientifique est lancée pour trouver le moyen d’éradiquer ce mal invisible et tellement destructeur. C’est une urgence planétaire.
1. Que se passe-t-il avec la chloroquine ?
Parmi ces scientifiques à la recherche du Saint Graal, il en est un qui dénote. Le Professeur Raoult, infectiologue français de résidence à Nice, lequel crie sur tous les toits qu’il a trouvé la solution pour tuer le mal.
L’antidote est mien soutient le médecin. La prise de la chloroquine qui est un médicament initialement censé lutter contre le paludisme serait la solution.
Il s’appuie pour se faire sur une étude faite par lui et son équipe sur des volontaires qui ont pris ledit médicament et qui dans leur grande majorité auraient été débarrassés de ce satané virus.
Cela n’a évidemment laissé personne indifférent. Mais un schisme s’est fait jour entre les croyants qui soutiennent l’efficacité du médicament et les hérétiques qui dénoncent le manque de rigueur scientifique de son étude, voire son charlatanisme et donc la précipitation de son affirmation.
Qui a tort ou raison ? L’avenir nous le dira. Mais dans l’instant, ce débat appelle réflexion et pousse à de nombreux questionnements.
2. la compétence et la notoriété sont-elles des critères de validation scientifique ?
Le Docteur Raoult est manifestement reconnu pour sa compétence en matière de virologie et d’infectiologie au niveau international.
Son centre de recherche scientifique localisé à Nice (IHC) est reconnu mondialement pour ses recherches et les résultats obtenus sur les maladies infectieuses.
Il est l’auteur de nombreux articles scientifiques dont la qualité est retenue par la communauté internationale scientifique. Il a reçu de nombreuses distinctions honorifiques pour ses travaux et recherches. Deux bactéries infectieuses découvertes par lui portent son nom.
La question qui se pose dès lors n’est pas de savoir s’il a les compétences pour s’exprimer sur le moyen de lutter contre le Coronavirus, mais bien si ses recherches sur la chloroquine peuvent-être validées sur le prononcé de son seul nom et de ses mérites passés.
Ne dit-on pas que : » L’habit ne fait pas le moine » ? Pas forcément, en tout cas, car la recherche scientifique doit s’appuyer sur des règles, des faits, des constatations et une méthodologie.
On ne peut dès lors, comme certains, nombreux, dire que sa compétence reconnue suffit à valider ses propos et ses affirmations péremptoires.
N’a pas forcément raison celui qui se drape de sa vertu et qui le crie à tue tète qu’il est le seul à avoir trouvé la solution, avec l’aide bienveillante de certains médias, de personnalités du Show-Biz et d’une partie de la population.
3. La méthode scientifique utilisée est -elle fiable et validée ?
Dire au monde entier, par le biais de sa chaine »YouTube », en se mettant en scène, qu’il a trouvé le remède ne peut suffire à valider ses recherches. Ni le fait qu’il connait bien la chloroquine.
Pour pouvoir affirmer une telle chose, il doit s’astreindre aux respects de règles qu’il connait mieux que quiconque. Utiliser un médicament existant pour lutter contre un tel virus, ce n’est pas prescrire un sirop anti-toux et des antidouleurs.
Les questions qui doivent-être posées sont de plusieurs ordres.
La première étant de savoir si la prise de ce médicament à grande échelle ne porte pas de contre-indication en matière de santé publique. En effet, il existe des effets secondaires indésirables et dangereux. (Cardiaques, diabétiques…)
La chloroquine, en cas de surconsommation, est très nocive.
Même en partant de l’hypothèse que la chloroquine serait un traitement adapté, on ne sait pas forcément quel est le dosage nécessaire pour lutter efficacement contre le Coronavirus et surtout à quel stade de la maladie il est à prescrire.
Actuellement, elle n’est autorisée qu’en milieu hospitalier lors de la phase aigüe de la maladie ou alors sous le contrôle et la responsabilité du médecin prescripteur.
On doit bien constater que certaines personnes ayant pris ce médicament pour lutter contre le coronavirus sont décédées. Ce sont les faits qui parlent.
Attention ceci n’empêche pas cela. Mais la précipitation, même si le temps presse, ne fait guère bon ménage avec la rigueur scientifique.
La deuxième question porte sur la méthodologie utilisée. Les choses sont loin d’être claires.
Le médicament aurait été testé dans un premier temps sur 26 patients, ce qui n’est pas un échantillon représentatif pour valider une recherche médicale.
Il n’est pas précisé si les patients étaient sains, asymptomatiques, ou ayant été détectés malades.
Pour la lecture des résultats, certains patients ont été omis, ce qui inquiète, vu le faible nombre de patients testés. Seul 26 patients ont été retenus pour tirer des conclusions.
Sur les six patients écartés, trois l’ont été par ce qu’ils rentraient aux soins intensifs, un par ce qu’il ressentait des effets secondaires et le dernier en raison de sa mort.
L’ensemble de ces données sont essentielles. Un médicament peut ne pas être efficace ou n’être efficace qu’à certains stades de la maladie .Il peut aussi provoquer des effets secondaires chez les patients atteints ou pas par la maladie, ce qui peut avoir des conséquences désastreuses sur la santé générale du patient.
L’avenir nous le dira. Mais dans l’instant, ce débat appelle réflexion et pousse à de nombreux questionnements. Le Docteur Raoult, fort du buzz crée, a lancé une deuxième étude médicale sur 80 patients volontaires, sans que l’on en sache plus.
Et laissant les questions évoquées ci-avant en suspens, ne fait-il pas application de l’adage prôné par l’apôtre Mathieu : »Celui qui persévèrera jusqu’à la fin, celui-là sera sauvé » ?
Le plus étonnant est qu’il ne peut ignorer que pour valider un essai clinique, cela doit être validé par un comité scientifique (méthodologie, nombres de patients, panel placébo..) et encadré par des règles de droit. On ne joue pas avec la santé publique.
L’urgence impose une modification des règles pour la durée de validation d’un vaccin, mais ne peut en aucun cas permettre de s’écarter du respect des règles scientifiques et légales. Il ne peut être question de jouer avec notre santé en pratiquant des études faites à la va -vite.
Les états, vu la situation, ont accordé lesdites dérogations, tout en prônant le respect de règles strictes. Des études indépendantes sur la chloroquine et d’autres vaccins, fort heureusement, sont en cours dans de nombreux pays pour valider ou pas les remèdes proposés.
Actuellement 3200 patients européens sont les sujets d’une étude scientifique rigoureuse, dont les résultats devraient être connus prochainement.
Ils vont bientôt tomber. Il est dur de faire preuve de patience lorsque la liste des morts s’allonge, mais on ne peut prendre le risque de jouer avec la santé des gens et d’aggraver une situation déjà terriblement complexe.
Il n’est pas question de vouloir, envers et contre tout, que le docteur Raoult échoue par principe et orgueil et par ce qu’on ne partage pas sa méthode et ce qu’il est. Si sa solution est validée, tant mieux. Mais elle doit l’être selon les règles en vigueur et ne pas jouer sur les peurs.
La chance ou l’à peu près scientifique ne peut en aucun cas être un critère validant une démarche scientifique.
Et si le prix à payer pour ses détracteurs est de devoir reconnaitre, si la science valide son vaccin, qu’avant tout le monde il avait raison, ils s’y plieront de bonnes grâces, car nul ne veut que la situation perdure et s’aggrave.
Mais si, à l’inverse, le résultat n’est pas à la hauteur des espoirs suscités, le précipice n’est jamais loin tant pour le professeur Raoult que pour ses disciples.
Faire le buzz ne mène pas à la réflexion et à la vérité.
4. Le Show- Bizz , les People et le monde politique ont-ils les compétences pour valider les recherches du Professeur Raoult ?
La lutte contre le Coronavirus est sur le plan médical une affaire de spécialistes.
Non pas qu’il faille donner un blanc-seing aux chercheurs, mais bien à ceux et celles qui respectent le processus pour valider les recherches faites pour trouver un remède.
Il appartiendra ensuite aux autorités politiques et sanitaires, sur base des résultats obtenus, de prendre les mesures sanitaires et politiques adéquates, un contrôle démocratique étant nécessaire.
L’internationalité des recherches entamées dans le monde entier n’est-elle pas la meilleure garantie que les moyens nécessaires sont mis en oeuvre et avec objectivité pour éradiquer ce mal.
On a dès lors du mal à comprendre pourquoi certains, n’ayant aucune formation médicale, mais à la notoriété certaine, prennent fait et cause pour le Docteur Raoult, sur base d’impressions personnelles, et par attrait de sa personnalité atypique ou voir par compromission et/ ou intérêt.
Citons-en quelques-uns pêle-mêle.
Philippe Doust-Blazy homme politique français, médecin, ancien ministre de la Santé, crie à tue-tête que le docteur Raoult est un génie et que la chloroquine est la solution pour éradiquer le coronavirus.
Il omet toutefois de préciser qu’il est administrateur de l’établissement du docteur Raoult. Voilà l’éthique d’un homme, qui plus est à la parole écoutée. Se poser la question de son propos, c’est obtenir la réponse.
Quant à Jean -Marie Bigard, nouveau porte-drapeau de la chloroquine du docteur Raoult, humoriste de son état, il ne fait plus rire si ce n’est à ses dépens.
Il est l’homme qui a déclaré, à propos du 11 septembre 2001 : »On est absolument certain que les 2 avions qui se sont écrasés sur les tours jumelles n’existent pas .C’est un mensonge absolument énorme. » (Europe 1 Radio, septembre 2008, ‘‘On va se gêner », émission de Laurent Ruquier)
Mais quel crédit peut-on accorder à cet individu, qui n’a aucune compétence médicale et qui de toute évidence ne voit pas ce que tout le monde voit et ne veut entendre que ce qu’il croit, pour Dieu sait quelle raison, si ce n’est surfer sur cette sordide voix du complotisme.
Le dernier exemple est Dieudonné, humoriste en son temps, devenu depuis lors antisémite revendiqué, qui éructe sur les réseaux sociaux la thèse du grand complot quant à l’origine du coronavirus et les moyens mis en oeuvre pour le combattre.
Ne pas être en accord avec lui, fait de nous des collaborateurs et des incultes. Voilà le prophète de la parole entendue qui énonce ses vérités avec malheureusement une certaine écoute.
Ces exemples qui foisonnent sont la démonstration inquiétante d’une dérive qui mène à la mise en cause du droit à une information objective et vérifiée.
La question n’est pas encore le droit de proférer des âneries, mais bien plus des contre-pouvoirs existants pour les contre dire au regard de la rapidité de l’information via les réseaux sociaux.
Il ne peut être ici question d’interdire de propager des idées farfelues, mais bien plus de tout faire pour rappeler les mesures prises pour éviter la propagation de la maladie et donc de son corollaire dans certains cas, la mort.
5. Docteur Raoult et Mister chloroquine.
La question fondamentale que pose le cas du docteur Raoult n’est pas tant de savoir s’il a raison ou tort – l’avenir et les études qui vont être réalisées nous le diront, mais pourquoi son discours a un tel impact sur une frange importante de nos concitoyens.
Nombreux sont ceux qui défendent avec virulence sa théorie sur les réseaux sociaux, comme si celle-ci valait paroles d’évangile, donnant par-là d’eux-mêmes l’image de vulgaires adeptes d’une nouvelle secte New-Age.
Cela nous rappelle avec acuité les propos du romancier Victor CHERBULIEZ, lequel écrivait »qu’il est des gens que la peur d’avoir peur rend agressifs ». (Citation de Victor Cherbuliez ; Prosper Randoce 1867)
Confinée, repliée sur elle-même, apeurée, perdue face à une masse d’informations en continu complexes et contradictoires, suspicieuses à l’égard des firmes pharmaceutiques, se sentant abandonnée des autorités publiques, une partie de la population est en recherche d’un sauveur capable de lui offrir un système « prêt-à-penser » simple et rassurant.
Le Professeur Raoult nous a donc vanté les mérites d’un remède miracle qui nous permettrait rapidement de mettre fin à la pandémie.
Au vu du stress qu’engendre cette crise sans précédent au 21e siècle, on a nécessairement envie de le croire. Néanmoins, notre raison ne doit pas se laisser endormir par notre besoin d’apaisement, aussi impérieux soit-il.
Et notre raison, une fois détachée de ses peurs et inquiétudes, nous enjoint plusieurs réflexions.
La première réflexion est qu’il ne pas céder aux apparences.
Le Docteur Chloroquine à la dégaine peu conventionnelle avec ses cheveux longs, sa barbe fournie, sa bague en forme de tête de mort. Le Docteur a tout ‘‘du Rebelle » de la série américaine éponyme.
Ce style punk-rock, son ton direct et provocateur, ses attaques contre « les puissants » (décideurs politiques, industries pharmaceutiques, journalistes) ont charmés une partie de l’opinion publique.
Mégalomane, médiatique, homme de réseaux, biberonné à l’agent public via des financements d’états, opportuniste (la crise du coronavirus a dopé les ventes de son livre, sorti plutôt que prévu pour l’occasion), force est de constater que l’homme semble pourtant être la somme de tous les vices qui rongent selon lui la classe « politico-pharmaco-journalistique » qu’il dénonce.
Une analyse des faits qui constituent l’anamnèse du personnage tend donc à nous démontrer que le Professeur n’est pas aussi « antisystème » et aussi vertueux qu’il voudrait nous le faire croire.
La seconde réflexion est qu’il faut faire preuve de prudence, de réflexion et de scepticisme afin de lutter contre la pensée magique et le culte de la personnalité messianique.
Il est un fait incontestable qu’à cette heure, le covid19 est un virus méconnu et que l’efficacité du traitement à la chloroquine n’est qu’une hypothèse qui, de surcroit, est loin de faire l’unanimité au sein de la communauté scientifique.
Néanmoins, beaucoup de nos concitoyens avides d’espoirs considèrent que le Docteur détient La Vérité et se refusent catégoriquement à toute réflexion sur le sujet.
En définitive, peu leur importe de savoir si la chloroquine est un remède efficace ou pas. Dans leur soif d’apaisement, la croyance dans l’efficacité du remède suffit à supprimer le mal.
Quelques jours de crises auront donc suffit à ressusciter la pensée magique et le culte de la personnalité messianique, deux vestiges du passé que l’on croyait définitivement disparus de nos contrées.
Afin de ne plus tomber dans ces deux écueils, il est grand temps de se rappeler que la peur est toujours une mauvaise conseillère et qu’elle aggrave le mal sans jamais y remédier.
En 2016, dans une interview télévisuelle accordée à l’émission « C’A VOUS », le Docteur Didier RAOULT présentait son livre intitulé « Arrêtons d’avoir peur ».
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A l’époque, il invitait ses lecteurs à garder leur calme face aux crises et à recourir à l’analyse distanciée. Comme le nom de son livre l’indique, il voulait convaincre ses lecteurs de l’impérieuse nécessité d’arrêter d’avoir peur.
Quelques années et une crise sanitaire mondiale plus tard, le Docteur a manifestement découvert que le business de la peur demeure l’une des économies les plus rentables en ce bas monde et a donc changé son fusil d’épaule.
Gageons qu’en cette période anxiogène, les disciples du Docteur pourront revenir à son enseignement premier afin d’enfin revenir à la raison.
A Mister Chloroquine, préféré donc le Docteur Raoult.
Sylvain Danneels et Renaud Duquesne, avocats
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