André Crespin
Congo: un nouveau Président, un nouveau départ?
Ce jeudi 24 janvier, Félix Tshisekedi prête serment comme Président du Congo. C’est l’aboutissement d’un processus électoral qui aura fait la une de la presse internationale comme jamais auparavant. La Cour Constitutionnelle, dernière instance à intervenir dans le processus légal de ce géant d’Afrique, a rejeté le recours de Martin Fayulu, faute d’avoir présenté des preuves recevables pour appuyer ses accusations. Elle a dès lors validé définitivement l’élection. Une nouvelle page s’ouvre pour le Congo.
Cette prestation de serment termine une séance (ouverte au lendemain de l’élection du 30/12) au cours de laquelle nos médias ont relayé le va-et-vient de politiciens et d’experts qui ont mis en doute les résultats. La plupart des voix occidentales estimaient qu’il ne pouvait avoir d’autre vainqueur que Martin Fayulu, l’ancien cadre d’Exxon Mobil. Les sources sur lesquelles ils se sont appuyés sont assez limitées, et souvent liées à des think tanks étatsuniens. Certains experts se sont même emmêlés les pinceaux en confondant sondages et résultats électoraux. Il est visiblement autorisé de dire tout et n’importe quoi au sujet du Congo, du moment que cela entre dans un certain ‘framing‘.
Au cours des dernières années, nous avons vu passer ainsi toute une série de théories diverses: Kabila restera au pouvoir sans organiser d’élections. Kabila organisera des élections mais modifiera auparavant la constitution pour pouvoir briguer un troisième mandat. Kabila restera de facto pour un troisième mandat sans modifier la constitution. Kabila organisera des élections mais fera en sorte qu’elles soient constamment reportées pour de soi-disant raisons de sécurité. Et puis, une fois que les élections sont apparues inévitables, de nouveaux arguments se sont succédé: Le Congo n’aura jamais assez d’argent pour organiser soi-même les élections. Le régime n’admettra pas d’observateurs indépendants aux élections. La commission électorale, pas si indépendante que cela, fera en sorte que l’héritier désigné par le camp Kabila remporte les élections. Il sera impossible d’organiser des élections au Congo sans machines à voter. Aucune de ces « prédictions » ne s’est avérée correcte. Mais elles ont toutes contribué à créer une atmosphère de méfiance vis-à-vis des élections et du pays en général.
Prenons le temps de revenir sur quelques faits:
Fait n°1 : C’est la première fois dans l’histoire du Congo qu’à la suite d’élections, un Président transmet le pouvoir à une figure de l’opposition.
Fait n°2 : le Congo a réussi à organiser des élections en se basant uniquement sur ses propres moyens, sans soutien financier de l’étranger, dans un pays 80 fois plus grand que la Belgique, avec une population 7 fois supérieure et qu’on ne peut pas comparer avec le nôtre en termes de niveau d’éducation et de bien-être. Tout cela alors que sévit une épidémie d’Ebola dans l’Est du pays.
Fait n°3 : Malgré des conflits latents et des violences constantes dans certaines parties du pays, le Congo a tenu ses élections, dans des circonstances relativement pacifiques et avec un minimum de violence électorale. Les candidats de l’opposition ont pu, à quelques exceptions près, se rendre d’une ville à l’autre pour tenir des meetings, la plupart du temps devant une assistance massive.
Fait n°4 : Le gouvernement congolais a laissé l’église catholique organiser une mission d’observation importante, financée par les USA, le Canada, le Royaume-Uni et la Belgique. Des pays qui avaient pris des mesures de rétorsion contre le candidat du gouvernement et qui ne faisaient pas mystère de leur soutien à l’opposition. Cette mission d’observation a pu exercer ses activités et communiquer ses conclusions à la presse en toute liberté.
Fait n°5 : Grâce à l’investissement d’innombrables organisations congolaises de terrain, la période de campagne a créé une conscience politique à la base, qui offre des opportunités d’une plus large démocratisation du pays. Nous ne devons pas nous focaliser sur le combat de titans entre trois candidats présidentiels. A différents niveaux, les élections ont été bien plus que cela.
Il est impossible de dire si les résultats communiqués par la commission électorale correspondent effectivement à la vérité. Je ne me risquerais pas à faire ce pari. Mais cela est vrai également pour ce qui est des autres sources. Pourquoi devrions-nous croire que les sondages d’opinion réalisés par un institut de recherche américain ont donné une prédiction fiable du résultat des élections ? Pourquoi devrions-nous prêter foi aux rumeurs sur les accords scellés en coulisses ?
Ecoutons d’abord les Congolais eux-mêmes. Une connaissance à Kinshasa m’a raconté ce qui suit : « Je pense que la majorité de la population est contente de ce résultat. La population voulait un changement de gouvernement. Kabila devait renoncer au pouvoir« . Elle ajoute encore : « Et je suis fière de mon pays. Nous avons montré que nos dirigeants ont des capacités démocratiques et qu’ils écoutent le peuple. Je suis fière« . Les Congolais s’irritent de l’attitude « je-sais-tout » de nos politiciens et de notre presse. « L’église catholique n’intervient pas non plus dans votre politique. Pourquoi accordez-vous tellement d’importance à ce que les évêques ont à dire concernant nos élections ?« , écrit l’un d’entre eux. « Nous sommes fâchés que vous nous disiez ce que nous devons faire. Le Congo est indépendant, c’est ainsi !«
Pourquoi les rumeurs ont-elles été aussi bon train ? Pourquoi ces soupçons et ces présomptions ? Sans faire des spéculations, nous ne pouvons que constater que les choses ne se sont pas déroulées comme l’Occident l’aurait voulu. Pendant des semaines, on a martelé que seul Martin Fayulu conviendrait comme vainqueur. Ce scénario ne s’est pas réalisé. Est-ce qu’on a voulu semer des doutes alors que l’Occident perdait son emprise sur tout le processus ? Fort de ses appuis occidentaux, Martin Fayulu s’est déclaré « seul Président légitime » et a lancé de vibrants appels à la désobéissance civile… qui n’ont manifestement pas eu d’écho parmi les Congolais. De son côté, L’Union Africaine a reconnu la victoire de Tshisekedi » Nous sommes prêts en tant qu’Union africaine à travailler avec le président Tshisekedi et avec toutes les parties congolaises » a-t-elle fait savoir. La SADC en a fait de même et a félicité Tshisekedi pour son élection. Indépendamment des déclarations des uns et des autres, c’est l’intérêt de la population congolaise qui doit prévaloir. Est-ce que le fait d’avoir jeté de l’huile sur le feu lui a été bénéfique ? Il me semble qu’elle aurait plus à gagner si nos dirigeants politiques avaient une attitude plus humble et constructive. Des décennies d’ingérence d’ambassades et de gouvernements occidentaux n’ont pas servi les intérêts de la population. La campagne qui vient de se dérouler et les élections ont donné un nouveau souffle à la conscience politique et la confiance en soi des Congolais. Ceux-ci ont choisi l’alternance, car ils ne sont pas satisfaits du bilan du gouvernement précédent qui n’a pas suffisamment amélioré leurs conditions de vie. L’emploi, le logement, le transport, la sécurité, voilà quelques uns des défis gigantesques auquel le nouveau Président et son gouvernement devront s’attaquer à bras le corps. Et le peuple congolais sera là pour le lui rappeler constamment.
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