Complotisme: « Le plus grand danger? La polarisation de l’opinion »
Prolifération d’infox sur la pandémie et les vaccins, succès de documentaires qui mêlent mensonges et demi-vérités, essaimage de la nébuleuse QAnon jusqu’en Europe… Le chercheur Olivier Klein décrypte la popularité croissante des théories du complot, qui séduisent bien au-delà des mouvances extrémistes.
A la faveur de la crise sanitaire et des peurs et débats légitimes qu’elle entraîne, le phénomène complotiste a pris de l’ampleur, y compris en Belgique. Le documentaire Hold-up, qui entendait dénoncer une manipulation mondiale visant à asservir les populations, a été vu des millions de fois. Gros succès aussi pour Mal traités, film moins outrancier, qui accuse les pouvoirs publics d’avoir écarté des protocoles efficaces anti-Covid pour des raisons d’intérêts financiers. Par ailleurs, les partisans de la mouvance conspirationniste QAnon, largement représentés parmi les émeutiers qui ont envahi le Capitole de Washington le 6 janvier, ont déjà essaimé en Europe… Décodage de la popularité croissante des théories du complot avec Olivier Klein, professeur de psychologie sociale à l’ULB et à l’UMons.
Comment expliquer la popularité croissante des théories du complot?
Le phénomène n’est pas nouveau, mais la diffusion de ces théories est devenue massive aujourd’hui, ce qui accroît le potentiel d’adhésion aux idées complotistes. Le boom des réseaux sociaux a accentué cette exposition.
Notre sondage > Pourquoi les Belges croient autant aux théories du complot
Le conspirationnisme prend pour cible les pouvoirs en place. Un danger pour nos sociétés et institutions démocratiques ?
Il est bon, pour la santé de nos démocraties, que les vrais complots soient révélés, grâce à des enquêtes journalistiques ou judiciaires. Je pense notamment au scandale du Watergate en 1974, qui a fait tomber le président Richard Nixon, ou au sabotage du Rainbow Warrior, le navire de Greenpeace, par les services secrets français, en 1985. Les théories du complot, elles, partent du présupposé que le pouvoir est aux mains d' »élites » malfaisantes, liées entre elles. Toute information est interprétée à l’aune de cette croyance. Faute de base commune, il est difficile de dialoguer avec un adepte de ces théories. S’il pense que les infos des experts scientifiques officiels et des médias mainstream sont toutes biaisées, s’il est convaincu, malgré l’absence de preuve, de la victoire de Donald Trump, le débat ne peut s’instaurer. Pour que la démocratie fonctionne, il faut un socle commun à partir duquel nous pouvons gérer nos désaccords.
Toute discussion avec une personne qui défend des thèses complotistes serait donc vaine ?
Convaincre un complotiste qu’il fait fausse route est très compliqué. La seule solution pour maintenir le dialogue est de tenter d’identifier des points d’accord: une éventuelle inquiétude partagée sur les conséquences de la crise sanitaire ou de la vaccination, sur les restrictions à nos libertés, ou les pratiques des grands laboratoires pharmaceutiques… En revanche, contester frontalement les affirmations d’une personne séduite par les théories du complot ne fera que renforcer ses convictions. Elle va se recroqueviller sur ses idées. C’est une réaction normale, surtout quand on appartient à une communauté pour laquelle ces croyances sont centrales.
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Pourquoi les médias traditionnels sont-ils à ce point ciblés par les adeptes de théories du complot ?
Les complotistes ont une propension à considérer les journalistes comme des naïfs, des manipulés, qui manquent d’esprit critique. Or, c’est le discours complotiste qui n’a rien à voir avec la pensée critique, puisqu’il se fonde sur des a priori. Pour les adeptes de la théorie du complot, les médias classiques sont de mèche avec les dirigeants politiques et économiques, alors qu’en réalité, la presse est un indispensable contre-pouvoir, face aux pouvoirs qu’incarnent l’Etat, les multinationales… La défiance des complotistes les pousse à consulter d’autres sources, des médias alternatifs, moins crédibles et plus orientés, comme les sites extrémistes de droite ou la chaîne de propagande russe RT.
Le profil des adeptes du complotisme a-t-il changé ces dernières années ?
Beaucoup sont issus de l’extrême droite, d’autres de l’extrême gauche. S’y ajoutent de plus en plus des libertaires, des antivax, des personnes méfiantes à l’égard de nouvelles technologies et des adeptes des thérapies alternatives. Le complotisme se nourrit d’un manque de confiance dans les institutions.
L’attitude des complotistes a-t-elle elle-même évolué ?
Oui. Après le 11-Septembre, ceux qui contestaient la version officielle de la destruction des Twin Towers avaient la prétention de faire de l’investigation. Ils avançaient des éléments qui pouvaient instiller le doute. Aujourd’hui, ceux qui énoncent et répètent de fausses théories ne cherchent même plus à apporter la moindre preuve ou un indice. Un Donald Trump se contente de répéter: « Beaucoup de gens me disent que… » ou « Tout le monde sait que… ».
Qu’est-ce qui vous inquiète le plus dans la propagation des thèses complotistes ?
Le plus grand danger de la propagande complotiste est qu’elle polarise l’opinion. C’est d’ailleurs son but. Selon une étude de chercheurs américains, des trolls et bots russes présents sur Twitter ont envoyé à la fois des messages pro et antivaccins. La stratégie des officines de désinformation qui utilisent des comptes automatisés est de favoriser la discorde au sein de la société.
Pour aller plus loin: le blog d’Olivier Klein présente de courtes analyses sur les aspects psychosociologiques de la pandémie.
Comment détecter un discours complotiste?
« Grâce à ses figures rhétoriques, répond Olivier Klein. On y retrouve l’idée qu’un événement n’est pas arrivé par hasard, que tout est lié. L’exploitation de petits détails vise à tisser une autre histoire que la version des autorités. A cela s’ajoute l’obsession d’une élite occulte qui tire les ficelles, pour faire le mal, selon un plan secret. Hold-up, le documentaire complotiste sur la crise sanitaire, utilise une panoplie de techniques manipulatrices: le pathos et le ton apocalyptique pour susciter émotion, inquiétude et ressentiment. La technique du millefeuille argumentatif: on vous assène un tas de pseudo-preuves et de détails invérifiables afin de suggérer que tout ne peut pas être faux dans la démonstration. Le film a l’habileté de partir de vrais débats, sur le port du masque et le confinement, puis bascule progressivement vers une théorie du complot délirante. Mais jamais les intervenants n’expliquent où, quand et comment ce grand complot des élites s’est organisé concrètement. Quand on voit, rien qu’en Belgique, la difficulté qu’ont les gouvernements et experts scientifiques à se mettre d’accord entre eux depuis le début de la crise sanitaire, on a du mal à imaginer les puissants du monde orchestrer ensemble une vaste machination! »
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