Comment l’extrême droite a connu une percée fulgurante en Allemagne
Les élections législatives allemandes ont provoqué un séisme dans le paysage politique de nos voisins avec le succès retentissant du parti de droite populiste AfD (Alternative für Deutschland). Le parti, créé il y a à peine 4 ans, se positionne déjà comme la troisième force du pays, avec environ 13% des voix.
« Victoire cauchemardesque », « amère victoire », « à qui gagne perd ». Les titres de la presse allemande et étrangère sont plutôt éloquents pour qualifier la victoire d’Angela Merkel aux élections législatives. La chancelière va entamer un 4e mandat à la tête de l’État allemand, bien qu’elle devra tenter de convaincre les libéraux du FDP ainsi que les Verts pour former sa coalition (dite « Jamaïque »), respectivement crédités de 10,7 et de 8,9%. La CDU-CSU réalise un score historiquement bas avec 33% des voix, soit le résultat le plus faible depuis 1949 pour l’alliance conservatrice allemande. Quant au SPD mené par l’ancien Président du Parlement européen Martin Schulz, après avoir gouverné avec Merkel pendant deux législatures (2005-2009 et 2013-2017), il retourne dans l’opposition après avoir enregistré un cinglant revers hier, avec 20% des voix obtenues.
L’AfD va faire son entrée au Parlement
Mais c’est surtout vers l’AfD (Alternative für Deutschland) que les regards sont tournés. Avec environ 13% des voix, le parti de droite radicale allemand, anti-euro, anti-Islam et anti-immigration, est certain d’entrer au Bundestag avec environ 90 députés.
« Nous allons changer ce pays », a lancé la co-tête de liste, Alexander Gauland, quelques minutes après la publication des premiers sondages des télévisions publiques, en promettant de mener « une chasse » contre Angela Merkel.
Le score réalisé par la formation créée il y à peine quatre ans a bien évidemment suscité d’énormes réactions chez nos voisins, et son entrée au Parlement constitue un tournant dans l’histoire politique allemande d’après-guerre. En regard de son passé douloureux, l’Allemagne n’aura jamais connu une percée de la droite nationaliste et des mouvements identitaires, alors que ses voisins proches, comme la France, l’Autriche et les Pays-Bas n’y ont pas échappé.
« Pour la première fois en 70 ans, des nazis vont s’exprimer au Reichstag », avait déclaré le ministre des Affaires étrangères allemand et figure du parti social-démocrate, Sigmar Gabriel. Plusieurs rassemblements se sont d’ailleurs tenus hier soir dans toute l’Allemagne à la suite du résultat de la formation de droite radicale. À Berlin notamment, les militants antiracistes manifestaient leur colère aux cris de « tout Berlin hait les nazis », « nazis dehors », ou encore « le racisme n’est pas une alternative ». Les autres formations politiques ont qualifié l’entrée de l’AfD au Parlement comme « une honte pour l’Allemagne ».
Un parti né il y a à peine 4 ans
Mais le constat est là. Avec 13%, bien qu’elle n’ait aucune chance de faire partie du prochain gouvernement, l’AfD devient la troisième force politique et va compter dans le paysage allemand. Malgré les nombreux remous en interne et une guerre fratricide entre ses dirigeants, le parti eurosceptique aura réussi son pari en capitalisant notamment sur la décision d’Angela Merkel d’accueillir 1 million de réfugiés en 2015 et en 2016. Le parti allemand a depuis sa création radicalisé son discours en agitant les peurs à l’encontre des migrants essentiellement musulmans. Contrairement au FN en France, le parti a adopté une stratégie inverse, et a préféré radicaliser ses idées et ses propos plutôt que d’emprunter la voie de la « dédiabolisation ».
Durant cette campagne, la co-tête de liste, Alexander Gauland a dénoncé une « islamisation grandissante de l’Allemagne ». Cet ancien militant de la CDU d’Angela Merkel, âgé de 76 ans, a assuré que l’islam n’était pas une religion, mais une « doctrine politique » et que le terrorisme trouvait ses racines dans le Coran.
Le séisme est encore plus grand quand on sait que le parti n’est né qu’en avril 2013. Quelques mois seulement après son lancement, le parti nationaliste avait déjà inquiété les observateurs avec 4,7%, insuffisants à ce moment-là pour pouvoir espérer obtenir des députés au Bundestag. La formation allemande fait donc un bond colossal de 8 points environ en quatre ans.
En 2012, un professeur d’économie de l’Université de Hambourg, Bernd Lucke (élu en 2014 aux élections européennes) a le projet de créer un parti afin de lutter contre l’euro. Il rassemblait alors des bourgeois conservateurs qui estimaient que la politique d’Angela Merkel « était trop à gauche. » Plusieurs autres personnalités s’associent avec Lucke, comme Konrad Adam, un ancien journaliste, ou encore Alexander Gauland, qui était co-tête de liste du parti aux élections de ce week-end. Le parti est officiellement fondé en avril 2013. À la base, le leitmotiv de la formation politique réside dans la lutte contre l’euro et une volonté de retour au Mark, estimant que l’Allemagne avait « assez payé pour les autres » après la crise de la zone euro.
Radicalisation du discours
Au moment de l’arrivée des réfugiés en Allemagne en 2015, le parti connaît un tournant identitaire important avec des représentants de la droite nationaliste qui entrent dans ses rangs, dont certains membres sont proches du mouvement néo-nazi NPD. Complètement dépassé par les évènements, Bernd Lucke perd son titre de porte-parole du parti la même année au profit de Frauke Petry, une chimiste de formation de 40 ans, qui remporte l’élection interne avec 60% et précipite le renversement de la base militante proche de Lucke, qui décide de quitter l’AfD après sa défaite. Petry est désormais un des visages importants de l’AfD et symbolise le tournant identitaire, conservateur et nationaliste qu’a pris le parti suite à la crise migratoire européenne, avec un discours anti-immigration et anti-Islam de plus en plus exacerbé, en plus des propos révisionnistes sur le nazisme. Le parti multiplie les provocations en jouant notamment sur le passé compliqué de son pays: « Si les Français peuvent être fiers de leur empereur et les Britanniques de Nelson, de Churchill, nous avons le droit d’être fiers de ce que nos soldats ont accompli durant la Seconde Guerre mondiale », avait lâché Alexander Gauland. Provocateur.
Le parti de droite radicale s’était fait remarquer par sa rentrée dans plusieurs Parlements régionaux. Il est présent dans 13 des 16 Lander allemands, seules la Bavière, la Hesse et la Basse-Saxe leur échappent encore. Le score le plus marquant est celui obtenu en septembre 2016 lors des élections régionales de Mecklembourg-Poméranie-Occidentale, avec 21% environ, devançant même la CDU de Merkel.
Frauke Petry ne siégera pas au Parlement avec l’AfD, symbole d’un déchirement interne
Interrogé par RTL France, l’ambassadeur d’Allemagne à Paris reconnaît une « très mauvaise nouvelle pour le pays », mais estime tout de même que l’AfD sera fortement isolée au Parlement.
Contre toute attente, Frauke Petry a déclaré lors d’une conférence de presse ne pas vouloir siéger dans le groupe parlementaire à cause de « déclarations agressives du mouvement lors des élections ». « J’ai décidé après mûre réflexion de ne pas siéger au sein du groupe parlementaire » du parti au Bundestag, avant de quitter la salle. La guerre entre Petry et Gauland semble bien entamée, elle qui lui a reproché une déclaration à l’encontre d’Angela Merkel (la fameuse « chasse »), en déclarant qu' »il s’agit d’une rhétorique qui n’est pas constructive pour les électeurs modérés ». La baisse de régime dans les sondages début 2017 (7%), notamment à cause de la focalisation sur le duel Merkel-Schulz, en plus d’une énième dissension interne, ne se sera pas confirmée.
La percée du parti de droite nationaliste est inéluctable, mais le fait qu’il ne participera pas au prochain gouvernement, conjugué à ses très importantes querelles internes, laissera tout de même planer un doute quant à son efficacité, son évolution et son avenir dans le jeu politique allemand.
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