Birmanie: junte militaire, le retour
L’armée met fin à dix ans d’expérience démocratique encadrée. Aung San Suu Kyi a-t-elle eu tort de faire confiance aux militaires?
Consacré par les arrestations le lundi 1er février, à l’aube, du président de la République Win Myint et de la « conseillère d’Etat », l’équivalent de Première ministre, Aung San Suu Kyi, le coup d’Etat militaire en Birmanie est survenu à la veille de la rentrée parlementaire qui devait concrétiser la victoire de la Ligue nationale de la démocratie (LND) aux élections législatives du 8 novembre dernier. Le parti de la lauréate du prix Nobel de la paix 1991 avait remporté 258 des 330 sièges en jeu à la Chambre des représentants pour 26 seulement au Parti de l’union, de la solidarité et du développement, inféodé aux militaires. Ceux-ci ont prétexté un refus du gouvernement et de la commission électorale d’envisager un recomptage des voix après des accusations portant sur pas moins de dix millions de cas de fraudes pour reprendre le pouvoir et imposer l’état d’urgence pendant au moins un an. Spécialiste de la Birmanie, Frédéric Debomy (Frédéric Debomy, Aung San Suu Kyi, l’armée et les Rohingyas, éd. de l’Atelier, 2018) décrypte le contexte de ce coup d’Etat.
Aung San Suu Kyi a échoué à chaque fois qu’elle a voulu obtenir la révision de la Constitution de 2008 qui est à l’avantage des militaires.
Pourquoi ce coup de force intervient-il maintenant?
On doit constater la faible tolérance des militaires birmans quand ce ne sont pas eux qui ont tout le pouvoir. Le phénomène est d’autant plus frappant que l’espace politique qu’ils avaient laissé à Aung San Suu Kyi était restreint. Bien des commentateurs ont manqué de mentionner cet élément au cours des dernières années. On pouvait parfaitement s’interroger sur la politique d’Aung San Suu Kyi et la critiquer. Mais il ne fallait pas oublier l’essentiel: sa marge de manoeuvre était réduite ; sa cohabitation avec les militaires était fragile ; et ce sont eux qui, en dernier ressort, pouvaient décider de son maintien ou non en politique. Aujourd’hui, ils décrètent que l’expérience est finie et reprennent la main. Les choses semblent se dessiner en ce sens. Mais en fait, au cours des dernières années, ils ont obtenu beaucoup, du retour dans la communauté des nations jusqu’au nettoyage ethnique des Rohingyas, en laissant une très faible place aux forces issues du mouvement démocratique. Même cela semble désormais trop pour eux.
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L’armée est-elle unanime derrière le commandant en chef Min Aung Hlaing, homme fort du régime?
Lors de l’ouverture concédée par les militaires au début des années 2010, on a cru percevoir des courants plus ou moins réformateurs au sein de l’armée. Mais on n’a jamais vu jusqu’à présent de forces militaires profondément réformatrices qui aient pu pousser plus loin la démocratisation. Cela étant, l’armée est assez opaque. Les débats internes qui s’y déroulent sont difficiles à identifier. Mais le schéma qui se répète est « un homme, trois pouvoirs ». Cela a été le cas avec Than Shwe (NDLR: chef de la junte militaire de 1992 à 2011). C’est aujourd’hui le tour de Min Aung Hlaing et il n’est pas désavoué.
Aung San Suu Kyi a appelé à ne pas accepter le coup d’Etat. Sera-t-elle suivie?
L’indignation est en tout cas palpable. Mais la stratégie d’Aung San Suu Kyi n’a jamais été de pousser à des manifestations. Qu’elle incite les Birmans à s’opposer au coup d’Etat revient à leur faire prendre des risques réels. C’est assez inédit. Sera-t-elle suivie? Sa popularité est toujours forte. Il n’est donc pas impossible que cela se produise. Mais quand les Birmans manifestent, cela finit généralement dans un bain de sang. C’est arrivé en 1988 et en 2007. On peut à nouveau craindre une répression musclée. Du reste, une répression, préventive en quelque sorte, est déjà en cours.
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En regard des dix dernières années, Aung San Suu Kyi a-t-elle eu tort de faire confiance aux militaires?
Dans un de mes livres, j’interrogeais son extrême pragmatisme. On s’est demandé à un moment donné si elle avait réellement une stratégie autre que de se montrer de bonne composition avec les militaires. C’était comme si elle espérait qu’en se montrant conciliante, les militaires allaient accepter davantage de réformes. Un des grands enjeux pour Aung San Suu Kyi était d’obtenir la révision de la Constitution de 2008 qui est à l’avantage des militaires. Elle a échoué à chaque fois. A-t-elle eu raison ou tort? On peut continuer à s’interroger sur sa politique. Il est légitime d’avoir été troublé par son attitude sur la question des Rohingyas, particulièrement au moment du nettoyage ethnique que cette minorité musulmane a subi, par son caractère autoritaire, ou par sa surdité à entendre des informations n’allant pas dans son sens. Mais l’urgence aujourd’hui est de prendre conscience de ce qui se passe en Birmanie. Face à la reprise en main du pouvoir par les militaires, il est important d’être du côté d’Aung San Suu Kyi. Il est important que la communauté internationale demande le respect des résultats des élections et la libération d’Aung San Suu Kyi et de tous ses partisans.
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