Birmanie: Aung San Suu Kyi condamnée à 4 ans de prison
Un tribunal birman a condamné Aung San Suu Kyi à quatre ans de prison pour incitation aux troubles publics et violation des règles sanitaires liées au Covid. Icône de la démocratie, puis paria sur la scène internationale avec le drame des musulmans rohingyas, elle est redevenue une proie impuissante dans les griffes des généraux. Elle incarne le destin tumultueux de la Birmanie.
La prix Nobel de la paix, renversée par l’armée en février, « a été condamnée à deux ans de prison en vertu de la section 505(b) et à deux ans de prison en vertu de la loi sur les catastrophes naturelles », a déclaré à l’AFP Zaw Min Tun. L’ancien président Win Myint a été condamné à la même peine, a-t-il dit, ajoutant qu’ils ne seraient pas conduits en prison pour le moment. « Ils devront faire face à d’autres accusations depuis les lieux où ils séjournent actuellement » dans la capitale Naypyidaw, a-t-il ajouté, sans donner plus de détails.
Aung San Suu Kyi, âgée de 76 ans, est détenue depuis que les généraux ont renversé son gouvernement aux premières heures du 1er février, mettant ainsi fin à une brève parenthèse démocratique en Birmanie. La junte a régulièrement accumulé les chefs d’accusation contre elle, dont la violation de la loi sur les secrets officiels, la corruption et la fraude électorale. Elle risque des dizaines d’années de prison si elle est reconnue coupable de tous les chefs d’accusation.
La faire taire définitivement
L’ex-dirigeante, renversée par un coup d’Etat en février, a passé près de 15 ans en résidence surveillée sous les précédentes dictatures militaires. Confinée dans sa maison au bord d’un lac à Rangoun, elle s’adressait alors à des centaines de partisans réunis de l’autre côté de la clôture de son jardin.
Aujourd’hui, sa situation est radicalement différente. Tenue au secret dans la capitale Naypyidaw, ses contacts avec l’extérieur se limitent à de brèves rencontres avec ses avocats. Beaucoup de ses proches ont été arrêtés ou sont en fuite.
Les généraux sont bien décidés à la faire définitivement taire. Elle est inculpée d’une multitude d’infractions (sédition, corruption, fraude électorale…) et risque des décennies de prison.
« Je ne crois pas en l’espoir, je ne crois que dans le travail (…) L’espoir seul ne nous mène nulle part », confiait-elle à l’AFP en août 2015.
Quelques mois plus tard, son parti, la Ligue nationale pour la démocratie (LND), remportait un scrutin historique et Suu Kyi était propulsée à la tête de l’exécutif.
Une position qu’elle aurait dû conserver après le triomphe de la LND aux législatives de 2020, si les généraux n’en avaient pas décidé autrement.
– « Fille de mon père » –
La vie d’Aung San Suu Kyi a toujours flirté avec le drame. En 1947, son père, héros de l’indépendance, est assassiné. Elle n’a que deux ans et vit ensuite longtemps en exil, en Inde puis en Grande-Bretagne, l’ex-puissance coloniale.
Elle y mène la vie d’une femme au foyer, mariée à un universitaire d’Oxford spécialiste du Tibet, Michael Aris, avec qui elle a deux enfants.
En 1988, elle rentre en Birmanie au chevet de sa mère et surprend tout le monde en décidant de s’impliquer dans le destin de son pays, en pleine révolte contre le régime militaire.
« Je ne pouvais pas, en tant que fille de mon père, rester indifférente », lance-t-elle lors de son premier discours.
La répression de 1988 fait quelque 3.000 morts, mais marque la naissance de l’icône pour tout un peuple écrasé par la dictature depuis 1962.
Autorisée à former la LND, elle est rapidement placée en résidence surveillée et assiste, de loin, à la victoire de son parti aux élections de 1990, un résultat que la junte refuse de reconnaître.
En 1991, Suu Kyi reçoit le prix Nobel de la paix mais ne peut se rendre à Oslo. Elle attendra plus de 20 ans pour venir chercher la récompense.
Quelques années plus tard, son mari, resté au Royaume-Uni, meurt d’un cancer sans qu’elle puisse lui dire adieu.
Après près de 15 ans de résidence surveillée, elle est libérée en 2010 et entre au Parlement, deux ans plus tard, dans la foulée de l’autodissolution de la junte. La victoire de son parti en 2015 lui donne les clés du gouvernement.
– Rupture à l’international –
Rapidement, l’image de l’icône se fendille à l’international.
Certains lui reprochent sa conception autocratique du pouvoir, piégée par sa « position de quasi-princesse adulée dans son pays », commente le politologue Nicholas Farrelly.
Elle est aussi obligée de composer avec les militaires restés très puissants. En 2017, quelque 750.000 musulmans rohingyas fuient les exactions de l’armée et de milices bouddhistes, un drame qui vaut à la Birmanie d’être accusée de « génocide » devant la Cour internationale de Justice (CIJ).
Suu Kyi ne condamne pas les généraux. Pire, elle décide de venir en personne défendre son pays devant la Cour, niant « toute intention génocidaire ». Mais la victoire de son parti aux législatives de 2020 provoque l’ire des militaires et elle est renversée.
Enfermée, réduite au silence, « Mère Suu » a peu d’influence sur la Birmanie d’aujourd’hui. De nombreux Birmans ont même renoncé à l’un de ses principes fondamentaux, la non-violence, et mènent des opérations de guérilla contre la junte.
« La gouvernance de Suu Kyi contient forcément des ratés et des frustrations », résume Sophie Boisseau du Rocher de l’Institut français des relations internationales. « Mais elle a permis un appel d’air qui donne aujourd’hui au peuple la force de résister ».
Selon une ONG locale de défense des droits, plus de 1.300 personnes ont été tuées et plus de 10.000 arrêtées dans le cadre de la répression de la dissidence depuis le coup d’État.
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