Biram Dah Abeid: « Lutter contre le racisme en tant qu’humain, non en tant que Noir »
Pour Biram Dah Abeid, président du mouvement antiesclavagiste IRA en Mauritanie, déboulonner des statues relève du spectacle. « Il faut mettre en place des garde-fous institutionnels. »
Biram Dah Abeid est président de l’Initiative pour la résurgence du mouvement abolitionniste (IRA), un groupe antiesclavagiste en Mauritanie, député national et ancien candidat à l’élection présidentielle de 2019. A l’occasion des manifestations antiracistes et du déboulonnage de statues de personnages historiques contestés pour avoir été mêlés à l’esclavage, nous avons recueilli son point de vue, lui qui est en lutte contre le racisme dans son propre pays, la Mauritanie.
Comment ressentez-vous, en tant que président d’un mouvement antiesclavagiste en Mauritanie, la dynamique de Black Lives Matter ?
La destinée de George Floyd est celle de beaucoup de Noirs, entre autres dans le monde arabe. Mais je voudrais dire avant tout que le combat contre le racisme est un combat universel. Certes, il y a des personnages historiques blancs qui ont trempé dans l’institutionnalisation du racisme. Mais ce combat ne doit pas être porté par la seule communauté noire contre les Blancs. C’est réducteur. En Mauritanie, les suprémacistes ne sont pas des Blancs, mais des Maures d’origine arabe. En outre, avant de désigner des coupables à leur malheur, les Africains doivent d’abord balayer devant leurs portes : l’esclavage a été pratiqué par les Africains eux-mêmes ! Et certains d’entre eux ont d’ailleurs activement collaboré à la traite atlantique ou arabe.
Vous qui luttez contre la persistance de l’esclavage dans votre pays, pensez-vous que les moyens de la contestation utilisés par le mouvement Black Lives Matter soient efficaces ?
Déboulonner des statues, faire la promotion de la mise à genou des » coupables » n’est pas suffisant. Cela relève du spectacle. Il faut mettre en place des garde-fous institutionnels, organiser des mécanismes de sanction qui contribueront à la prise de conscience. Mais encore une fois, cela n’est pas qu’une affaire de Blancs et de Noirs. J’ai été étonné qu’un mouvement similaire ne se soit pas enclenché lorsque des marchés aux esclaves ont été découverts en Libye par exemple, révélant que des Noirs étaient vendus en place publique. N’est-ce pas l’expression même du statut chosifié du Noir qui a lieu dans de nombreuses sociétés humaines ?
Quelle est votre vision du combat à mener ?
La vision racialiste ne peut pas bâtir une pérennité de la coexistence. Nous devons prendre position contre le racisme à travers notre condition d’humain, non de Noir. Ce n’est pas à nous seuls de partir à la conquête des droits universels. Si c’est le cas, la donne est faussée dès le départ. Sans cette réaffirmation de l’universalité du combat contre le racisme, il y aura une segmentation des indignations et des douleurs. Notre droit comme Noir est d’être traité comme un humain, qui est l’égal d’un autre humain. Le racisme peut traverser le coeur de tout homme, qu’il soit blanc, noir, arabe ou chinois.
Les Noirs n’ont-ils pas un rôle particulier à jouer en tant que victimes principales de l’esclavage ?
Il faut arrêter d’idéaliser l’Afrique. Je suis peiné quand je vois que certains Afro-Américains idéalisent tant l’Afrique. Ils ne la connaissent pas. Il ne faut pas absoudre les esclavagistes noirs parce qu’ils sont noirs. Dans son combat pour les droits des Afro-Américains, Malcolm X s’est adossé à l’islam. En faisant cela, savait-il à quel point il s’est lié à un système raciste ? On ne peut laver le sang par le sang.
Le mouvement Black Lives Matter a-t-il un écho en Afrique ?
Les jeunes militants politisés africains sont très déçus par la démocratisation qui n’a pas abouti, dans la majeure partie des pays, à un réel changement économique ou politique. Pour en finir avec la domination européenne sur l’Afrique, ils préfèrent soutenir des hommes comme Hugo Chávez ou Mouammar Khadafi. Mais selon moi, ils commettent l’erreur de jeter le bébé avec l’eau du bain. Ils ne se rendent pas compte qu’il y a aussi dans l’apport culturel français et occidental, le langage de la révolution, celui d’une culture de l’émancipation individuelle.
Pouvez-vous en donner un exemple ?
En Mauritanie, les Maures d’origine arabe qui dominent la société ont im- posé l’arabe comme langue officielle et combattent la langue française. Cela n’est pas anodin : ils ne veulent pas que les populations s’approprient le langage vernaculaire de la liberté. En 2016, lorsque le président gabonais Ali Bongo a été réélu, la France a dénoncé les fraudes électorales. Mais beaucoup de jeunes militants africains ont préféré apporter leur soutien à leur propre dictateur, au nom du rejet de la France. Pourtant, dans ce cas, la position française était juste ! Elle permettait de faire avancer le pays. Le modèle occidental est un patrimoine qui doit être préservé pour toute l’humanité.
Comment ressentez-vous la situation des Africains en Europe ?
En France et en Belgique, je sens que l’intégration a échoué. Il n’y a pas eu de mise en place d’un système d’ascenseur social. L’élitisme a caractérisé l’intégration et les réussites se font par effraction. A cet égard, l’intégration des Afro- Américains me semble meilleure.
Quel avenir voyez-vous pour ces mouvements antiracistes nés aux Etats-Unis ?
Il faut qu’ils gardent d’abord les pieds bien sur terre et restent lucides. Sinon, il n’y aura pas d’avenir pour ces mouvements.
Kwame Anthony Appiah, philosophe américano-britannique d’origine ghanéenne et professeur dans les universités américaines, explique dans une interview au mensuel Philosophie magazine l’origine du système de hiérarchie raciale en vigueur aux Etats-Unis. » L’esclavagisme transatlantique reposait sur un système de statuts sociaux. Dans ce système, les Noirs les plus riches, les plus instruits, les plus talentueux, valaient moins que les Blancs les plus pauvres, les moins instruits et les moins doués. Un Noir pouvait être méprisé par n’importe quel Blanc. De fait, […] cela faisait partie d’une sorte de contrat social entre une élite blanche et une classe sociale blanche défavorisée : les Blancs pauvres acceptaient la subordination de classe, mais en échange, ils avaient le droit d’éprouver une fierté raciale. Le système racial américain explique entre autres la faiblesse des syndicats aux Etats-Unis, à une exception près, qui n’est pas inintéressante : celle des syndicats de police, qui sont en partie responsables des tensions qui règnent entre la police et la communauté noire. Si les policiers dont les abus sont sanctionnés sont si peu nombreux, c’est notamment parce que leurs syndicats sont très puissants. »
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