Au Katanga, près d’un aveugle sur deux pourrait retrouver la vue
Le Katanga, cette province de la RDC qui fait plus de seize fois la Belgique, possède l’un des sous-sols miniers les plus riches du monde. Convoitée par les plus grandes puissances occidentales et asiatiques, cette région abrite une population extrêmement pauvre qui souffre d’un manque criant d’infrastructures sanitaires. Le Congo est aussi le pays qui affiche le plus important pourcentage d’aveugles au monde. Pourtant, pour plus de 50% d’entre eux, une simple opération pourrait leur rendre la vue. Reportage à l’occasion de la Journée mondiale de la Vue.
En parcourant les rues de l’ancienne cité pour mineurs de Kipushi, non loin de Lubumbashi, on ne peut que constater la décrépitude des lustres d’antan. Les bâtisses sont vétustes et les routes asphaltées ne sont plus qu’un lointain souvenir. Dans cette région à la terre rouge et sèche, tout semble endormi, comme pour mieux être recouvert par la poussière.
C’est dans une petite maison de Kipushi, au coeur de ce qui ressemble fort à un bidonville, que vivent Kasadi Mulenga, sa femme et ses 4 enfants. Trois étaient pratiquement aveugles de naissance suite à une cataracte congénitale, l’une des causes de cécité les plus courantes en RDC qui compte près de 25.000 enfants aveugles. Kasadi souffre, lui-même, de cette maladie. Mais une opération ratée à l’âge de 6 ans a mis fin à ses espoirs de retrouver, un jour, une bonne vue.
Petit chinois
Comme de nombreux pères, Kasadi souhaite que ses enfants suivent une scolarité normale. Pourtant, la cécité de ces derniers hypothéquait gravement ce souhait. Refroidi par l’échec de sa propre opération, Kasadi était, en effet, très sceptique sur le bienfondé d’une intervention pour rendre la vue à ses enfants.
Au Katanga, la mission d’information est aussi importante que les soins. Le handicap est souvent tabou en Afrique, et de nombreux malades hésitent à se faire opérer. Certains aveugles ou malvoyants pensent que la cécité est une punition divine ou une « sorcellerie » contre laquelle rien n’est possible. Ou encore que se faire soigner est un luxe réservé aux nantis. En n’oubliant pas les trop nombreux charlatans qui font plus de mal que de bien et donnent une réputation douteuse aux personnels soignants. Plus graves encore, d’étranges rumeurs circulent autour des opérations oculaires. Comme celle qui prétend que l’on remplace les yeux des malades par des yeux chiens, de porcs ou de chats.
C’est dans ce contexte de méfiance généralisée que les cliniques mobiles jouent un rôle de première ligne en parcourant les villages à la recherche de personnes aveugles ou malvoyantes. En leur fournissant aide et conseils, elles effectuent un travail de prévention et de soins capital. Car souvent les gens ignorent qu’il existe une méthode sûre et efficace à leur problème. Kasadi Mulenga, le jeune père de famille, avoue que c’est sa femme qui a réussi à le convaincre de laisser ses enfants se faire opérer.
Lorsque nous rencontrons la famille Mulenga, cela fait près d’un an que les trois enfants ont subi l’intervention. S’ils portent des lunettes- comme c’est souvent le cas pour les enfants qui sont opérés de la cataracte afin d’éviter des complications et un oeil paresseux- ils peuvent désormais suivre une scolarité normale. Comme le précise Immaculée, 9 ans, « Je suis heureuse qu’on ne m’appelle plus la Chinoise ». Un surnom hérité du plissement répété de ses yeux pour mieux y voir.
Il n’y a que quatre médecins qui savent opérer la cataracte infantile
Le docteur Richard, qui opère plusieurs fois par an des enfants dans la Clinique Ophtalmologique Sainte Yvonne, insiste sur le fait qu’il est primordial de s’attaquer au problème dès le plus jeune âge, puisque jusqu’à leur huit ans, les enfants sont encore dans l’âge sensitif, soit l’âge où le cerveau peut réapprendre à voir. Mais il est préférable d’opérer l’enfant avant ses 6 ans pour lui permettre de récupérer un maximum de capacité visuelle. Il est donc primordial pour leur avenir d’opérer les enfants au plus tôt. Ce n’est pourtant pas une évidence. En effet, au Congo seuls quatre ophtalmologues sont capables d’effectuer les délicates opérations infantiles.
Si pour les enfants la situation est catastrophique, ce n’est pas mieux pour les adultes. Dans un pays où 1 % de la population est aveugle, soit l’un des taux les plus importants au monde, il n’y a qu’une centaine d’ophtalmologues. Cette pénurie massive a pour conséquence que près de 600 000 aveugles (on estime qu’il y a entre 492 et 675.000 aveugles en RDC) et 4 millions de malvoyants ne sont pas soignés correctement. C’est d’autant plus regrettable que 80% des cas de cécité pourrait être évité ou guéri sans moyens colossaux. En effet la cataracte, par exemple, est quelque chose de réversible et 50% des personnes touchées par cette maladie pourrait retrouver la vue suite à une opération peu onéreuse, effectuée sous anesthésie locale et réalisée en moins d’une demi-heure.
Les chirurgiens de la clinique Sainte Yvonne utilisent les techniques opératoires les plus modernes comme la phacoémulsification. Une technique qui fragmente le cristallin pour pouvoir l’expulser par morceau. Ce dernier est ensuite remplacé par une lentille pliable. Un procédé qui réduit les incisions dans l’oeil et donc les risques d’infections. Contrairement à ce que l’on pourrait croire à la vue des bâtiments vétustes, les conditions d’hygiène sont très correctes et l’on ne constate que peu d’infections liées à l’opération. Ce qui n’est pas le cas de tous les hôpitaux. Fin 2014, ils ont aussi pu acquérir une caméra rétinienne numérique. Une grande première puisqu’il s’agit de l’unique appareil de ce genre utilisé en RD du Congo.
La cataracte
La cataracte est la principale cause de cécité en Afrique. Elle rend 18 millions de personnes aveugles dans le monde. Pourtant, dans la majorité des cas cette maladie est réversible. La cataracte est une opacification du cristallin qui donne l’impression de vivre dans un brouillard permanent. Alors que dans nos contrées la cataracte est une maladie souvent liée à l’âge, en Afrique les enfants en souffrent aussi. Parfois, celle-ci est congénitale et est la conséquence d’un trouble du développement du cristallin ou d’une infection lors de la grossesse. Mais elle peut aussi apparaître plus tard de façon héréditaire ou accidentelle suite à un coup ou encore comme corollaire au diabète. Plusieurs facteurs peuvent donc causer cette maladie, mais un seul remède est efficace et il consiste à remplacer le cristallin par une lentille de synthèse. Simple et peu chronophage, l’opération a aussi un effet immédiat puisque dès le lendemain le patient retrouve la vue. Les enfants auront néanmoins besoin de suivre une thérapie visuelle et de porter de lunettes pour réapprendre à utiliser la vue retrouvée. Cette thérapie intervient également auprès des enfants ayant une basse vision définitive, qui ne peut plus être améliorée par une intervention chirurgicale.
Une aide durable
Nombre d’ophtalmologues diplômés de RDC n’ont jamais ou presque effectué une opération de la cataracte. C’est pourquoi, au-delà des services offerts et de l’aide ponctuelle de certains médecins, il est primordial de former le personnel pour pérenniser l’aide à travers le temps. C’est l’une des missions de Lumière pour le monde, une ONG belge qui s’est spécialisée dans l’aide aux aveugles en Afrique et l’une des rares présente au Katanga. Mais l’association ne s’applique pas seulement à former le personnel pour les hôpitaux mobiles, les ophtalmologues et autres techniciens de la vue qui offrent des lunettes à ceux qui ont juste besoin d’une paire de lunettes adaptées. Elle organise aussi, en collaboration avec des réseaux locaux, l’insertion des enfants malvoyants dans les écoles et aide ceux qui n’arrivent pas à se payer des soins. En effet, malgré le fait que les hôpitaux partenaires de l’ONG ( il y en a trois : à Lubumbashi, Likasi et Mbuji-Mayi. Un quatrième est prévu à Kolwezi) pratiquent des prix très démocratiques (40 euros pour un oeil opéré de la cataracte, ce qui représente le cout réel d’une telle opération), certains patients n’ont pas les moyens et sont alors financièrement aidés.
Grâce au principe de Robin des bois – ceux qui le peuvent payent plus cher des services plus luxueux comme une chambre individuelle ou de plus belles lunettes -, l’hôpital, tout en pouvant offrir des services à prix réduits ou gratuits, est autosuffisant à hauteur de 60%. Le 40% restant étant subsidié par l’ONG. Un équilibre financier qui semble prometteur pour le futur.
Devant la réelle misère qui règne au Congo, il ne s’agit là pourtant que d’une goutte d’eau, et d’aucuns pourraient se demander si en agissant ainsi à leur place on ne dédouane pas les autorités locales de leurs carences en matière d’aide à la population. Reste que sur place, on ne peut que constater – devant le sourire et la reconnaissance des patients – l’utilité de ce genre d’initiative. Loin d’être anodin, rendre la vue a tout du miracle. Un miracle qui permet aux aveugles et malvoyants d’envisager leur avenir plus sereinement et de mieux lutter contre la précarité.
Qu’est-ce Lumière Pour le Monde ?
Lumière pour le monde est une ONG belge qui lutte contre la cécité et pour l’amélioration de la qualité de vie des personnes avec un handicap visuel. Bien qu’elle concentre son action sur la prévention et la guérison de la cécité, elle souhaite aussi défendre le droit des personnes handicapées visuelles en Afrique ainsi que leur insertion dans la société tout en aidant à la formation d’un personnel soignant qualifié. Elle fait partie d’une confédération plus large avec des organisations « soeurs » en Autriche, aux Pays-Bas et en République tchèque. Elle est active au Burkina Faso, en République Démocratique du Congo, au Rwanda et en Tanzanie. Elle n’est propriétaire d’aucun hôpital et agit sur base de partenariat pour soutenir des institutions et du personnel local, et ce afin d’offrir une aide durable. Fonctionnant principalement sur base de dons, et suivant le principe que même de petites contributions peuvent faire la différence, elle a besoin de la générosité de chacun pour poursuivre son oeuvre.
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