Abus sexuels, omerta, bastion gay au Vatican… L’église est en pleine crise existentielle
Le sommet du Vatican sur la pédophilie a déçu les victimes. Les mesures concrètes se font attendre, alors que la crise gangrène une Eglise catholique déjà fragilisée. Jusqu’où ira la descente aux enfers ? Le modèle clérical à bout de souffle est-il réformable ?
Sale temps pour l’Eglise catholique ! La mise au jour, de l’Europe à l’Australie, des Etats-Unis au Chili, d’une pédocriminalité de grande ampleur au sein du clergé et, surtout, de sa dissimulation par le système ecclésial fait trembler sur ses bases un édifice déjà fragilisé par la sécularisation de la société. Il est sans doute trop tard pour les replâtrages. Seuls des changements radicaux assureront la survie de l’institution catholique romaine. Pourtant, de toute évidence, l’Eglise n’a pas encore mesuré l’étendue du désastre. Les maigres résultats du sommet du Vatican sur les violences sexuelles de prêtres et religieux le confirment.
Les responsables de l’église n’ont pas encore mesuré l’étendue du désastre.
Les victimes de ces abus et leurs défenseurs n’ont pas caché leur déception après le discours de clôture du pape, le 24 février. Certes, François a affiché devant les 190 participants (présidents de conférences épiscopales, supérieurs d’ordres religieux…) la détermination de l’Eglise à lutter contre le fléau, qu’il qualifie de » monstruosité « . Mais au lieu d’annoncer les » mesures concrètes et efficaces » pourtant réclamées par lui-même lors de l’ouverture du sommet, il a surtout donné une signification théologique aux violences, voyant derrière les abus sexuels la figure du diable. Et il a replacé la réalité de ces abus dans un contexte global ( » Ils existent malheureusement presque partout « ), au risque de relativiser le phénomène qui gangrène l’Eglise, pourtant objet de la rencontre vaticane.
Des actes concrets ?
Ce sommet aura-t-il été avant tout une » opération de communication interne et externe « , comme le suggère Christine Pedotti, intellectuelle et catholique de gauche, auteure d’une lettre ouverte aux responsables de l’Eglise, accusés de » silences coupables » ( Qu’avez-vous fait de Jésus ?, éd. Albin Michel) ? La » tolérance zéro » prônée par le pape se réduit-elle à des paroles, à des voeux pieux ? Les représentants d’associations de victimes de différents pays présents à Rome pour le sommet réclamaient des décisions et des changements tangibles : renvoi systématique des prêtres fautifs de l’état clérical, révocation des évêques convaincus d’avoir protégé des coupables, création d’une » commission vérité » indépendante qui rendrait publiques des archives de l’Eglise – dont celles du Saint-Siège – sur les abus et leur dissimulation…
» Il est clair que ce sommet n’allait pas, une fois pour toutes, régler le problème des abus sexuels commis au sein de l’Eglise, commente le prêtre-chroniqueur Eric de Beukelaer, vicaire épiscopal de Liège. Son objectif était de mettre ce crime clairement à l’ordre du jour de toutes les conférences épiscopales du monde. » A ce stade, il est seulement question de créer une task force pour aider les diocèses » sans moyens et sans personnel formé » ; d’établir un vade-mecum des démarches à entreprendre en cas d’agressions sexuelles ; et d’adopter une législation destinée à encadrer la lutte anti-abus au sein de la curie et la cité du Vatican.
Dossiers détruits
» Des procédures adéquates devront être mises sur pied dans toutes les conférences épiscopales et ce, sous la supervision du Vatican, reconnaît l’abbé de Beukelaer. Une participation plus grande de fidèles laïcs, dont des femmes, dans ces procédures, permettra de sortir d’un regard trop homogène de la part d’un corps ecclésiastique exclusivement masculin et célibataire. C’est également de ce côté-là qu’il me semble qu’une réforme du Vatican et des diocèses portera ses fruits. » Il y a urgence : lors du sommet sur la pédophilie, le cardinal allemand Reinhard Marx, proche conseiller du pape, a admis que l’Eglise avait détruit des dossiers sur des auteurs d’abus sexuels dans ses rangs : » Au lieu des coupables, ce sont les victimes qui ont été réprimandées et on leur a imposé le silence. »
Ce même cardinal a présenté, l’automne dernier, un rapport universitaire selon lequel, en Allemagne, quelque 3 700 mineurs ont été agressés sexuellement par des clercs catholiques entre 1946 et 2014. En Australie, près de 4 500 cas d’abus ont été identifiés entre 1980 et 2015. Aux Etats-Unis, la justice a révélé, en août dernier, que des abus sexuels perpétrés par 300 prêtres de Pennsylvanie ont fait 1 000 victimes mineures. Dans la foulée, des diocèses ont publié des listes noires et une dizaine d’Etats ont initié des investigations pour mettre au jour les abus des prédateurs. De son côté, le pape François a sonné, le 16 février, la fin de l’impunité au sommet de l’Eglise : la Congrégation pour la doctrine de la foi (CDF) a reconnu le cardinal Theodore McCarrick, ancien archevêque de Washington, coupable d’abus sexuels et d’abus de pouvoir sur majeurs et mineurs. Le Vatican a pris la décision de le défroquer, sentence définitive et sans recours, a tranché le pape. C’est la première fois dans la longue histoire de l’Eglise qu’un cardinal est ainsi rendu à la vie laïque pour des motifs d’abus sexuels.
Le sommet de l’iceberg
En Belgique aussi, l’Eglise catholique a connu son lot de scandales, dont celui qui a conduit, en 2010, à la démission de Roger Vangheluwe, l’ancien évêque de Bruges, qui a reconnu avoir abusé sexuellement de deux de ses neveux. L’Eglise belge s’efforce de tourner la page de cette » période noire » de son histoire. Elle reconnaît néanmoins que les 1 054 victimes qui se sont manifestées depuis 2010 en Flandre et dans le reste du pays ne sont, en réalité, que » le sommet de l’iceberg « .
En Pologne, dernier grand bastion catholique d’Europe, où le silence a longtemps prévalu sur les abus sexuels des prêtres, la parole se libère parmi les fidèles et les victimes. Le 21 février, à Gda?sk, trois hommes sont parvenus à déboulonner l’imposante statue du père Henryk Jankowski, l’aumônier attitré et icône du syndicat Solidarnosc, décédé en 2010. Ce prêtre, qui fut l’ami et le confesseur de Lech Walesa, est accusé d’avoir abusé de jeunes garçons et de jeunes filles pendant des décennies. Dans un manifeste, les activistes critiquent l’Eglise qui a » couvert » ce prêtre et les autorités publiques qui l’ont » honoré « .
Mains aux fesses
En France, la dernière affaire en date a une dimension diplomatique : Mgr Luigi Ventura, 74 ans, nonce apostolique depuis 2009, est visé par deux plaintes pour attouchements. Les plaignants : un jeune cadre de la mairie de Paris (les faits remonteraient à janvier) et un contractuel de la mairie (approché un an plus tôt). D’autres jeunes hommes disent avoir subi les mêmes gestes – mains aux fesses ou sur les cuisses… – de la part de Mgr Ventura. Ces faits supposés auraient eu lieu lors de cérémonies, de réceptions officielles ou d’entretiens privés. Reste à savoir si Rome a eu vent des soupçons de gestes déplacés.
Toujours en France, la sortie en salles, le 20 février (le 3 avril en Belgique), de Grâce à Dieu, le film de François Ozon qui dénonce le silence de l’Eglise face aux scandales de pédophilie, a relancé la médiatisation de l’affaire Preynat-Barbarin. Le sujet est inspiré d’une histoire vraie : le combat mené par l’association créée par les victimes de Bernard Preynat, prêtre lyonnais mis en examen pour atteintes sexuelles sur mineurs de moins de 15 ans. Ancien aumônier, Preynat est accusé d’avoir agressé sexuellement 70 enfants, des scouts, des années 1970 à 1986. Son procès doit avoir lieu à la fin de l’année, tandis que le 7 mars sera rendu le jugement dans le procès du cardinal Philippe Barbarin, archevêque de Lyon et primat des Gaules, accusé de ne pas avoir dénoncé Preynat à la justice alors qu’il avait connaissance des accusations de pédophilie.
Bastion gay au Vatican
Au moment-même de la sortie du film de François Ozon et de l’ouverture du sommet sur la pédophilie a éclaté une autre » bombe » : la parution, le 21 février dans une vingtaine de pays à la fois et en huit langues, du livre Sodoma. Enquête au coeur du Vatican (Robert Laffont, 632 p.). L’auteur, Frédéric Martel, décrit l’omniprésence de l’homosexualité dans les hautes sphères du Saint-Siège. Le journaliste, lui-même ouvertement gay, classe cette communauté d’hommes qui vivent en circuit fermé en plusieurs catégories : les homophiles, fidèles à leur voeu de chasteté, mais façonnés par leur sensibilité ; les hommes qui vivent mal leurs penchants homosexuels et s’imposent des punitions ; les gays qui vivent avec un partenaire stable, en général leur assistant ; et les homosexuels qui multiplient les partenaires ou ont recours à la prostitution. » Dans les bas-fonds, du côté de la gare romaine Termini, se côtoient deux misères sexuelles, celle des migrants prostitués et celle des prêtres. »
L’abbé de Beukelaer en convient : » L’auteur n’est pas un zozo et son enquête est solide. Bien sûr qu’il y a des homosexuels dans l’Eglise et, donc, au Vatican et sans doute en plus forte proportion qu’ailleurs. Mais à force de faire une enquête sur les homosexuels au Vatican, il finit par en déceler derrière chaque placard : les prélats homophobes seraient des homosexuels refoulés et les prélats gay friendly des homophiles sublimés. Un peu court. » Frédéric Martel évite toutefois d’établir un lien direct entre homosexualité et pédophilie : » Les abus sexuels ne sont pas propres à l’homosexualité, c’est évident. Mais il y a tout de même un pont entre les deux comportements sexuels dans l’Eglise : la culture du secret. »
La dimension homosexuelle du Saint-Siège est, selon l’auteur, une » clé de compréhension essentielle » des faits qui ont entaché son histoire depuis des décennies : » Autour de Jean-Paul II s’est mis en place un véritable anneau de luxure, avec six cardinaux gays, dominés par le « vice-pape » Angelo Sodano. Cette « mafia gay » n’est pas étrangère aux scandales sexuels qui ont émaillé le pontificat. » Si tant de prêtres préfèrent Benoît XVI à François, c’est, selon l’auteur, parce que les règles étaient plus claires sous le précédent pontificat : » On pouvait être homophobe à l’extérieur et plus ou moins pratiquer son homosexualité à l’intérieur. Le pape François, lui, est plus déstabilisant : il se montre tour à tour progay ou inquiet de l’influence des homosexuels au Vatican. »
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