11 septembre: 20 ans sous l’emprise de la terreur. Et maintenant?
Deux décennies après l’horreur des attentats de New York, l’émotion est toujours vive au sein de la société américaine. Elle est renforcée par les interrogations sur l’utilité des guerres en Afghanistan et en Irak. Car la menace terroriste djihadiste est plus élevée aujourd’hui qu’en 2001. Al-Qaeda a aussi échoué à réaliser les objectifs poursuivis par l’attaque du 11-Septembre et il est supplanté désormais par l’Etat islamique.
Retrouvez notre dossier spécial « Le 11-Septembre, 20 ans après » ici.
De l’incompréhension, d’abord. Devant la fumée noire jaillissant de la tour Nord du World Trade Center à New York retransmise sur l’écran télé, le doute prévaut. Un petit avion civil a-t-il heurté accidentellement le building? Ou peut-on imaginer qu’il ait été éventré intentionnellement pour ce qu’il symbolise, la puissance économique des Etats-Unis? L’incrédulité et l’incertitude dominent encore. Mais quand les images surprennent un appareil d’une compagnie aérienne venant s’encastrer dans la tour Sud, les certitudes se forgent en direct et simultanément à travers le monde, fait inouï. L’Amérique est attaquée. Des terroristes la défient. L’événement marque l’histoire. La sidération et l’effroi s’installent.
Là où le 11-Septembre marque un véritable tournant, c’est dans la réponse qui lui a été apportée par les Etats-Unis.
Sans doute, un collègue, sceptique, a-t-il raison de ne pas écarter alors l’hypothèse d’une action de l’extrême droite américaine qui s’est tristement illustrée en dynamitant, en 1995, un bâtiment de l’administration fédérale à Oklahoma City. La responsabilité s’impose pourtant immédiatement. Pareille opération ne peut avoir été menée que par une seule organisation, qui commence à peine à être connue du grand public: la « Base », ce groupe Al-Qaeda dirigé par un islamiste « illuminé » depuis l’Afghanistan, Oussama Ben Laden, déjà soupçonné d’avoir commandité le double attentat contre les ambassades américaines de Nairobi au Kenya et de Dar es Salaam en Tanzanie, le 7 août 1998, et dont les services de renseignement américains n’ignorent pas qu’il a projeté des attentats selon ce scénario d’avions utilisés comme armes de destruction massive. Le monde entre pour longtemps dans une période de terreur.
La signification des attentats
Comment expliquer ces attentats hors norme? Pourquoi sont-ils perpétrés en 2001? Quels en sont les objectifs? « Oussama Ben Laden pose un acte politique de type anti-impérialiste et anti-américain. C’est lors de la première guerre du Golfe, en 1990-1991, que la rupture naît entre lui et les dirigeants de l’Arabie saoudite qui ont préféré recourir aux Américains pour assurer leur défense face à l’Irak, avance Bernard Adam, ancien directeur du Groupe de recherche et d’information sur la paix et la sécurité (Grip). Mais on voit aussi à travers ses discours qu’il utilise l’islam pour justifier son action. Son combat s’est structuré autour de ces deux dimensions, la lutte contre les Américains et la défense de l’islam. Mais tous les musulmans ne le soutiennent pas. »
« Al-Qaeda pensait également qu’en désignant l’Amérique comme le principal ennemi de l’islam, en la forçant à intervenir militairement sur des terres d’islam, il provoquerait le soulèvement des populations musulmanes contre les régimes apostats – Arabie saoudite, Yémen, Jordanie, Pakistan – lui apportant son soutien », rappelle l’ancien juge antiterroriste français Marc Trévidic dans son livre Le Roman du terrorisme (1). Cela ne s’est pas produit. Les pouvoirs sont restés en place.
En réalité, le 11-Septembre s’inscrit dans une continuité et marque aussi un tournant. « C’est la prolongation d’un phénomène que l’on connaissait. Al-Qaeda était déjà sur tous les radars, souligne Thomas Renard, chercheur à l’Institut Egmont et directeur, à partir du 15 septembre, de l’International Centre for Counter-terrorism à La Haye (ICCT). Il y a avait déjà eu des attentats, notamment contre le Word Trade Center en 1993. Il y avait déjà eu des tentatives de détournement d’avions avec l’objectif de les percuter sur des cibles civiles. Tout cela n’était pas aussi révolutionnaire que ce qu’on a bien voulu dire. Mais il y eu l’ampleur. Les attaques du 11-Septembre ont innové par leur ampleur – faire plus de 3 000 morts est tout à fait exceptionnel – et par leur caractère extrêmement planifié et organisé. C’est de l’hyperterrorisme. »
Avec les Américains, pour un terroriste perdu, Al-Qaeda en retrouvait dix, a minima.
« Toutefois, là où le 11-Septembre marque un véritable tournant, c’est dans la réponse qui lui a été apportée, complète le spécialiste. En place depuis moins d’un an, l’administration Bush se cherche encore une grande orientation stratégique. On n’est jamais que dix ans après la fin de la guerre froide. Les Etats-Unis repensent leur place dans le monde. George W. Bush décide de faire de la « guerre globale contre le terrorisme » sa ligne directrice. Elle va orienter l’ensemble du travail de l’administration pendant les sept années qui suivront. Et elle devient l’élément structurant des relations internationales, de la politique de sécurité, des doctrines stratégiques et militaires…, comme l’avait été auparavant l’opposition entre les deux blocs, occidental et communiste, pendant la guerre froide. »
Ce jour-là
Julie, c’est Brian. Ecoute, mon avion a été détourné. Si ça tourne mal, et ça en a tout l’air, je tiens absolument à ce que tu saches que je t’aime. Je veux que tu sois heureuse, que tu prennes du bon temps.
La portée de la réplique
Les attentats du 11-Septembre sont donc inédits par la réponse qui leur a été apportée. Il est rare qu’une attaque terroriste entraîne une guerre contre un Etat. Les talibans du mollah Omar, hébergeant Al-Qaeda et refusant de livrer Oussama Ben Laden, deviennent la cible de la puissance de feu américaine. « Le 11-Septembre est un acte atroce. La réaction des Américains était attendue. L’invasion de l’Afghanistan pour traquer Al-Qaeda et chasser les talibans du pouvoir est considérée comme relevant de la légitime défense, rappelle Bernard Adam, du Grip. Le Conseil de sécurité des Nations unies donne son accord. C’est la suite qui a produit un enchaînement catastrophique. » Un conflit de vingt ans en Afghanistan avec l’issue que l’on connaît désormais, une guerre en Irak avec un résultat à peine plus probant… « Les Etats-Unis ont prétendu que Saddam Hussein disposait d’armes de destruction massive et qu’il entretenait des liens avec Al-Qaeda. Ces deux éléments étaient tout à fait faux, poursuit le spécialiste. Les Américains se sont enlisés en Irak. L’Etat a été complètement déstructuré. L’armée a été démantelée. Un certain nombre de militaires sunnites ont participé à la création de groupes terroristes. On peut d’ailleurs considérer que l’acte de naissance de l’Etat islamique concorde avec l’entrée en guerre des Américains en Irak, avec les conséquences que l’on connaît encore maintenant. »
Ce jour-là
Mesdames et messieurs, ici le commandant de bord. Asseyez-vous, s’il vous plaît, et restez à vos places. Nous avons une bombe à bord. Alors, asseyez-vous. »
Thomas Renard tire le même constat sur les deux conflits tout en estimant que des enseignements de long terme ont pu être tirés. « Si on observe la situation actuelle, le retrait américain et la reprise de contrôle de l’Afghanistan par les talibans, il est difficile de tirer un bilan positif de cette « guerre contre le terrorisme ». L’impression prévaut que l’on est revenu à la situation ex ante, telle qu’elle était le 10 septembre 2001. Mais c’est une impression superficielle parce que beaucoup de choses ont changé.
Deux leçons essentielles ont été apprises au cours de ces vingt dernières années. Primo, les Américains et les Européens ont compris après le 11-Septembre qu’il était trop dangereux de laisser une organisation terroriste s’emparer de grandes zones territoriales à partir desquelles elle pourrait s’entraîner et planifier des attentats à travers le monde. On l’a vu avec le travail de la coalition internationale contre Daech en Irak et en Syrie. Deuxième leçon: espérer une transition démocratique, équitable et pacifique, dans des pays qui ont connu une guerre civile est une illusion. On peut déloger une organisation terroriste de ses repaires et cibler son leadership. Mais, au-delà de ce genre d’opération qui correspond en Afghanistan aux trois premiers mois de l’intervention américaine, force est de constater que le nation building, là où le travail des militaires se mue en formation et en création d’une nouvelle administration, ne fonctionne pas. Penser que ces Etats pouvaient passer en quelques années de la guerre civile à la démocratie libérale était une erreur. Même des pays qui étaient dans une situation moins catastrophique que l’Irak et qui ont été le théâtre du « printemps arabe » connaissent des transitions démocratiques fragiles et compliquées. »
Ce jour-là
Ça se gâte, papa. Une hôtesse a été poignardée. Ils semblent avoir des couteaux et du gaz incapacitant. […] L’avion fait des mouvements brusques. […] Je pense qu’ils ont l’intention d’aller à Chicago ou ailleurs et de percuter un immeuble. »
L’état de la menace
Dans Le Roman du terrorisme, Marc Trévidic résume crûment l’effet pervers de la guerre en Irak sur l’extension du terrorisme. « L’Amérique a finalement rendu vrai ce qui était initialement faux, à savoir le lien entre le régime baasiste et Al-Qaeda. » Et, « avec les Américains, pour un terroriste perdu, Al-Qaeda en retrouvait dix, a minima. » Les bavures, les traitements dégradants réservés aux détenus de la prison d’Abou Ghraïb, la mauvaise gouvernance des dirigeants cornaqués par Washington, l’expansion de la corruption ont été autant de carburants pour Al-Qaeda, puis pour l’Etat islamique.
Avec les attentats du 11-Septembre, Oussama Ben Laden pose un acte politique de type anti-impérialiste et antiaméricain.
En regard de la situation sécuritaire qui prévalait il y a vingt ans, quel est l’état des lieux de la menace terroriste aujourd’hui? « Elle est certes plus faible qu’elle ne l’était il y a six ans au moment de l’apogée du califat de l’Etat islamique en Irak et en Syrie, souligne Thomas Renard. Mais le niveau auquel elle se stabilise reste supérieur à celui que l’on connaissait avant le 11 septembre 2001. Elle est donc plus élevée qu’elle ne l’était il y a vingt ans. Mais pas similaire. On le mesure à plusieurs facteurs. Sur la menace de type djihadiste, Al-Qaeda est plus fort qu’en 2001, alors qu’il est lui-même devenu moins important que Daech. Nous sommes confrontés à plus d’organisations et à un réservoir de djihadistes plus grand réparti sur un espace plus large, en Asie du Sud-Est, en Afrique de l’Ouest, en Afrique de l’Est, en Afrique centrale, en Afrique du Nord, au Moyen-Orient… » Résultat, selon le futur directeur de l’International Centre for Counter-terrorisme: « Davantage de points de tension, davantage de zones à surveiller où les Européens peuvent avoir des intérêts stratégiques, davantage de sanctuaires à partir desquels un groupe peut monter une opération suffisamment importante pour nous entraîner dans une nouvelle phase d’interventions militaires. Et au-delà de la menace de type djihadiste, d’autres sont aussi devenues plus importantes qu’elles ne l’étaient au début des années 2000. C’est le cas des mouvements liés à l’extrême droite aux Etats-Unis et en Europe. Ils étaient déjà présents il y a deux décennies mais pas nécessairement vus sous le prisme du terrorisme. »
« Parler de « guerre contre le terrorisme » ne veut rien dire, assène Bernard Adam. Le terrorisme est simplement un moyen généralement utilisé par des gens qui veulent aboutir à un objectif. Si on veut vraiment lutter contre le terrorisme, il faut d’abord essayer de comprendre quelles sont les motivations de ceux qui l’utilisent et s’attaquer ensuite au fond du problème. Au Sahel, par exemple, la première chose à faire serait d’apporter un soutien aux populations locales, de contribuer à leur développement et d’améliorer le fonctionnement de l’Etat malien. Des objectifs tout à fait délaissés par la France. Les Européens et les Américains, à la suite des échecs irakien et afghan, doivent bien se rendre compte que c’est dans cette direction-là qu’il faut aller. Si on veut réellement réduire les risques de terrorisme, il faut donner la priorité au développement socio-économique. » Thomas Renard pronostique, de son côté, que le retrait américain d’Afghanistan va clore le chapitre ouvert par le 11-Septembre. Les Américains vont se refocaliser sur des priorités perçues comme plus stratégiques, l’opposition avec la Chine et, dans une moindre mesure, avec la Russie, et reléguer la guerre contre le terrorisme au rang de politique sectorielle conditionnée par ces enjeux. Si toutefois Daech, Al-Qaeda et les talibans leur en laissent la latitude.
L’énigme du rôle des Saoudiens
Le 3 septembre, le président Joe Biden a signé un décret « ordonnant au ministère de la Justice et à toutes les agences concernées de superviser un examen de déclassification des documents liés aux enquêtes sur les attentats du 11-Septembre ». Les instances ont six mois pour s’exécuter. Cette démarche était demandée de façon pressante par les familles des victimes qui avaient prévenu que Joe Biden ne serait pas le bienvenu aux cérémonies de commémoration s’il n’agissait pas en ce sens. En ligne de mire, figure le rôle que l’Arabie saoudite, officielle ou officieuse, a pu jouer dans une forme de soutien aux pirates de l’air, dont quatorze sur dix-neuf étaient de nationalité saoudienne. Ancien directeur du Groupe de recherche et d’information sur la paix et la sécurité (Grip), Bernard Adam rappelle, dans une note d’analyse, que le rapport final de la Commission nationale du Congrès sur les attaques terroristes contre les Etats-Unis comporte une phrase ambiguë à propos de l’Arabie saoudite. « Nous n’avons trouvé aucune preuve que le gouvernement saoudien, en tant qu’institution, ou que des hauts fonctionnaires saoudiens ont financé individuellement Al-Qaeda. » Et Bernard Adam de citer Steven Ekovich, professeur à l’université américaine de Paris, pour lequel « il est plausible que quelques princes saoudiens renflouaient les caisses d’Al-Qaeda, utilisant « l’argent officiel » saoudien (et non leurs propres fonds privés), à condition que les actions financées se déroulent loin du royaume, écartant un danger susceptible de saper le régime de l’intérieur ». Le mystère sera-t-il bientôt élucidé?
(1) Le Roman du terrorisme, par Marc Trévidic, Flammarion, 2020, 256 p.
(2) Les citations des victimes des attentats qui parsèment ce dossier sont tirées du remarquable livre de Mitchell Zuckoff qui retrace minute par minute Le Jour où les anges ont pleuré (Flammarion, 512 p.)
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