Léopold II ayant hérité de la fibre coloniale de son père, la conquête du Congo ne s'est certes par décidée sur un coup de tête. Pour la maison de Saxe-Cobourg, c'est le suprême aboutissement de cinquante ans d'une quête inlassable. © iStock

Le plan magistral de Léopold II pour mettre la main sur le Congo (récit)

Au milieu des années 1870, l’Afrique centrale retient toute l’attention de Léopold II. La dernière chance d’obtenir un jour sa colonie ? Oui, à condition de manoeuvrer adroitement. En avançant ses pions un à un, il mènera le monde entier en bateau.

Cet article vous est offert par la rédaction du Vif/L’Express. Il est issu du hors-série de 200 pages que Le Vif/L’Express consacre à l’histoire, l’actualité et l’avenir de la République démocratique du Congo: CONGO, 60 ans d’indépendance. Des siècles de splendeurs et de ténèbres. En vente actuellement en librairie ou via notre shop.

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Fièvre exploratrice au centre de l’Afrique

A partir de 1860, de plus en plus d’expéditions européennes partent à la découverte de l’Afrique centrale. L’une d’elles, menée par le journaliste explorateur Henry Morton Stanley, est à la recherche d’un autre explorateur disparu, David Livingstone. Au moment où il finit par le retrouver, en 1871, Stanley l’aurait abordé avec cette réplique légendaire :  » Dr Livingstone, I presume ? «  C’est du moins ainsi qu’il relatera lui-même.

A l’heure de cette rencontre, l’explorateur et missionnaire antiesclavagiste Livingstone jouit déjà d’une renommée mondiale. Après trente ans passés à sillonner le coeur de l’Afrique, ses écrits ont éveillé l’intérêt des Européens pour la région. Mais il s’adresse aussi à leur conscience. Dans les territoires intérieurs, la traite négrière sévit plus que jamais pour satisfaire la demande arabe en plein essor. Pour Livingstone, la supériorité morale des peuples européens exige qu’ils mettent un terme à cette infamie.

Livingstone était parti en 1866 de Zanzibar sur la côte pour remonter au plus profond des terres jusqu’aux sources du Nil. Comme il ne donnait signe de vie depuis longtemps, le quotidien américain New York Herald envoie à sa recherche le journaliste Stanley, qui localisera effectivement Livingstone en 1871. Les deux hommes exploreront ensemble la région pendant quelques mois, avant que Stanley ne rentre publier le récit de son expédition.

Resté sur place, Livingstone poursuit en vain sa quête des sources du Nil. En revanche, il aura découvert – à son insu – le cours supérieur du fleuve Congo, que les locaux appellent Lwalaba. Et c’est encore Stanley qui sera amené à confirmer que les deux cours d’eau n’en faisaient qu’un. Ce qui en fera un élément indispensable à la concrétisation des plans de Léopold II.

Le bassin du Congo dévoile ses richesses

En mai 1872, la nouvelle de la rencontre entre les deux explorateurs retentit des deux côtés de l’Atlantique. Léopold II n’en perd pas une miette. Rien ne lui échappe sur l’actualité des colonies ou des missions d’exploration. Les multiples expéditions ont considérablement accru son intérêt pour la région. Ses autres pistes pour acquérir une colonie ont abouti à une impasse. Ses tentatives de rachat d’une colonie à l’Espagne en pleine banqueroute s’avèrent stériles et son projet d’annexion de la Nouvelle-Guinée ne trouve aucun soutien auprès des Britanniques.

En janvier 1876, une autre expédition retiendra toute son attention. Verney Lovett Cameron vient de traverser le bassin du Congo de la côte est à l’Atlantique pour la première fois, sans emprunter le fleuve. Dans ses rapports, l’explorateur vante les richesses de l’intérieur. Toute la région regorge de minerais et minéraux, et les terres arables y sont exceptionnelles. Tout capitaliste un tant soit peu entreprenant y verrait fructifier sa mise en peu de temps, prédit Cameron.

Une lueur d’espoir surgit dans l’oeil de Léopold II. Contactant aussitôt la Royal Geographical Society, commanditaire de l’expédition Cameron, il se dit prêt à lui faire don de quatre mille livres pour rendre hommage à l’odyssée de ce dernier. La Société déclinera son offre, mais Léopold émerge désormais en tant que sponsor d’autres missions de prospection.

Au cours de son expédition africaine (1872-1875), l'explorateur Verney Lovett Cameron (1844-1894), chargé par la Royal Geographical Society de retracer le parcours de Livingstone, traversa notamment la rivière Lwalaba. Il finit par retrouver Livingstone, alors décédé. Gravure extraite du Journal de la Jeuness, Paris, 1879.
Au cours de son expédition africaine (1872-1875), l’explorateur Verney Lovett Cameron (1844-1894), chargé par la Royal Geographical Society de retracer le parcours de Livingstone, traversa notamment la rivière Lwalaba. Il finit par retrouver Livingstone, alors décédé. Gravure extraite du Journal de la Jeuness, Paris, 1879.© iStock

Première entreprise

Un audacieux calcul diplomatique naît dans l’esprit de Léopold II. En septembre 1876, il met sur pied la Conférence géographique de Bruxelles, où quelques dizaines d’explorateurs et diplomates étudieront les perspectives de l’Afrique centrale. Science et philanthropie sont à l’honneur. Sans éveiller aucun soupçon, le véritable enjeu est l’avenir du Congo.

Léopold va s’appuyer sur cette conférence pour fonder l’Association internationale africaine (AIA). Sous le drapeau international, cet organisme indépendant se chargera de coordonner l’exploration et la civilisation de l’Afrique centrale. En établissant des routes et des comptoirs commerciaux, l’association se propose de mettre fin à la traite des esclavagistes arabes dans la région et d’apporter aux peuples africains prospérité, christianisme et civilisation. Un cas unique et exemplaire de coopération internationale, où Léopold et la Belgique ne joueront qu’un rôle discret. Avec sa neutralité en garantie, l’humble nation hérite tout simplement de la coordination. Léopold II est le premier à présider l’AIA, mais cette présidence sera réattribuée chaque année à un membre d’une autre nationalité.

La conférence est un franc succès. Léopold a su aiguillonner les bonnes intentions des explorateurs et diplomates étrangers. Les Etats concernés s’engagent à créer des comités nationaux pour mettre leurs plans à exécution. En pratique, ces autres comités ne verraient jamais le jour. Léopold ne peut que s’en réjouir. Les autres pays ayant détourné le regard, il sera d’autant plus facile de piloter l’AIA vers la réalisation de ses propres fins. Pour Léopold, l’Association n’est autre qu’une coquille vide, un simulacre de coopération humanitaire qui l’aidera à faire main basse sur sa colonie personnelle. Comme il l’écrit lui-même sans détour au consul belge en Grande-Bretagne, il ne veut pas manquer une si belle occasion de se procurer  » une part de ce magnifique gâteau africain « .

Stanley emboîte le pas

Il faut maintenant que Léopold fasse poser les jalons de sa future colonie sur le terrain. Mais le plus discrètement possible afin que le jour venu, son propre gouvernement et les puissances européennes soient mis devant le fait accompli. C’est là que Stanley lui sera d’une grande utilité. En 1874, deux ans avant la conférence de Bruxelles, Stanley a mis le cap à l’ouest de Zanzibar avec une expédition financée par deux journaux américain et britannique. Il disposait alors d’une petite troupe de 350 porteurs noirs chargés de six tonnes d’armes, articles à troquer et matériels divers.

L’un des objectifs est de reconnaître le Lwalaba, ce fleuve que Livingstone soupçonnait d’être le haut du Nil alors que d’autres l’associaient plutôt au Congo ou même au Niger. Stanley va trancher la question. Le Lwalaba est bien le cours supérieur du fleuve Congo. En octobre 1877, il rejoint le rivage de l’Atlantique au bout de 999 jours de voyage. Mais son expédition est décimée. Il est le seul survivant sur quatre Européens, avec à peine un tiers des porteurs.

Sur tout le trajet, ils ont dû essuyer de nombreux combats armés avec des habitants hostiles qui leur barraient le passage. Des centaines d’indigènes ont été tués par les soldats de l’expédition Stanley au cours de ces échauffourées.

Dès qu’il apprend sa réussite, Léopold II envoie aussitôt à Stanley un télégramme de félicitations. Repartant à Londres pour y recevoir les honneurs bien mérités, Stanley doit faire escale au Cap, au Caire, à Marseille et enfin à Paris, où il sera intercepté par deux complices dévoués de Léopold II. Lui témoignant la plus vive admiration du roi, ils s’empressent de lui offrir de travailler pour l’AIA sous le haut patronage de Léopold. Souffrant, exténué, Stanley rejette leur demande, bien qu’il la juge séduisante – lui qui est toujours à l’affût de l’intérêt des grands de ce monde.

En Grande-Bretagne, Stanley est accueilli en héros. Mais le gouvernement est peu enclin à exploiter ses découvertes pour coloniser la région. Empêtré dans la récession qui frappe l’Angleterre de plein fouet et une série de crises coloniales, il ne voit là aucune priorité. Pour Léopold, c’est une aubaine supplémentaire. Le désintérêt britannique laissant Stanley plutôt amer, il continue à être courtisé par les émissaires de Léopold qui, tout en le flattant, lui font croire que ce dernier est prêt à s’associer un autre explorateur. Trahi par son orgueil, Stanley accepte une entrevue à Bruxelles en juin 1878. Léopold II met peu de temps à le convaincre : avant la fin de l’année, Stanley aura signé tous les contrats liés à une nouvelle expédition sur le Congo.

Stanley a pour mission d’ouvrir le bassin du Congo à la civilisation. Au moment de quitter l’Europe, il croit encore être au service de la société internationale, mais tout doute sera dissipé dès l’arrivée. Sa tâche consiste en fait à y fonder une colonie pour le compte personnel de Léopold. Sans s’en offusquer outre mesure, Stanley sait se montrer suffisamment implacable pour obtenir des résultats probants. Basé à l’embouchure du Congo, il lance la construction d’une piste pour contourner les chutes qui rendent le fleuve impraticable. Après une série de rapides, la navigation y est possible sur plus de 1 500 kilomètres. Cette portion sera l’artère vitale de l’exploitation du territoire, grâce à l’établissement de comptoirs tout au long des rives.

Buste en ivoire Léopold II voyait dans ce qui deviendra le Musée royal de l'Afrique centrale à Tervuren, aujourd'hui l'AfricaMuseum, un outil de propagande pour son projet colonial destiné à attirer des investisseurs et à convaincre la population belge. C'est en 1898 que l'exposition temporaire devenait ainsi le premier musée permanent du Congo. Dès ses origines, l'institut était musée et institut scientifique.
Buste en ivoire Léopold II voyait dans ce qui deviendra le Musée royal de l’Afrique centrale à Tervuren, aujourd’hui l’AfricaMuseum, un outil de propagande pour son projet colonial destiné à attirer des investisseurs et à convaincre la population belge. C’est en 1898 que l’exposition temporaire devenait ainsi le premier musée permanent du Congo. Dès ses origines, l’institut était musée et institut scientifique.© GETTY IMAGES

Entre-temps, Léopold II franchit un nouveau pas essentiel vers l’aboutissement de son stratagème. Continuant de camoufler ses plans, il obtient la fusion de l’AIA dans une nouvelle entité, l’Association internationale du Congo (AIC). Le nom renvoie délibérément à la première association, dont l’AIC reprend, en outre, le drapeau bleu avec une étoile jaune. La nouvelle mouture se confond ainsi avec l’ancienne, dont la stature philanthropique et internationale était bien établie aux yeux du monde extérieur. Mais en interne, Léopold II en contrôle fermement tous les rouages.

Au même moment, Stanley fait signer des centaines de contrats de propriété aux indigènes qui ignorent tout de ses véritables desseins. Selon les principes du droit européen, ils cèdent ainsi leur souveraineté à l’AIC et s’engagent simultanément à travailler pour l’organisation.

Dernière entreprise

En 1884, Stanley ramène en Belgique une manne de contrats dûment signés par des chefs africains. A ce stade, il est clair que le partage du gâteau africain est imminent. La France aussi a dépêché ses éclaireurs sur le fleuve Congo. L’Allemagne et l’Italie sont occupées à édifier leurs propres empires et les Britanniques sont inquiets. Ils ne veulent surtout pas perdre leur suprématie en Afrique. Face aux revendications de ces puissants Européens, Léopold II sait qu’il ne fait pas le poids. Mais peut-être céderaient-ils plus facilement si la souveraineté de l’AIC sur le bassin du Congo était reconnue par une autre grande puissance. Lançant un nouveau pion sur l’échiquier international, il envoie aux Etats-Unis son fidèle partisan, Henry Sanford. Ex-diplomate, cet Américain fortuné a conservé sa place dans les meilleurs cercles bruxellois après avoir été relevé de ses fonctions. Léopold a ainsi fait de lui un proche confident.

En avril 1884, Sanford se rend donc à Washington, où il présente le projet de Léopold II comme une entreprise internationale à but humanitaire. Le Congrès comme le gouvernement saluent l’élan « philanthropique » du roi belge et légitiment la souveraineté de l’AIC sur le Congo.

Avec les signatures américaines, Léopold II peut enfin mettre les puissances d’Europe au pied du mur. Le chancelier allemand Bismarck prendra l’initiative de réunir celles-ci à Berlin, de novembre 1884 à février 1885. C’est là qu’elles fixeront les règles « équitables » de la répartition du continent africain et de son annexion.

Léopold II a su tirer profit des rivalités entre les empires européens. La France accorde le bassin du Congo à Léopold II à condition de bénéficier d’un droit de préemption. Si l’AIC était amenée à délaisser sa souveraineté sur le Congo, la France serait son acquéreur prioritaire. Et Léopold ayant insinué qu’il pourrait bien renoncer à ses aspirations coloniales pour peu qu’on lui mette trop de bâtons dans les roues, les Britanniques cèdent à leur tour. Autant que le Congo soit la propriété de l’AIC plutôt que de tomber entre les griffes françaises.

Bismarck se laissera moins facilement persuader. Mais en fin de compte, il préfère, lui aussi, laisser le Congo à Léopold II pour éviter que les puissances rivales ne se l’accaparent avant lui.

La conférence de Berlin s’étant achevée en février, la fondation de l’Etat indépendant du Congo est proclamée le 1er juillet 1885. L’AIC – c’est-à-dire Léopold II – s’en octroie la souveraineté. Pour Léopold, son chef d’Etat, la représentation est terminée. Chapeau bas! L’exploitation peut commencer.

Un article de Jakob Ulens

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