Zelensky compare Hitler à Poutine: 8 parallèles qui hantent les esprits
La veille de son arrivée à New York, le président ukrainien Volodymyr Zelensky a comparé Poutine à Hitler. Pour lui, la société russe a perdu le respect de l’opinion mondiale. « Ils l’ont élu et réélu et ont créé un second Hitler« , a-t-il ajouté. Une comparaison justifiée? Huit parallèles qui hantent les esprits.
L’ Allemagne.
Novembre 1918, la capitulation. Un séisme dans un pays vaincu mais non conquis. Une commotion pour son armée au bord de la défaite mais qui rentre au bercail en bon ordre avec la conviction d’être victime d’un « coup de poignard dans le dos » assené par des capitulards civils. « Nous n’avons pas été battus! », clame l’état-major allemand.
Les vainqueurs ont la dent particulièrement dure à l’égard de la nouvelle république de Weimar. L’ Allemagne est déclarée coupable sans circonstances atténuantes, amputée territorialement, condamnée à de lourdes réparations de guerre. Le « diktat » de Versailles de 1919 s’incruste durablement dans les esprits.
L’Union soviétique.
1991, l’implosion. Incrédulité et désarroi à la vision d’un régime soviétique qui baisse pavillon sans avoir à se rendre. Son armée s’est perdue dans le bourbier afghan en 1989 mais elle n’a pas eu à livrer bataille sur le sol russe et « la disparition en douceur d’un immense empire surarmé, d’un système étatique tout-puissant que l’on disait et pensait éternel », dixit l’historienne française Hélène Carrère d’Encausse, laisse les cadres militaires estomaqués, bras ballants.
Le camp occidental triomphe et le fait cruellement sentir à une Russie ruinée, snobée, colonisée. « Très vite, les Occidentaux commettront envers la nouvelle Russie la même erreur que celle commise envers l’Allemagne de Weimar au lendemain de la Première Guerre mondiale: le mépris à peine dissimulé, un grand pays considéré comme quantité négligeable des relations internationales… Les débuts de la démocratie libérale que sont les « années Eltsine », seront assimilées à la misère et à l’humiliation. Qu’y a-t-il de pire pour une démocratie naissante? », observe Jean-Michel Sterkendries, professeur émérite d’histoire à l’Ecole royale militaire (ERM).
Deux virages cruciaux, celui de la paix en 1918, de la détente en 1991, ont été très mal négociés.
Hitler.
Une fragile démocratie mise à genoux ne demande qu’à croire ce que se met à lui prêcher un peintre raté reconverti en un obscur caporal: l’immense injustice infligée à une Allemagne vilainement traitée par ceux, tellement nombreux, à ne lui vouloir que du mal. Cette terrible humiliation, Adolf Hitler promet de la laver en rendant au pays sa grandeur et son honneur. La réhabilitation passera par la réunion sous un même toit, par la force s’il le faut, « des frères de sang allemand » que des traités iniques ont dispersés. Le complot du « coup de poignard dans le dos » tourne à plein régime. La magie opère, une nation déboussolée se range massivement derrière son nouvel homme fort parvenu au pouvoir par la voie des élections, et qui l’invite à se lever et à se remettre en marche.
Ce qu’Hitler a conquis par la diplomatie en 1939, Poutine peine à l’obtenir par l’offensive militaire.
Poutine.
Les Russes à l’ère postsoviétique serrent les dents, souffrent en silence. Au-delà de la libération du carcan soviétique, comment ne pas ressentir comme une défaite honteuse une décomposition qui « ramène en 1991 l’ensemble russe à ce qu’il était au milieu du XVIIe siècle », interroge l’historien Alain Colignon, du Centre d’étude guerre et société (Cegesoma)?
Emerge alors un obscur officier du KGB pour qui la fin de l’URSS a été « la plus grande catastrophe géopolitique du XXe siècle ». Replacer cette Russie humiliée au coeur de l’échiquier mondial, par le verbe ou par le glaive s’il le faut, sera sa mission. Une jeune démocratie encore balbutiante tombe sous le charme puis la coupe d’un homme fort qui accède au pouvoir par la volonté des urnes et se donne les moyens de ne plus s’en faire déloger. Fatale attraction, « il était presque inévitable que survienne à un moment donné un dirigeant à poigne qui aurait le souci de rendre son rang à la Russie et leur fierté aux Russes », prolonge Jean-Michel Sterkendries.
Rien de tel pour raviver la flamme que d’user jusqu’à l’obsession de la menace de l’encerclement. « Economiquement aux abois, les Russes ont été pratiquement forcés d’accepter la réunification d’une Allemagne redevenue très puissante, intégrée désormais tout entière dans une alliance militaire dirigée par les Etats-Unis. Un cauchemar stratégique et une pilule très difficile à avaler pour n’importe quel dirigeant russe. Pour la « faire passer », les Occidentaux avaient promis que l’Alliance atlantique ne s’étendrait pas vers l’est. Même verbales, ces assurances avaient été données », poursuit l’historien de l’ERM. Vladimir Poutine saura s’en servir pour dénoncer la parole occidentale non tenue et justifier une « (re)conquête qui n’est à ses yeux qu’une récupération ». Tous les coups peuvent être permis face à des interlocuteurs à la langue fourchue.
Hitler.
Réarmement clandestin au mépris du traité de Versailles. Rétablissement du service militaire obligatoire en 1935. Réoccupation en mars 1936 de la Rhénanie démilitarisée. Hitler monte en puissance et dans les tours par coups de force successifs. Mars 1938, c’est à l’ Autriche de réintégrer « la mère patrie allemande », par un Anschluss accompli sans résistance et « validé » par référendum sans vote secret où 99,73% des électeurs approuvent le retour au Reich. Entre-temps, le Führer s’est servi de l’atroce guerre civile d’Espagne (1936-1939) comme d’un banc d’essai pour son aviation.
Cap sur la Tchécoslovaquie. L’alibi est tout trouvé: il faut secourir la minorité germanophone des Sudètes, trois millions d’individus groupés notamment en Bohême et en Moravie. Troubles fomentés par le parti pronazi sur place, revendications autonomistes toujours plus inacceptables à satisfaire, tout est bon pour rendre la vie impossible au pouvoir tchèque et le forcer à plier.
Hitler dicte le tempo, capitalise sur un souverain mépris pour ces démocraties occidentales qui s’émeuvent, protestent sans conviction pour, au final, fermer les yeux. Ne sont-elles pas prêtes à se raccrocher à l’espoir que ce chancelier Hitler saura se montrer enfin raisonnable pour autant qu’on lui cède (un peu) de terrain, lui qui proteste d’ailleurs de sa bonne foi jusque devant l’évidence du contraire et s’offusque que l’on puisse en douter? « On m’insulte en répétant que je veux faire la guerre. » Ce n’est jamais l’Allemagne qui menace, c’est elle qui n’a d’autre choix que de se défendre. Quand le chantage à la guerre s’avère payant, l’incitation à récidiver devient une seconde nature.
Poutine.
Tchétchénie dans les années 1990, Syrie depuis 2015: l’outil militaire russe se rode au contact de guerres de la pire espèce. L’ours s’ébroue et sort franchement de sa tanière en 2008, direction la Géorgie, pour y soutenir militairement l’accès à l’indépendance de deux entités séparatistes, Abkhazie et Ossétie du Sud. 2014, le couvert est remis en Crimée par une annexion manu militari, rapide, indolore, qui ne fait pas l’économie d’un référendum expéditif gratifié de 83% des votes en faveur des retrouvailles avec le grand frère russe. Nouvelle « opération militaire spéciale » – où ça, une guerre? – en terre ukrainienne depuis février dernier, au motif initial qu’il faut « libérer » d’autres minorités russophones « opprimées » au Donbass. Des troubles séparatistes téléguidés et attisés depuis Moscou ont préparé le terrain à l’invasion.
Poutine à l’offensive, convaincu que « quand un conflit est inévitable, il faut frapper le premier« . Et que la loi du plus fort l’ emporte sur des démocraties occidentales tenaillées par la peur et le dégoût de la guerre et qui ont longtemps négligé de prendre l’exacte mesure des inquiétants signaux envoyés depuis le Kremlin.
Hitler
Mourir pour Vienne? Prague? Peut-être Dantzig? Peu emballées, les opinions publiques occidentales n’encouragent pas vraiment leurs dirigeants à jouer aux va-t-en-guerre pour mettre hors d’état de nuire Herr Hitler. « Elles témoignent d’une attitude prudente en 1938-1939. La crainte de la guerre était d’autant plus forte et le pacifisme d’autant plus vif que le souvenir de la boucherie qu’avait été la Grande Guerre vingt ans plus tôt était encore frais dans les mémoires », rappelle Alain Colignon.
Dans le camp des démocraties, ce Führer vociférant qui aime se dresser en rempart du communisme ne laisse pas insensibles certains milieux intellectuels et politiques « prêts à trouver qu’il pouvait y avoir du socialement bon dans le nazisme » ; que « mieux valait au pouvoir Hitler que Blum » et son Front populaire au pouvoir en France en 1936 ; que tout bien réfléchi, le traité de Versailles fut effectivement une grande injustice infligée à l’ Allemagne et que son Führer a donc quelque raison louable de s’en plaindre.
Poutine
Mourir pour Tbilissi? Pour Kiev? Demain la Moldavie? Gorgées d’images du drame ukrainien, les opinions occidentales, émues aux larmes, portent secours aux gens qui fuient par millions la guerre et leur pays. En faire davantage? Pas si vite, Alain Colignon recadre: « Ce qui arrive aux Ukrainiens est bien triste, on leur doit une solidarité, la livraison d’armes, mais la guerre, c’est tout de même le saut dans l’inconnu, a fortiori à l’heure de la menace nucléaire. Prédomine donc la volonté d’éviter à tout prix un conflit généralisé. » Et de ne pas trop troquer confort et bien-être pour l’aventure.
Avant qu’il ne passe à l’acte, le nouveau « tsar » comptait d’ailleurs des soutiens déclarés dans le camp occidental, de Le Pen, Zemmour et Mélenchon en France, à l’italien Matteo Salvini ou au flamingant Filip Dewinter, « parmi une nébuleuse d’extrême droite séduite par un modèle de démocrature et qui voit en Poutine le rempart d’une identité blanche, européenne, chrétienne, qu’il prétend incarner », poursuit Alain Colignon. Les mauvaises humeurs poutiniennes méritaient bien indulgence et compréhension.
La Tchécoslovaquie
Un Etat paralysé, abandonné des puissances occidentales, l’allié français en tête qui reste l’arme au pied au mépris de ses engagements, tombe tout entier comme un fruit mûr dans la besace d’Hitler, en mars 1939. Bohême et Moravie sont placées sous protectorat allemand, la Slovaquie proclame son indépendance et demande la protection de Berlin: la jeune Tchécoslovaquie, à peine vingt ans d’existence, est rayée de la carte, sans s’être révélée une nation résolue à faire face à l’agresseur les armes à la main, sans s’être peut-être montrée digne d’une fermeté occidentale qui aurait pu inverser le cours de son dépeçage. Le Führer, lui, enrage de ne pas avoir eu à tirer un coup de canon pour gober sa proie mais se console de ce que seul le langage de la force paie.
L’Ukraine.
Sa prise de contrôle n’a rien d’une marche triomphale ni d’une promenade de santé pour l’armée russe. Ce qu’Hitler a conquis par la diplomatie en 1939, Poutine peine à l’obtenir par l’offensive militaire. « Il est clair qu’il a commis une grave erreur d’appréciation en sous-estimant considérablement le nationalisme et la volonté de résistance des Ukrainiens », observe Jean-Michel Sterkendries (ERM). Les Ukrainiens ont ainsi déjoué les pronostics, en prouvant que leur Etat n’était pas qu’un « ectoplasme politique ». « Si l’Ukraine s’était écroulée comme un château de cartes et si son président Zelensky s’était enfui, la musique jouée par l’Otan aurait sans doute été autre et les réactions relativement fermes des puissances européennes auraient été probablement atténuées », estime Alain Colignon (Cegesoma). Qui sait si Poutine s’en mord les doigts.
Hitler
Il fond, mord à pleines dents, avale, digère sans scrupules. Pourquoi se gênerait-il? Face à lui, il ne constate que faiblesse, division et dérobade dans la riposte à ses agressions. « La tragédie des années 1930 a été, à mon avis, le manque de solidarité des démocraties devant les dictatures. C’est ce qui a fait le jeu des dictateurs », analyse Jean-Michel Sterkendries. « Hitler pouvait spéculer sur l’esprit de combativité plus ou moins grand des acteurs de la scène internationale. Chacun réfléchissait de son côté, en l’absence d’un commandement intégré », relève Michel Liégeois, spécialiste en relations internationales (UCLouvain). France et Grande-Bretagne, puissances militaires s’il en est, ne s’accordent pas sur la conduite à tenir face à l’Allemagne nazie, entre la politique d’apaisement privilégiée par Londres et la peur du revanchisme allemand qui domine à Paris où l’on s’engage dans un réarmement bien tardif face à une puissance militaire allemande par ailleurs surestimée.
Aucun bloc politico-militaire constitué pour se dire déterminé à offrir une réplique à la mesure d’une éventuelle agression contre un de ses membres. Il existe certes une Société des Nations (SDN) issue de la paix de 1918, mais elle n’est d’aucun secours car « déjà moribonde en 1938, paralysée dès sa création par le refus des Etats-Unis d’y participer », poursuit Michel Liégeois.
Pas d’arme de sanctions économiques ou financières à sortir du fourreau, même si la possibilité est prévue par le pacte de la SDN à l’encontre de dirigeants bellicistes. Mais un embargo partiel décrété contre le régime de Mussolini pour son agression sur l’Ethiopie en 1935 s’est révélé inefficace vu la rapidité de la victoire italienne et cette expérience a, au contraire, poussé l’ Allemagne nazie à se doter d’une économie de guerre capable de résister en autarcie. Le levier des sanctions est alors jugé inopérant à actionner vu la faible exposition à leurs effets dans une économie encore peu globalisée. Et puis, « l’ Allemagne était considérée comme un bon partenaire économique, on ne voulait pas irriter Hitler, dirigeant d’un Etat de droit avec lequel les Occidentaux n’étaient pas en guerre en 1938″, rappelle Alain Colignon. « Hitler était totalement imperméable à la perspective d’être mis au ban des nations par une communauté internationale », abonde Michel Liégeois.
Allô Washington? Le président américain Roosevelt a d’autres chats à fouetter sur le plan intérieur, avant tout un New Deal qu’il faut mener à bien pour redresser l’économie. Les Etats-Unis aux penchants isolationnistes gardent leurs distances avec la crise européenne qui enfle, absorbés qu’ils sont par le théâtre asiatique et la montée en puissance d’un Japon militariste uni depuis 1936 par un pacte avec l’ Allemagne nazie.
Poutine
Si le maître du Kremlin pensait pouvoir diviser le camp adverse pour mieux régner sur l’Ukraine, il s’est lourdement trompé. Le continent qui se dresse devant lui a du répondant, soudé au sein d’une Union européenne, puissance politico-commerciale mais nain militaire, largement intégré au sein d’une alliance militaire qui est tout sauf de pacotille, l’Otan et ses capacités nucléaires.
La donne militaire en est toute bouleversée tandis que s’abat sur la Russie, ses dirigeants et sa population une pluie de sanctions économiques et financières d’une ampleur et d’une intensité inédites mais dont l’efficacité réelle reste à prouver, et alors que les livraisons d’armes affluent chez l’agressé ukrainien.
L’ONU, à l’inverse de la SDN, « s’assemble, fonctionne sous le régime du fusible que constitue le droit de veto reconnu aux cinq membres permanents du Conseil de sécurité, cette forme de sagesse due à la prise de conscience qu’il faut éviter de heurter de plein fouet les intérêts, légitimes ou non, d’une grande puissance », décode Michel Liégeois. Ce qui place les Nations unies à la merci du veto russe.
Allô Washington? L’ Oncle Sam s’en tient à sa politique de bascule, un oeil plus qu’attentif sur l’Europe mais le regard toujours bien braqué sur l’Asie et la superpuissance chinoise en embuscade, pour l’heure bienveillante à l’égard de la politique agressive d’un Poutine que le concert indigné des nations occidentales et de leurs opinions laisse parfaitement froid.
Hitler
Munich, 29 septembre 1938, c’est dans la poche! Des accords sont signés in extremis, au bout de la nuit, par le Führer Hitler, le Duce Mussolini, le président du Conseil français Daladier et le Premier ministre britannique Chamberlain. Sans avoir eu voix au chapitre, la Tchécoslovaquie est sacrifiée sur l’autel d’une paix que l’on veut croire assurée. Compromis totalement foireux mais porté aux nues par un continent soumis à une éprouvante guerre des nerfs et à deux doigts d’une guerre tout court. Le soulagement est immense, l’illusion totale. Munich n’est qu’un jeu de dupes remporté haut la main par deux dictateurs, et cette capitulation diplomatique sème la panique dans les Etats est-européens épouvantés par la faiblesse des Occidentaux. Ceux-ci ont cru sauver la paix, ils ne récolteront que la guerre.
Bluffeur, menteur, pourquoi Hitler changerait-il une formule qui gagne, lui qui ne recule que pour mieux sauter? Prochaine étape, la Pologne et un nouveau prétexte tout trouvé pour repasser à l’acte: le corridor de Dantzig, bande de territoire quasi exclusivement germanophone, offerte à l’issue de la Première Guerre mondiale à la Pologne pour lui donner accès à la Baltique, mais qui, de ce fait, sépare la Prusse orientale du reste de l’Allemagne. Une injustice de plus à effacer, éructe le Führer. Cette fois, sa politique renouvelée du risque mène à la guerre ouverte à l’échelle du continent. Elle lui sera fatale cinq ans et demi plus tard.
Poutine
Où s’arrêtera le maître du Kremlin? Impossible de lire dans le jeu de ce grand manipulateur revanchard, le mystère plane sur ses véritables buts de guerre. « Il veut reconstituer une partie de la sphère d’influence de l’ex-Union soviétique en se contentant d’une finlandisation de l’Ukraine », pronostique l’historien Alain Colignon. Il s’agirait de reconquérir un espace que Poutine juge vital pour la sécurité de la Russie.
Il faudra bien se remettre à table avec l’agresseur, (con-)céder de quoi apaiser la fringale du « tsar » et sauver son trône, se résigne-t-on dans un camp occidental qui dit ne pas parier sur un renversement du régime.
Un terrain d’entente sera-t-il trouvé au prix d’une Ukraine neutralisée sinon dépecée et mangée à la sauce tchèque de 1938-1939? « L’Ukraine perdrait sans doute moins de plumes que la Tchécoslovaquie mais le scénario n’est pas à exclure si les Européens, dans leur volonté d’éviter une zone d’instabilité, devaient entériner à la table des négociations le fait accompli, c’est-à-dire une victoire russe même partielle« , poursuit Alain Colignon.
Voilà qui pourrait suffire à requinquer Poutine et à prolonger sa fuite en avant par l’activation d’un de ces autres chevaux de Troie qu’il a sous la main. La Moldavie où un territoire prorusse, la Transnistrie, s’est autoproclamé indépendant depuis 1992? A moins d’une nouvelle « opération militaire spéciale » montée pour « secourir » Kaliningrad, jadis Königsberg la prussienne, enclave russe militarisée d’un million d’habitants séparée de la mère patrie par les pays baltes et la Pologne et qui sert de port d’attache à la flotte russe de la mer Baltique. Le poil à gratter parfait pour manigancer un de ces coups fourrés, déclencheur d’un embrasement sur le théâtre européen.
« De nouveau, on pense aux premiers succès d’Hitler, reprend l’historien Jean-Michel Sterkendries, l’action extérieure de Poutine est marquée par la prise de risques de plus en plus élevés, probablement encouragée par ses relatifs succès précédents. La tentation peut être grande d’aller encore plus loin, jusqu’au moment où c’est aller trop loin. »
Hitler
Il fait le vide autour de lui, le monde économique et financier lui mange dans la main. Ça plane pour Hitler en 1938, sauf qu’au sommet de l’appareil militaire, certains prennent peur, ont des doutes, « trouvent qu’il va trop vite, qu’il se montre trop gourmand, trop excessif », rappelle Alain Colignon, et que cela pourrait très mal finir. Mais Hitler n’est que méfiance, écarte une quinzaine de généraux soupçonnés de tiédeur.
Son intention de faire main basse sur la Tchécoslovaquie décide les plus contestataires à l’arrêter tant qu’il est encore temps. Un coup d’Etat militaire est projeté, organisé mais n’est pas mis à exécution. Par manque de détermination dans le chef de conjurés qui se sentent isolés dans un Reich lié à son Führer jusqu’alors victorieux sans effusion de sang allemand. Des Français et des Anglais qui font profil bas à Munich achèvent de couper l’herbe sous les pieds des putschistes.
Le vainqueur a toujours raison. Il échappe même de justesse à un attentat à la bombe dans une brasserie munichoise. Acte solitaire d’un apprenti menuisier, Georg Elser, résolu à interrompre la marche infernale à la guerre. Dans le camp adverse, on préfère croire à un stratagème des nazis pour ranimer la popularité déclinante du Führer…
Poutine
Les murs du Kremlin restent impénétrables mais on devine que le maître des lieux, que l’on dit isolé, sait s’y prendre pour faire régner la peur et la soumission autour de lui et prévenir toute révolution de palais. Opposition muselée, oligarques neutralisés, opinion désinformée qui resserre les rangs derrière le Chef, il est question de généraux humiliés, limogés, sans doute gagnés par le doute quant aux chances de sortir victorieux du bourbier ukrainien.
Et il y a le sort réservé au chef de Wagner Evguéni Prigojine. Considéré comme un traître par Poutine pour avoir orchestré une mutinerie le 23 juin, il est mort deux mois plus tard avec ses principaux lieutenants dans le crash de son jet privé.
Poutine après Hitler… A quatre-vingts ans d’écart, naît une même et subite prise de conscience d’être au seuil d’un nouveau monde. Celui-ci surgira-t-il sur les ruines d’une nouvelle guerre mondiale?
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