La question du financement de l’islam, un casse-tête européen
La question du financement de l’islam est omniprésente en Europe (1). Avec un triple objectif : lutter contre les influences extérieures, contrôler et rassurer l’opinion publique. Tour de piste.
L’Autriche pionnière
La » loi islam » de 2015 a augmenté les droits des musulmans autrichiens : jours de congé pour les fêtes religieuses, cimetières spécifiques, aumôniers (armée, hôpitaux, maisons de retraite, prisons) et respect des prescriptions alimentaires et de certaines pratiques rituelles (la circoncision des garçons, l’abattage rituel des animaux). En contrepartie, les associations musulmanes doivent adopter » une approche positive envers la société et l’Etat « . Les imams doivent être formés sur place et maîtriser l’allemand. Une faculté de théologie musulmane a été ouverte à l’université de Vienne. Le rôle officiel de la principale fédération musulmane autrichienne (IGGiÖ), de 1979, est renforcé. Autre nouveauté : les frais de fonctionnement des institutions confessionnelles et les salaires des imams ne peuvent plus être pris en charge par des pays étrangers, au grand mécontentement de la Turquie, qui salarie 20 % des imams de ce pays de 8,7 millions d’habitants, dont 500 000 à 700 000 musulmans. Cette interdiction dont sont exemptés les mormons et les grecs orthodoxes a suscité des critiques, de même que le rappel de la primauté du droit autrichien sur les prescriptions religieuses. Un principe qui figurait déjà dans la loi de 1912 reconnaissant l’islam après l’annexion de la Bosnie-Herzégovine par l’Empire austro-hongrois. L’été dernier, le gouvernement autrichien avait annoncé son intention de fermer sept mosquées et d’expulser 40 imams suspectés de promouvoir un » islam politique « .
Espagne, une parenthèse de quatre siècles
Les musulmans représentent 4 % de la population espagnole, soit 1,9 million de personnes, alors qu’ils ont dominé la péninsule entre le viiie et le xve siècle. Créée en 1992, la Commission islamique espagnole est l’interlocuteur du gouvernement pour la formation des imams, la nomination des professeurs de religion islamique, la distribution des allocations ou subventions provenant du ministère de la Justice, etc. Elle comprend deux grandes organisations qui sont rarement sur la même longueur d’onde : l’Union des communautés islamiques d’Espagne (principalement d’origine marocaine et syrienne) et la Fédération espagnole des entités religieuses islamiques (représentant plutôt les convertis). L’islam espagnol a la réputation d’être pacifique et bien intégré, avec des poches de radicalisme en Catalogne et en Andalousie. En 2011, un rapport du Centro Nacional de Inteligencia s’inquiétait du financement de l’islam espagnol par l’Arabie saoudite, le Koweït, le Qatar, les Emirats arabes unis, la Libye et le Maroc. Le gouvernement souhaite que les dons étrangers transitent par la Commission islamique espagnole en vue de soutenir des projets tels qu’une licence en sciences religieuses, la formation et la rétribution du clergé, des manuels de formation rédigés en Espagne ou des campagnes sur l’islam dans les médias. L’autre idée serait d’étendre aux confessions minoritaires (islam, protestantisme) le régime d’impôt religieux dédicacé qui prévaut pour le culte catholique depuis 1979 (5 % ou 7 % des revenus).
La France en recherche
La France connaît une stricte séparation de l’Eglise et de l’Etat qui empêche tout financement des cultes (loi de 1905). Créé en 2002, le Conseil français du culte musulman est dominé par des fédérations émanant des Frères musulmans ou proches du Maroc, de l’Algérie ou de la Turquie. Les musulmans français forment la plus grande minorité musulmane d’Europe, comprise entre 5,7 millions et 8,4 millions de personnes. Selon un rapport sénatorial de 2016, les organisations musulmanes décrivent le financement étranger de l’islam comme minoritaire mais impossible à tracer. Les pouvoirs publics le soutiennent indirectement via des baux emphytéotiques ou des loyers symboliques. Un rapport de Hakim El Karoui pour l’Institut Montaigne ( La Fabrique de l’islamisme) préconise de lever une taxe sur le halal et le pèlerinage pour en finir avec la dépendance étrangère. Créée en 2016, la Fondation de l’islam de France est aujourd’hui dirigée par Ghaleb Bencheikh, promoteur d’un islam des Lumières.
L’Allemagne prudente
L’islam n’ayant pas de statut officiel en Allemagne, ses 4,5 millions de fidèles ne sont pas assujettis à l’impôt ecclésial (8 % ou 9 % des revenus selon les Länder), comme le catholicisme, le protestantisme/luthérianisme et le judaïsme. Le Kirchensteuer permet de financer les services cultuels et culturels (écoles, crèches) de neuf communautés pérennes relevant de ces cultes. Créée en 2006, la Conférence allemande de l’islam fait pont entre l’Etat, d’une part, et des organisations et des membres de la société civile musulmane, d’autre part. Au programme : la conciliation entre les valeurs musulmanes et les principes constitutionnels allemands, la lutte contre l’islamisme, la promotion d’une image positive de l’islam, etc. La Conférence est également chargée des cours de religion islamique dans les écoles, de la formation des imams dans l’enseignement supérieur public ou de la construction de mosquées. Deux députés de la majorité viennent de relancer l’idée d’appliquer à l’islam l’impôt ecclésial, afin de l' » émanciper des donateurs étrangers » et de » réduire le risque de radicalisation « . L’islam devrait prendre alors la forme d’une collectivité de droit public.
Le Royaume-Uni, un peu moins libéral
Les religions jouissent d’une grande liberté au Royaume-Uni. Elles ont le statut d’oeuvres de bienfaisance. Les dons en provenance de l’étranger ne sont pas interdits, mais les charities doivent s’assurer qu’ils ne proviennent pas » d’une source illégale ou inappropriée « . A partir de cette année, leur rapport annuel doit identifier la nature et la provenance des dons, y compris lorsqu’ils sont transférés de manière informelle ( cash couriers ou réseaux hawala). Après avoir découvert, en 2014, qu’un islam ultrarigoriste était pratiqué dans des écoles de Birmingham, l’inspection académique promeut désormais » les valeurs fondamentales britanniques « . Le gouvernement britannique s’est également penché sur les Sharia councils, ces tribunaux qui tranchent les litiges familiaux selon le droit musulman et en a conclu qu’ils discriminaient les femmes.
(1) Lire notamment le rapport de l’assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe : » Réglementer le financement étranger de l’islam en Europe afin de prévenir la radicalisation et l’islamophobie « , doc 14617, 17 septembre 2018.
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