La Corse, au-delà des clichés
Dans Ton coeur a la forme d’une île et La Corse et le problème français, la romancière Laure Limongi et le banquier Charles-Henri Filippi sondent l’âme des Corses au-delà des clichés et exhument l’histoire pour expliquer les rapports toujours délicats avec la France.
Pour découvrir la Corse au-delà des clichés qui, le plus souvent, stigmatisent ses habitants, la lecture des ouvrages de la romancière et essayiste Laure Limongi, Ton coeur a la forme d’une île (1), et du banquier Charles-Henri Filippi, La Corse et le problème français (2), est hautement recommandable.
La première, dans un récit personnel enrichi de témoignages de Corses de l’île et de la diaspora, sonde la diversité de l’âme corse. « Il n’y a pas qu’un seul Corse, […], un type absolu forgé par le regard extérieur de l’autre côté de la mer (feignant, profiteur, terroriste) comme il n’y a pas un Français (râleur, prétentieux, sentant mauvais) », établit d’emblée Laure Limongi. Elle en prend pour preuve que « l’histoire de la Corse est aussi celle de l’assimilation, de nombreux métissages ». Or, reconnaît-elle, « il y a une crispation sur les questions identitaires de toutes sortes aujourd’hui alors qu’on appartient à différentes communautés enchâssées ».
L’insularité pousse à l’union, et le relief à la division.
Cette quête identitaire face à une gestion de la question corse jugée aux yeux de beaucoup comme coloniale par l’Etat français a pris différentes formes pour privilégier aujourd’hui des moyens pacifiques. Il a fallu du temps. Charles-Henri Filippi, dans son essai plus historique et plus politique, l’explique par l’histoire de l’île. « Ce qui semble une inaptitude irrémédiable de la Corse à s’inscrire dans un ordre politique équilibré et apte au bien public, n’est pas une nature immuable mais une culture contingente essentiellement fabriquée par, ou forgée contre, la puissance qui a le plus longtemps dominé l’île, Gênes, dont le système de pouvoir passa, le plus souvent, par l’entretien d’un désordre intérieur pernicieux et coupable, où il fallait être prédateur quand on était ambitieux, et violent quand on voulait survivre. » La République de Gênes, à laquelle appartint la Corse de 1240 au début du XVIIIe siècle, se contenta d’exploiter ses comptoirs commerciaux. Lui succéda, sous l’égide de Pascal Paoli, une éphémère république indépendante de Corse, qui fait encore fantasmer aujourd’hui les nationalistes, avant l’imposition de la domination française.
La géographie aussi, a influencé la psychologie du citoyen corse. « La nature semble […] miner la Corse d’une douloureuse contradiction, décrypte Charles-Henri Filippi. L’insularité pousse à l’union, et le relief à la division: pas de récit commun sans unité politique ; pas d’unité politique sans lutte interne, voire fratricide pour la former. » Semblable réflexion chez Laure Limongi, basée sur les travaux de Anne Meistersheim, experte en sociologie de l’habitat: « Les insulaires complexifient à dessein les itinéraires, à la fois pour se protéger des envahisseurs en allongeant leur cheminement, et pour se donner l’illusion d’un espace infini, lutter contre l’angoissante finitude dessinée par la mer. » Et s’il en allait de même pour les méandres de l’esprit corse?
(1) Ton coeur a la forme d’une île, par Laure Limongi, Grasset, 250 p.
(2) La Corse et le problème français, par Charles-Henri Filippi, Gallimard, 112 p.
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