Franklin Dehousse
La Conférence sur l’avenir de l’Europe, reflet de son malaise (carte blanche)
La nouvelle Conférence sur l’avenir de l’Union européenne est devenue en son début un reflet cruel de l’Union elle-même.
Voici vingt ans, les dirigeants européens lançaient avec solennité la Conférence sur l’avenir de l’Europe. A deux reprises, au traité d’Amsterdam (1997) et au traité de Nice (2000), ils avaient manqué la préparation de l’Union européenne au grand élargissement à l’Europe centrale et orientale. En 2001, ils réessayèrent une troisième fois. Après d’innombrables péripéties, dont plusieurs référendums, cette conférence allait mener en 2007 au traité de Lisbonne. Ce dernier a effectué une série de simplifications bienvenues. En revanche, il n’a pas réellement préparé les institutions au doublement du nombre des Etats membres. Nous en vivons encore les conséquences néfastes à l’heure actuelle. Une partie de l’Union européenne reste en réalité inopérante: le social, le fiscal, la politique étrangère et l’Etat de droit pour commencer.
Faute d’un accord sur les individus, personne ne dirige cette convention.
En 2021, les gouvernants européens lancent une nouvelle convention. L’ambiance paraît beaucoup moins positive. Ils n’ont défini clairement ni les objectifs, ni les modes de fonctionnement, ni les dirigeants responsables. Par-dessus le marché, à force d’ergoter sur tout, le processus a pris un an de retard (aidé en sus par la pandémie). L’idée originelle émane du président français Emmanuel Macron (déjà un motif de suspicion pour beaucoup). Elle vise à écouter les citoyens sur l’Europe (la manière dont Macron a discrètement enterré les résultats du dialogue citoyen sur le réchauffement climatique en France constitue un motif d’inquiétude pour d’autres).
Faute d’un accord sur les individus, personne ne dirige cette convention. Faute d’un accord pour conserver un format viable, on est passé de 105 membres en 2001 à 433 membres en 2021 (avec seulement quelque cent représentants pour les panels citoyens, qui seront ici sévèrement minorisés dès le départ). Quant aux règles de fonctionnement, elles ont suscité tant d’affrontements qu’elles n’ont pu être adoptées que la veille de l’ouverture et demeurent floues.
Certes, il n’est jamais mauvais en soi d’organiser des débats sur l’Europe. Néanmoins, ce démarrage hyperdouloureux laisse le sentiment acide que le public a été invité à donner son avis… pourvu que son avis corresponde aux volontés des multiples corporatismes et bureaucraties en place – et, surtout, n’implique pas la moindre révision de traité. De surcroît, il y a quelque paradoxe à organiser un grand débat continental en temps de pandémie. La mobilisation initiale du public (et même de certains initiés) semble d’ailleurs très faible.
De manière à la fois tragique et comique, la nouvelle Conférence sur l’avenir de l’Union européenne est devenue en son début un reflet cruel de l’Union elle-même. Une créature boursouflée et rhumatique, faible en idées comme en mouvements, en permanence affaiblie par les conflits d’ego de ses dirigeants et des processus de décision sans fin.
Ainsi, cette opération crée un fort risque d’accroître le cynisme déjà grand de l’opinion face à l’Europe. Heureusement, le pire n’est jamais sûr. Il faut donc espérer que les dirigeants actuels comprendront la nécessité d’une issue positive et concrète aux débats. Si ce n’est le cas, la nouvelle conférence risque de devenir au contraire une arme supplémentaire aux mains des mouvements populistes et antieuropéens.
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