Franklin Dehousse
La Belgique exporte sa mauvaise gestion vers la justice européenne (chronique)
La Belgique vient de proposer deux candidats pour la justice européenne. Il s’agit du juge à la Cour européenne de justice et du procureur au parquet européen. Si la première nomination (Koen Lenaerts) ne suscite pas de critiques, on n’en dira pas autant de la deuxième.
Le parquet européen a été créé pour lutter contre les fraudes aux budgets européens. Seuls 22 Etats membres y participent, ce qui reflète les tensions existantes. La nécessité d’indépendance est encore plus haute pour les procureurs que pour les juges européens. Ces derniers travaillent dans des structures collégiales, qui diluent l’influence individuelle. Au contraire, les procureurs doivent « surveiller… les enquêtes et les poursuites … dans leur Etat membre d’origin « . Une fonction beaucoup plus individuelle, donc, et beaucoup plus centrée sur leur Etat membre.
Le gouvernement Wilmu0026#xE8;s aggrave encore l’absence complu0026#xE8;te de francophones dans toutes les fonctions europu0026#xE9;ennes judiciaires de premier rang.
Un comité européen a été créé pour apprécier le mérite des candidats de chaque Etat membre (trois par Etat). Comme d’habitude, l’opacité de la procédure est quasi totale. Néanmoins, on finit par apprendre que presque tous les Etats ont nommé les candidats classés en première place par le comité. Trois Etats ont néanmoins refusé de le faire : la Bulgarie, le Portugal… et la Belgique. Le gouvernement belge, en pied de nez, a même nommé le candidat classé le moins méritant des trois Belges. Pour quel motif ? Ici aussi, opacité totale.
Néanmoins, il apparaît qu’Yves Van Den Berge, le candidat choisi, a collaboré longtemps au cabinet du ministre Koen Geens (sans doute inspiré par la Bible : les derniers seront les premiers). L’Etat belge étale sa dégénérescence profonde quand la participation à un cabinet ministériel devient un motif de renverser l’ordre de mérite et nommer un proche collaborateur à une position requérant une indépendance extrême. Les trois nominations douteuses ont d’ailleurs provoqué une protestation officielle de l’Autriche, de l’Estonie, du Luxembourg et des Pays-Bas.
Depuis 2014, la Belgique a multiplié les maladresses dans ce domaine, naguère préservé des dérapages. Sa procrastination a laissé un poste de juge vide pendant un an. Les deux dernières nominations de juge européen ne reposaient sur aucune motivation et aucun dossier accessible, malgré les législations en vigueur (Charles Michel et Didier Reynders font maintenant des discours larmoyants sur l’Etat de droit en Europe, mais leur pratique de nomination évoque justement… l’absence de transparence et de motivation de la gestion judiciaire reprochée à la Hongrie et la Pologne).
Ce dérapage reflète aussi, en passant, l’énorme déséquilibre communautaire actuel des nominations. Le gouvernement Wilmès aggrave encore ici l’absence complète de francophones dans toutes les fonctions européennes judiciaires (et apparentées) de premier rang (cette dégradation épouse d’ailleurs celle de la représentation francophone à la tête des administrations fédérales). Les partis flamands, qui exigent le confédéralisme pour le partage des budgets, adorent au contraire l’unitarisme pour les nominations. Quant aux partis francophones, ils semblaient trop occupés, au moment du choix, à polir leurs communiqués d’hommage à Antoinette Spaak pour se soucier de ces questions vénielles. A l’âge d’Internet, beaucoup préfèrent gérer l’image que la réalité. C’est pourtant ainsi que se construisent les régions retardées.
Franklin Dehousse est professeur à l’ULiège, ancien représentant de la Belgique dans les négociations européennes, ancien juge à la Cour de justice de l’Union européenne.
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