Franklin Dehousse
« L’Europe n’est pas essentiellement une guerre de fauteuils entre dirigeants » (carte blanche)
Beaucoup de ces défis numériques requièrent autre chose qu’une simple approche de marché.
Du fiasco des vaccins à la guerre Michel/von der Leyen des fauteuils, l’actualité ne sert pas l’image de l’Union européenne. Toutefois, l’avantage des affaires européennes est qu’il se passe toujours beaucoup en dessous de la mer. En l’occurrence, deux projets essentiels progressent avec constance. L’un d’entre eux est la lutte contre le réchauffement climatique, l’autre celle contre les débordements de la société de l’information.
Ceux-ci concernent une multitude d’éléments. Plusieurs ont été éclairés par la pandémie: le tsunami de la désinformation sur Internet, la menace grandissante sur les données personnelles, notamment médicales, ou la concentration accélérée du pouvoir économique (et de la richesse) par les grandes entreprises américaines de la high-tech.
Il existe bien d’autres aspects. La dématérialisation est devenue un vecteur grandissant de l’évasion fiscale. La cybersécurité devient une menace croissante qui provoquera un jour une catastrophe, spécialement dans les infrastructures essentielles. Trop d’administrations, d’entreprises et d’individus demeurent insuffisamment protégés. Le développement d’armements numériques constitue aussi un enjeu majeur de défense (voir la récente attaque contre le siège de l’enrichissement nucléaire en Iran). Viennent encore le commerce international des services numériques, les monnaies numériques, la finance numérique, la police numérique, l’eJustice, et on en passe. Sans oublier les deux grands projets législatifs en cours sur les marchés et les services numériques.
Beaucoup de ces du0026#xE9;fis numu0026#xE9;riques requiu0026#xE8;rent autre chose qu’une simple approche de marchu0026#xE9;.
Ces défis mènent à trois constatations essentielles. D’abord, nos Etats européens sont beaucoup trop faibles pour les affronter seuls. La dimension européenne est devenue fondamentale. La médiocrité de nombreux dirigeants actuels ne change rien à cette réalité (et sortir de l’Union non plus, comme le montre le Brexit). Coûte que coûte, il faut mieux faire fonctionner cette machine.
Ensuite, beaucoup de ces défis requièrent autre chose qu’une simple approche de marché. La Commission tend à privilégier systématiquement les politiques de concurrence et du commerce, parce qu’elle dispose de pouvoirs importants dans ces domaines. Pour un marteau, tout ressemble à un clou. Malheureusement, beaucoup des problèmes posés requièrent aussi une coordination, et parfois une intégration, des efforts étatiques. Pour cette raison, la gestion initialement stupide des commandes de vaccins constitue un avertissement majeur, et appelle un audit. On verra si le Parlement en a le courage.
Enfin, l’Europe n’est pas essentiellement une guerre de fauteuils entre dirigeants. Dans l’agitation des médias et les excès des réseaux sociaux, nous tendons tous à perdre la conscience des évolutions structurelles (ce que l’historien Fernand Braudel appelait le temps long). Or, là réside la véritable force de l’intégration européenne, même si elle apparaît moins. Cependant, nous n’arriverons pas à l’exploiter si nous ne trouvons pas des institutions moins arthritiques et des gouvernants moins incompétents. Comme l’indiquait déjà Jean Monnet, rien n’est possible sans les personnes, rien n’est durable sans les institutions. On peut organiser toutes les conférences sur l’avenir, ces besoins conditionnent tout le reste.
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