Critique de la religion : « C’est un retour en arrière épouvantable »
Depuis l’attentat contre Charlie Hebdo, Nicolas Vadot, caricaturiste du Vif, rencontre des ados de banlieues françaises pour leur parler liberté d’expression. Pas simple de surmonter l’obscurantisme.
Dans un reportage du Vif daté du 22 mars 2018 consacré à vos visites dans des écoles de quartiers défavorisés, vous évoquiez la difficulté pour certains jeunes d’accepter la critique de la religion. Est-ce un ressenti dominant?
Tout est guidé par la religion. C’est un retour en arrière épouvantable.Il n’y a plus de rébellion contre l’ordre établi. Ces jeunes sont les nouveaux réacs. Et, à chaque fois que je me suis rendu dans une école, ce sont les filles qui m’ont le plus terrifié. Elles ont emmagasiné l’idée qu’elles sont inférieures aux hommes.
Les professeurs vous semblent-ils outillés pour dispenser ces cours de liberté d’expression?
Ce sont en général les professeurs de français ou d’histoire-géographie qui les donnent. Ils font de leur mieux, et ils me semblent assez outillés pour cela. Mais, contrairement à moi, ils ont un devoir de réserve et d’objectivité. Ils ont pour mission de poser les questions de la laïcité et du vivre-ensemble. C’est de plus en plus difficile parce que le communautarisme est partout et parce que les cloisons des bulles des réseaux sociaux ne font qu’amplifier ce phénomène, qui m’est apparu moins inquiétant dans les écoles en Belgique.
Comment l’expliquez-vous?
Par la problématique coloniale. En France, les jeunes les plus véhéments viennent soit d’Afrique noire soit d’Algérie. Ils expriment une haine de la République et de la laïcité. C’est parce que la France est le phare de la laïcité qu’on s’en est pris à Charlie Hebdo. La laïcité entre en conflit évident avec l’obscurantisme religieux. La France est visée pour cette raison. Et, heureusement, elle n’a encore jamais baissé la garde. En Belgique, le différend colonial n’est pas aussi sensible. Et s’il devait peser, ce serait en rapport avec le Congo, dont les habitants sont pour la plupart des chrétiens ou des animistes. On a aussi davantage l’expérience du vivre-ensemble, par la nature du pays et parce qu’il est moins nombriliste que ne peut l’être la France. J’ai aussi entendu des horreurs en Belgique. Mais elles n’étaient pas dirigées contre le pays. Dans les banlieues, l’identité première de beaucoup de jeunes est musulmane, pas française.
Le bilan que vous tirez de cette expérience est-il plutôt sombre ou avez-vous le sentiment d’avoir parfois fait bouger les lignes?
Je suis content d’aller dans ces écoles. J’apprends beaucoup de choses, y compris sur mes préjugés. Mais quand on arrive dans ce genre d’établissements et qu’on montre des images de Charlie Hebdo aux jeunes, l’ambiance au début est un peu froide. Et puis, petit à petit, ils s’animent. Je les laisse discuter entre eux. A un moment, je les arrête et les interpelle. « Vous avez vu ce que vous venez de faire? » « Quoi, quoi, m’sieur? » « Vous venez de débattre ; c’est ça, la démocratie. » Ils étaient sciés. Ils n’ont pas l’habitude de débattre parce qu’ils restent dans leurs certitudes. S’ils se mettent à le faire, c’est que j’ai semé un tout petit peu de doute. Et si c’est le cas, j’ai gagné.
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