Franklin Dehousse
Crise franco-américaine, bienfait pour l’Europe (chronique)
De l’Afghanistan à l’Australie, de la Crimée aux téléphones espionnés par Obama, chaque crise ramène au même message: la priorité n’est ni d’empiler les déclarations, ni de multiplier les bureaucraties, ni de dépenser, mais d’abord de faire les choses en commun. Sans ça, le reste a peu de sens.
Accusations de trahison, annulations de réception, rappel des ambassadeurs: la France se fâche sur les Etats-Unis à la suite de l’abandon soudain, par l’Australie, de leur accord sur les sous-marins français – au bénéfice d’une alliance anglo-saxonne. La France a raison: elle n’avait même pas été prévenue avant l’annonce de la décision. De plus, cet épisode survient après la débâcle en Afghanistan, où les Etats-Unis traitaient déjà leurs alliés européens comme quantité négligeable.
Evidemment, cela peine le président Macron, qui compte sur son prestige international (en partie réel) pour sa réélection. Néanmoins, l’épisode a aussi des vertus. Il montre clairement à l’Europe quelle est sa place dans le monde (de plus en plus anecdotique). Et amène à se poser des questions négligées.
Ainsi, des pays européens veulent maintenir une présence militaire navale dans les mers asiatiques. On peut se demander si là réside notre priorité quand les moyens militaires européens diminuent et lorsque la Russie effectue de fréquentes incursions dans leur espace maritime. De plus, il est incohérent d’adopter avec la Chine une attitude militaire virile et une attitude commerciale servile, spécialement au vu du déficit commercial colossal de l’Europe. En outre, la question posée par l’ancienne première ministre Theresa May au Parlement britannique vaut aussi pour l’Union européenne: que fait-on en cas de guerre pour Taïwan?
Plus fondamentalement, pourquoi soutenir la défense des positions américaines en Asie, sans la moindre réflexion ou approche commune de l’Europe, alors que les Etats-Unis ne prennent pas en considération nos intérêts là? D’autant que cette situation ne peut que se dégrader. Joe Biden représente encore une face civilisée des Etats-Unis, mais il est tout à fait possible que l’Europe doive affronter encore un président républicain en 2024, Trump ou un de ses clones. Quelle sera encore la solidarité atlantique à ce moment?
Il y a, comme toujours en Europe, beaucoup de gesticulation symbolique et peu de réflexion stratégique. Les dirigeants pleurnichent sur tous les podiums au sujet de l’unilatéralisme américain, leur « tube » éternel depuis la création de l’Otan en 1949. Ils ne cessent de braire sur l' »autonomie stratégique », mais ne prennent jamais les décisions concrètes pour y parvenir. Une série de gouvernements, dont la Belgique, ont par exemple commandé le chasseur américain F35, un avion en or massif dont ils ne contrôlent même pas l’informatique. Belle autonomie.
Ce dossier ramène au nouveau défi de la sécurité européenne: les technologies numériques, où elle prend également du retard. Entre les Etats-Unis et la Chine, les armées européennes ressemblent de plus en plus à un musée de la guerre froide. A cet égard, il faut se féliciter de l’initiative récente de la Commission européenne visant à combler son déficit en semi-conducteurs. Si elle aboutit, elle apportera enfin un progrès limité, mais réel.
De l’Afghanistan à l’ Australie, de la Crimée aux téléphones espionnés par Obama, chaque crise ramène au même message: la priorité n’est ni d’empiler les déclarations, ni de multiplier les bureaucraties, ni de dépenser, mais d’abord de faire les choses en commun. Sans ça, le reste a peu de sens.
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici