Coronavirus en Italie: comment la crise sanitaire a élevé Giuseppe Conte au rang d’homme d’Etat
La crise sanitaire a élevé le Premier ministre italien au rang d’homme d’Etat. Mais avec un Mouvement 5 étoiles affaibli, son avenir politique n’est pas garanti.
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La gestion d’une crise majeure peut révéler ou détruire un dirigeant politique, qui plus est quand elle a un caractère inédit comme celle du coronavirus. En Italie, le président du conseil Giuseppe Conte a acquis une stature d’homme d’Etat que peu d’Italiens lui auraient prédite. Quand il accède à la fonction de Premier ministre, le 1er juin 2018, ce juriste sans affiliation politique a d’abord pour mission de huiler les rouages du gouvernement éclectique formé par le populiste Mouvement 5 étoiles (M5S) et la Ligue, d’extrême droite, sans faire de l’ombre à leurs ténors respectifs, Luigi Di Maio et Matteo Salvini. Mais lorsque ce dernier provoque sa chute le 20 août 2019, Giuseppe Conte déjoue la tentative de son ancien ministre de l’Intérieur de forcer des élections législatives, convainc le Parti démocrate d’entrer au gouvernement et acquiert un début d’envergure politique. Elle va trouver dans la plus grave crise que l’Italie ait connue depuis la Seconde Guerre mondiale le terrain idéal pour se développer.
u0022Cette crise signe la mort du Mouvement 5 étoiles.u0022 Fabien Gibault, université de Turin
» Son aptitude à la médiation, c’est son rôle et sa chance, analyse Luca Tomini, politologue à l’ULB. Il est le plus apte à diriger une coalition aussi hétérogène. Et, dans pareil contexte, il n’y a tout simplement pas d’alternative. » » Il est en première ligne depuis le début de la crise, décrypte Marc Lazar, le directeur du Centre d’histoire de Sciences Po Paris. Les Italiens lui font confiance dans la manière dont il l’a gérée, malgré les critiques de l’opposition, des présidents des régions de Lombardie et de Vénétie, issus de la Ligue, et des milieux patronaux. Les sondages montrent qu’il bénéficie d’une très grande popularité, inédite, rarement observée chez un président du Conseil et d’autant plus surprenante qu’avant la crise, le gouvernement était impopulaire. »
Besoin de protection
» Dans le drame que vit l’Italie, poursuit Marc Lazar, Giuseppe Conte apparaît comme le symbole du rassemblement et de la protection. Les Italiens n’ont pas confiance en leur Etat. Mais dans des situations gravissimes, l’histoire nous montre qu’ils cherchent de la protection. Dans le passé, ils pouvaient la trouver auprès de l’Eglise catholique, c’est beaucoup moins le cas maintenant. Ils ont pu la puiser un temps dans les partis politiques, ceux-ci ne sont plus en mesure de la leur assurer. Du coup, les Italiens se tournent à nouveau vers l’Etat et Giuseppe Conte bénéficie de ce phénomène. Sa popularité est plus liée à la fonction qu’il occupe qu’à sa personne. » Enseignant aux universités de Tours et de Turin, Fabien Gibault insiste tout de même sur l’influence acquise par le Premier ministre italien : » Il a fait un énorme travail de communication, intervenant régulièrement à la télévision, à des horaires très recherchés comme le samedi soir à 21 h 30. »
Giuseppe Conte a profité aussi de la difficulté de ses adversaires politiques à exister quand toute l’attention est focalisée sur la crise sanitaire. » Matteo Salvini doit pleurer tous les jours d’avoir démissionné en août dernier, relève Fabien Gibault. En tant que ministre de l’Intérieur, il aurait occupé un poste stratégique de communication en temps de crise. » » Il continue à se montrer très agressif. Il n’a pas changé son mode de confrontation « , complète Luca Tomini. » Giorgia Meloni, des Frères d’Italie, apparaît plus en mesure d’instrumentaliser la crise pour consolider son programme parce que sa position très antieuropéenne est plus claire. » Créditée de 13 à 15 % des intentions de vote dans les sondages, la formation d’extrême droite siphonne des partisans à la Ligue.
Les 5 étoiles divisés et affaiblis
L’avenir de Giuseppe Conte ne s’avère pourtant pas aussi rose que son état de grâce actuel pourrait le présager. D’abord, parce que la phase 2 du déconfinement, annoncée pour le 4 mai, pourrait être plus délicate à mener pour son gouvernement que celle du lockdown. Ensuite parce que le Mouvement 5 étoiles, dont il est censé être proche, est traversé par de fortes dissensions. » Le Premier ministre italien doit gérer une négociation très compliquée avec les Européens, commente Luca Tomini, parce que ceux-ci sont divisés entre pays du nord tenants de l’orthodoxie budgétaire et Etats du sud demandeurs de plus de solidarité, et parce qu’au sein même de son gouvernement, il doit composer avec le Parti démocrate, favorable au Mécanisme européen de stabilité, et le M5S dont une partie des membres y est diamétralement opposée. Pour cette frange du parti populiste, le Mécanisme européen de stabilité renvoie trop à la crise financière de 2008 et à l’austérité, même si les modalités de recours au MES ont changé et qu’il n’est plus soumis à des conditions. »
» C’est pour cela, déclare Marc Lazar, que Giuseppe Conte mène depuis quelques jours une offensive pédagogique en expliquant que s’il n’a pas convaincu ses partenaires d’émettre des « coronabonds », il estime avoir obtenu son équivalent. Dès lors, ce qui apparaissait très difficile à faire avaler semble quand même pouvoir susciter un relatif consensus. » Pour Luca Tomini, l’hypothèse la plus probable est que certains élus du M5S votent contre le projet européen et qu’ils soient exclus du parti, mais il ne croit pas au scénario d’une scission. Fabien Gibault se montre plus pessimiste sur l’avenir du Mouvement 5 étoiles : » Luigi Di Maio est sorti des radars. Aucun de ses ministres n’est très en vue. Politiquement parlant, cette crise signe la mort du Mouvement 5 étoiles. Les résultats des dernières élections régionales ont été catastrophiques. Il est devenu un parti très minoritaire. Le prochain scrutin national pourrait lui être fatal. »
» Giuseppe Conte n’a ni parlementaires ni parti. On lui prête l’intention d’en créer un. Mais ce sera très difficile pour lui « , observe Marc Lazar. » D’ici à l’automne et le vote du budget, un gouvernement sans le Mouvement 5 étoiles est inimaginable, souligne Luca Tomini. Conte devra continuer à composer avec lui. Mais une fois la crise passée… » La crise du coronavirus a donc fait émerger un homme d’Etat en Italie, pas un remède à son instabilité politique.
La crise du coronavirus a révélé un clivage nord-sud. Mais, pour une fois, ce n’est pas la partie méridionale de la Péninsule qui a été la plus mal lotie, l’épidémie frappant principalement les régions de Lombardie et d’Emilie-Romagne. Ce constat disruptif peut-il modifier le rapport de forces régional en Italie ? Fabien Gibault, professeur à l’université de Turin, pointe un phénomène étonnant : » A l’annonce du confinement, des milliers de méridionaux habitant dans le nord de l’Italie sont rentrés chez eux dans le sud. Des amis sont dans cette situation. Ils sont en train de repenser leur plan de carrière après avoir expérimenté, à la faveur du confinement, un rythme de vie différent. Et ils imaginent mettre leurs compétences plus au service du sud que du nord du pays, où, en outre, le coût de la vie est extrêmement élevé. » » Il y a une sorte de revanche du sud sur le nord, complète Marc Lazar, de Sciences Po Paris. » Le président de la région Campanie, Vincenzo De Luca, du Parti démocrate, a expliqué que si les régions du nord sortaient trop rapidement du confinement, il refuserait l’accès de sa région aux citoyens de Lombardie. » Le Covid-19 n’a donc pas éteint les tensions intraitaliennes.
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