Franklin Dehousse
Brexit: le grand hara-kiri économique du Royaume-Uni (chronique)
Boris Johnson a offert un cadeau fantastique pour le réveillon de Noël, un accord de quelque 1.200 pages. Cependant, la stratégie adoptée par le Premier ministre britannique comporte des risques très importants pour les entreprises britanniques, déjà fort secouées par une pandémie du coronavirus très mal gérée.
Le Premier ministre britannique a offert un cadeau fantastique à ses concitoyens pour le réveillon de Noël: un bel accord de quelque 1.200 pages pour définir la nouvelle relation du Royaume-Uni avec l’Union européenne (idéal pour meubler les longues soirées solitaires de confinement).
Dans toute négociation, chacun pousse ses priorités, et concède sur le reste. Ici, les Britanniques avaient une priorité politique: éviter tout engagement juridique fort. Ils l’ont obtenue, au prix d’une très faible intégration économique. L’Europe a satisfait sa priorité économique: une large ouverture pour les marchandises, là où elle enregistre un surplus commercial massif. Elle a aussi préservé des avantages importants pour la pêche. Ses garanties pour le maintien d’une concurrence équitable apparaissent modestes. Néanmoins, on pourra toujours y revenir, car nombre de négociations restent à mener.
Cette stratégie comporte des risques très importants pour les entreprises britanniques, déjà fort secouées par une pandémie du coronavirus très mal gérée. Les services, où le Royaume-Uni bénéficie d’une force récurrente, ne sont guère couverts par l’accord. En plus, l’industrie et l’agriculture bénéficient d’une absence de tarifs et de restrictions quantitatives, mais nombre de barrières réglementaires compliqueront le passage des marchandises aux frontières. Certes, les pays voisins (Irlande, Belgique, Pays-Bas et France) souffriront aussi, mais sur une part bien moindre de leurs exportations.
De plus, l’accord ne couvre pas tous les échanges. Par exemple, l’Union devra encore prendre des mesures sur le transfert des données personnelles, ou l’agrément des services financiers. Une série de dispositions seront mises en oeuvre par la conclusion d’autres accords. Le Brexit va rester un processus permanent de négociation pendant des années. Les entreprises britanniques demeurent donc soumises à plusieurs incertitudes. Enfin, il faut ajouter le délire managérial qui consiste à leur laisser quelques jours pour préparer une solution enfin définie… quatre ans et demi après le référendum de 2016 (il n’existait aucune raison technique d’étirer autant les débats pour un résultat aussi maigrelet).
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En réalité, à partir du référendum, les gouvernements May et Johnson ont multiplié les choix coûteux en n’arrêtant pas de reporter les décisions. C’était la stratégie de loin la plus sanglante pour les investissements et les emplois, cependant ils l’ont suivie avec grande constance. On l’oublie un peu, mais les prévisions économiques en 2016 annonçaient un coût économique à peu près nul, à condition que le Royaume-Uni demeure proche de l’Europe. Boris Johnson, malgré cela, a préféré le hard Brexit au soft Brexit. Après le 1er janvier 2021, on pourra enfin évaluer l’impact réel de cette décision. Si le retour aux contrôles douaniers a été aussi bien préparé à Londres que la pandémie, on doit s’attendre à des images surréelles.
Le Brexit recèle de grands paradoxes. Boris Johnson prétend redresser l’économie britannique, il fait l’inverse. Nigel Farage (fondateur du Ukip, parti pour l’indépendance du Royaume-Uni) voulait désintégrer l’Union européenne. On semble progresser au contraire vers la désintégration du Royaume-Uni. « F*** business », comme le dit si élégamment Johnson, demeure toujours une stratégie risquée.
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