Franklin Dehousse
Bienvenue dans le siècle de la grande Asie (et de la petite Europe)
Dans la lutte contre le coronavirus, sans sursaut, l’Europe risque encore une mauvaise performance.
L’éternel retour des discours grandiloquents des responsables européens a un côté tragique. « C’est l’heure de l’Europe », disait, en 1991, Jacques Poos, ministre luxembourgeois des Affaires étrangères vite oublié, au début de la guerre en ex-Yougoslavie. Les massacres se sont multipliés pendant des années jusqu’à l’arrivée des Américains. En 2003, le quatuor Schröder – Chirac – Verhofstadt – Juncker annonçait un état-major conjoint pour l’année suivante, et une force d’action rapide. On les attend toujours. Maintenant, après la « Commission politique » de Jean-Claude Juncker, nous avons la « Commission géopolitique » d’Ursula von der Leyen. Les concepts changent, comme la mode, mais l’impuissance externe demeure: Libye, Turquie, Russie, Syrie, Egypte…
Dans la lutte contre le coronavirus, sans sursaut, l’Europe risque encore une mauvaise performance.
La réalité interne est plus cruelle. Après 2008, l’Europe a été incapable de définir une réponse forte à la crise financière. Résultat: la pire performance économique de la planète pendant huit années. Après 2015, elle a été incapable de définir une réponse forte à la crise des réfugiés. Résultat: une déstabilisation politique dans beaucoup d’Etats membres. En 2020, on s’interroge encore. L’Union européenne, arthritique lors de l’explosion du coronavirus, a perdu des semaines précieuses. Ensuite, elle a pris des mesures utiles, et lancé une initiative budgétaire sans précédent (mais trop limitée encore). Depuis, hélas, l’initiative budgétaire s’enlise dans les corridors du pouvoir. En même temps, la deuxième vague se lève partout, montrant que les six mois depuis mars ont été assez mal utilisés par les autorités, et qu’une partie du public n’a pas été convaincue par la menace.
Sans sursaut, l’Europe risque ici encore une mauvaise performance. Même avec un Trump abyssal, les Etats-Unis n’ont pas encore atteint jusqu’ici la surmortalité des mauvais élèves européens (au premier rang desquels figurent le Royaume-Uni de Boris Johnson et la Belgique du tandem Sophie Wilmès – Maggie De Block). Leur effondrement économique reste aussi moins fort. Le contraste entre l’Asie et l’Europe est encore plus brutal. En Asie, souvent la menace du lockdown est moins présente, et la croissance repart, même avec modération.
Si cette différence persiste (ou même s’accentue, dans le cas où la Chine trouve les premiers vaccins efficaces), elle aura des implications médicales, mais aussi économiques et politiques considérables. En économie, on assistera à un remake de 2008-2016, avec un accroissement de puissance financière important en Asie. Cela vaudra spécialement dans les investissements, ce qui freinera encore la capacité d’innovation de l’Europe. En géopolitique, cela dégradera encore l’image du modèle européen. Cela renforcera ses adversaires autocrates, que ce soit à l’extérieur ou l’intérieur de l’Union.
Les Etats-Unis comme l’Europe traversent une crise profonde, qui mêle économie poussive, polarisation croissante, tant politique qu’ethnique, de plus grandes inégalités sociales, la détérioration de l’information, spécialement sur les réseaux sociaux. Leur attractivité se dégrade, tout comme leur influence dans le monde. Les Etats-Unis, toutefois, conservent de réels instruments de puissance (armées, technologies, dollar). Pas l’Europe. En attendant, sur les autres continents, et spécialement en Asie, beaucoup regardent avec un étonnement navré ce continent européen qui, une fois de plus, n’arrive pas à affronter ses défis.
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