Accueil des Ukrainiens: une rare unanimité sur l’hypersensible question de la migration
L’afflux sans précédent d’exilés ukrainiens dans l’UE a suscité une réponse de solidarité unanime et rapide des Vingt-Sept, qui tranche avec leurs divisions sur l’accueil des réfugiés syriens en 2015 et les blocages persistants autour de la question hypersensible de la migration.
Premier pays d’accueil, la Pologne a ouvert ses portes à 1,2 million d’Ukrainiens ayant fui l’invasion russe, soit plus de la moitié du total, selon l’ONU mardi. A sa frontière avec le Bélarus en revanche, ce pays construit un mur pour bloquer migrants et demandeurs d’asile. Des milliers d’entre eux, majoritairement originaires du Moyen-Orient, avaient tenté le passage l’année dernière, Minsk étant accusé de les avoir acheminés aux frontières de l’UE.
La Hongrie, autre pays frontalier à accueillir des Ukrainiens, avait comme la Pologne rejeté les quotas de répartition de réfugiés instaurés après 2015, année au cours de laquelle plus d’un million de demandeurs d’asile (en majorité syriens, mais aussi afghans et irakiens) étaient arrivés par la mer en Europe.
Les Vingt-Sept ont décidé de façon unanime et en un temps record, une semaine après le début de l’attaque russe, d’accorder aux Ukrainiens un régime de protection temporaire, en recourant à une directive de 2001 jamais utilisée jusque là. Un « exploit » s’agissant du sujet de la migration, « souvent considéré comme toxique ou difficile », avait commenté la commissaire européenne aux Affaires intérieures, Ylva Johansson. Même si la vague de réfugiés de 2015, souvent qualifiée de « crise migratoire », avait suscité des réactions de solidarité au sein de la population européenne et de la part d’Etats comme l’Allemagne, la question du partage des responsabilités entre Etats membres avait profondément divisé le bloc. L’unanimité actuelle s’explique par la proximité géographique de ce pays voisin de l’UE, et le fait que la guerre qui s’y déroule est liée à des « questions de sécurité qui dépassent le cadre de l’Ukraine et concernent tout le continent européen« , souligne Marie De Somer, spécialiste de la migration au think tank European Policy Centre.
« Préjugés »
« La moindre expression de désunion ou de panique de la part de l’UE serait exploitée par Vladimir Poutine« , explique aussi Catherine Woollard, directrice du Conseil Européen pour les réfugiés et exilés (ECRE), un réseau européen d’ONG, qui avait milité en vain pour l’activation de la protection temporaire pour les réfugiés en 2015. Mais il existe aussi « des facteurs d’ordre ethnique et religieux. Il serait naïf de ne pas voir qu’une partie de la différence est due à ces considérations, et que malheureusement certains Etats en Europe font parfois preuve de racisme et de préjugés à l’égard des réfugiés et demandeurs d’asile », relève-t-elle. « Nous aimerions voir des réponses similaires dans d’autres situations, pour que toute personne ayant besoin de protection puisse recevoir une protection« , commente Catherine Woollard.
La Commission, comme la présidence française du Conseil de l’UE, espèrent que la crise actuelle aidera à faire progresser la réforme européenne de l’asile et de la migration, qui bute sur l’épineuse question de la répartition des demandeurs d’asile. « Il faut que nous soyons prêts pour les prochaines crises », a exhorté le ministre français de l’Intérieur Gérald Darmanin. Mais rien n’est moins sûr. « On peut craindre que dans le moyen terme les Etats européens (….) disent à un moment donné : on a fait un effort considérable vis-à-vis des réfugiés ukrainiens, et on ne peut plus accueillir personne », pointe l’expert Yves Pascouau, chercheur associé à l’institut Jacques Delors. « Tout va être déterminé par l’ampleur du phénomène et la longueur du conflit », ajoute-t-il toutefois.
A l’heure actuelle, beaucoup de réfugiés ukrainiens sont hébergés par des proches dans les pays qui accueillent déjà des communautés ukrainiennes, comme la Pologne. Mais « à long terme il pourrait être nécessaire de mettre en place des mécanismes de répartition plus formels, en particulier si arrive un grand nombre de personnes sans liens familiaux » dans l’UE, souligne Catherine Woollard.
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