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Venise, l’autre martyr du changement climatique

Marie Gathon Journaliste Levif.be

Alors que les regards sont tournés vers l’Australie dévorée par les flammes, Venise nous raconte une autre histoire liée au changement climatique, celle de l’eau dévastatrice.

Le 12 novembre dernier, Venise a connu une inondation record. Cette nuit-là, une soudaine onde de tempête a submergé près de 90 % de la ville. Une marée haute d’une ampleur exceptionnelle de 1,87 mètre s’est abattue sur la Cité des Doges, surprenant les touristes qui pataugeaient dans les ruelles inondées tandis qu’un puissant sirocco faisait déferler les vagues sur la place Saint-Marc.

Il s’agissait de la deuxième inondation la plus importante depuis les relevés en 1923. Son niveau était situé seulement quelques centimètres en dessous de celle 1966 qui avait été dévastatrice pour la ville. L’épisode avait alors été considéré comme une exception qui ne devait se produire que tous les 800 ans.

Venise est régulièrement touchée par le phénomène des « Acque Alte », pics de marées particulièrement prononcés qui provoquent la submersion d’une partie plus ou moins grande de la zone urbaine insulaire. L’Acqua Alta inonde souvent les parties basses de la ville, dont la place Saint-Marc. Mais elles se produisent aujourd’hui de manière tellement fréquentes et importantes que la ville même est menacée. Un phénomène qui devrait alerter sur ce qui pourrait arriver à d’autres villes côtières d’ici les trente prochaines années, selon les climatologues.

Des inondations plus fréquentes et plus importantes

Venise est l’un des plus bels artefacts de l’homme, construit sur des millions de pylônes au milieu d’une lagune et elle est peut-être en train de disparaître sous nos yeux, déplore CBS qui s’est rendue sur place pour découvrir comment la ville luttait pour sa survie.

Les inondations périodiques de Venise sont devenues plus menaçantes et plus fréquentes ces dernières années. La célèbre basilique Saint-Marc, joyau de la Sérénissime, a été inondée sous un mètre d’eau et la crypte et le presbytère complètement noyés durant la nuit du 12 novembre. Selon le procurateur de l’édifice, Pierpaolo Campostrini, une inondation comme celle-là s’est seulement produite cinq fois dans l’histoire de la basilique – érigée en 828 et reconstruite après un incendie en 1063 -, la donnée la plus préoccupante étant que sur ces cinq précédents, trois ont été constatés au cours des 20 dernières années, dont une fois en 2018.

Toto Bergamo Rossi, connu comme le maire non officiel de Venise, descendant d’une ancienne famille vénitienne et directeur de la Fondation de l’Héritage de Venise, affirme à CBS que Venise n’est pas seulement une patiente malade qu’il faudrait soigner, mais qu’elle est déjà aux soins intensifs.

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Preuve que le problème s’accentue, en novembre et en décembre, les Vénitiens se sont réveillés au son des sirènes annonçant de nouvelles marées importantes plusieurs fois par semaine.

S’il est vrai que Venise a toujours été vulnérable, car la ville s’enfonce aussi lentement, l’eau monte par ailleurs plus haut et plus fréquemment. Trois des huit marées les plus hautes de l’histoire de Venise se sont produites en novembre. Cela devient la nouvelle norme. Et les Vénitiens se demandent combien de temps elle pourra encore le supporter.

Le réchauffement climatique en cause

Selon Luigi Brugnaro, le maire élu de Venise, la récente montée des eaux et la fréquence des inondations sont dues au réchauffement climatique. « Ces événements extrêmes endommagent de nombreux chefs-d’oeuvre de Venise, comme la basilique Saint-Marc, vieille de 900 ans, connue sous le nom d’Église de l’Or. Ses sols en marbre ont été inondés le 12 novembre. L’eau s’est retirée, mais a laissé derrière elle du sel, que les Italiens appellent le cancer parce qu’il ronge les mosaïques et les fondations. »

Michael Oppenheimer est professeur de géosciences à l’Université de Princeton et l’un des principaux auteurs d’un rapport historique sur le changement climatique pour les Nations Unies qui a révélé que les villes côtières sont de plus en plus menacées par l’élévation du niveau de la mer. « Le reste du monde devrait comprendre que c’est ce à quoi de nombreux endroits du monde vont être bientôt confrontés. Venise est juste, comme tout le monde le dit, « le canari dans la mine de charbon » », dit-il.

« Le niveau des mers monte presque partout sur la Terre. Non seulement il s’élève, mais cela s’accélère. Ainsi, d’ici 2050, soit dans seulement 30 ans, de nombreux endroits dans le monde vont connaître chaque année le niveau historique d’inondation qu’ils connaissaient auparavant tous les cent ans. »

Une infrastructure pour protéger la ville

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Cela fait déjà de nombreuses années que les autorités de Venise réfléchissent à protéger leur ville de cette calamité qui altère chaque fois un peu plus son patrimoine artistique. Le projet MOSE (acronyme de Module expérimental électromécanique, et signifiant Moïse en italien) est en cours de construction depuis 2003, mais le surcoût et les malfaçons ont entraîné de nombreux retards. Il consiste à installer 78 digues flottantes qui se lèveraient pour fermer la lagune en cas de montée de la mer Adriatique. Le système devrait être en état de fonctionner début 2021.

Mais son obsolescence semble déjà inévitable. Selon l’ingénieur en charge du projet, Alessandro Soru, Moïse a été conçu pour fonctionner en moyenne 10 jours par an. Mais la crainte est que si l’Adriatique continue à s’élever au-delà des projections, les portes de Moïse devront peut-être être relevées presque tous les jours d’ici le milieu de ce siècle. Et le système n’a pas été conçu pour ce genre d’usure.

Des habitants qui fuient

La cité, autrefois le coeur d’une puissante république maritime, voit sa survie menacée par la montée du niveau de la mer, mais aussi par le dépeuplement, selon le Guardian. Selon Shaul Bassi, un Vénitien, une autre menace pour Venise est qu’elle devienne un beau musée vide, une sorte de ville fantôme.

Les inondations récurrentes, l’augmentation du coût de la vie, le manque de logements abordables et le tourisme mal géré ont chassé 120 000 personnes depuis le début des années 1950, la majorité d’entre elles a simplement traversé la lagune pour aller sur le continent. Mais au cours des 20 dernières années, le rythme s’est accéléré avec l’avènement des vols low cost et du tourisme de croisière. En été, jusqu’à 60.000 touristes affluent chaque jour dans le centre historique où vivent 52.000 personnes.

Les inondations commencent néanmoins à dissuader les touristes également. Les inondations historiques de novembre dernier ont ainsi entraîné l’annulation de 45% des réservations hôtelières pour le mois de décembre. « Si nous avions un taux d’occupation de 100% pour la nuit du Nouvel An en 2018, cette année ce taux était inférieur à 50% », a commenté le président de l’association vénitienne des hôteliers, Vittorio Bonacini lors d’une conférence de presse.

Pour donner un avenir à Venise, son maire veut faire de la ville un laboratoire mondial de lutte contre le changement climatique. Selon lui, sa ville n’est plus seulement belle et bonne à être visitée. Sa fragilité doit être un avertissement pour le reste de la planète. Elle est sous la pression de forces qu’elle ne peut pas contrôler, mais elle n’est pas seule. Dans un monde où les températures se réchauffent et où le niveau de la mer monte partout, aucune côte ne sera épargnée.

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