Recyclage: une seconde vie pour nos cheveux
Vous souvenez-vous de la collecte massive de cheveux qui avait eu lieu après la marée noire à l’île Maurice, en 2020, pour aider à la dépollution? De l’agriculture à la recherche biomédicale, nos cheveux ont plus de pouvoir qu’on pourrait le croire. Une filière de recyclage s’est mise en place, y compris en Belgique.
Pendant des années, je me suis demandé ce que je pourrais faire de tous ces cheveux que je mettais à la poubelle« , raconte Amélie Braine, propriétaire du salon Hair du temps, à Huy. Chaque mois, elle en coupe deux kilos, soit l’équivalent d’un sac d’environ 50 cm de haut et 25 cm de large. Un volume à multiplier par près de 23 000 professionnels actifs en Belgique (si l’on tient compte uniquement des membres de Fedelhair, la fédération des coiffeurs belges). Fille de chasseur, elle sait que les cheveux, par leur odeur qui trahit la présence humaine, peuvent être utilisés pour éloigner les animaux. Elle s’est alors intéressée aux solutions de recyclage.
« Tout un temps, j’envoyais mes cheveux à Coiffeurs Justes, bien implanté dans le recyclage en France, et j’avais encouragé d’autres coiffeurs belges à faire de même. Mais les frais de port étaient très élevés », déplore la Hutoise. Depuis quelques mois, son problème a trouvé une solution: elle confie les cheveux coupés et transmet son enthousiasme et son expertise à la nouvelle asbl belge Hair Recycle, créée par Patrick Janssen. « Avec mon fils aîné, on s’est lancés début 2021, précise ce dernier. J’avais envie de monter un projet d’économie circulaire et je me suis rendu compte qu’il valait mieux s’attaquer à une matière qui n’était pas encore recyclée chez nous. On s’est appuyés sur Matter of Trust, une ONG fondée il y a trente ans, en Californie, par une Franco-Américaine et son mari, et qui accompagne aujourd’hui des structures locales comme la nôtre. A ma connaissance, on est une douzaine à faire ça dans le monde. »
Le cheveu est capable d’absorber huit fois son poids en hydrocarbure.
Dépolluer les rivières
Plus de trois cents salons ont déjà adhéré au projet, soutenu par Fedelhair, en Wallonie et en Flandre. Chacun s’acquitte de frais d’adhésion de 30 à 70 euros par an, selon la taille du salon. « Ce montant n’est pas beaucoup plus élevé que ce qu’ils devraient débourser en sacs poubelle et taxe déchets commerçant », évalue Patrick Janssen.
Une fois récupérés, les cheveux participent à la dépollution des eaux (lire l’encadré en fin d’article). « Nous respectons les valeurs de l’économie circulaire, insiste le fondateur d’Hair Recycle. On n’envoie pas les cheveux à l’autre bout du monde. Ils seront utilisés localement. Parmi les projets possibles, on notera la dépollution de nos rivières. A cause, par exemple, des fuites de vieilles citernes à mazout, assez fréquentes. Des boudins en cheveux pourraient être utilisés dans ce genre de situation, ou dans les stations de démontage de voiture. »
Pour l’instant, le jeune projet n’a pas encore commencé à transformer les cheveux récupérés. Hair Recycle entre en phase de test en laboratoire pour identifier les meilleurs usages et pouvoir offrir des données chiffrées sur l’efficacité de ses produits. « Les pistes sont nombreuses car en plus d’être hydrophobe, le cheveu est aussi ultrarésistant: un cheveu peut supporter un million de fois son poids!, souligne Patrick Janssen. On utilise beaucoup de biocomposites – des sacs recyclables aux plans de travail de cuisine – et on pourrait envisager que le cheveu entre dans leur composition. Il serait aussi un bon renforçateur de béton. »
Recherche médicale
Le cheveu est composé majoritairement de kératine, une protéine fibreuse qui lui confère résistance et élasticité. On la retrouve dans la composition de produits cosmétiques, mais Hair Recycle a écarté cette piste pour le moment. « Certains pays comme le Japon ou la Nouvelle-Zélande commercialisent des produits à base de kératine humaine, mais en Europe, c’est interdit. »
Capillum, une entreprise française aux ambitions européennes, a trouvé un autre usage à cette kératine: « On travaille dans la recherche médicale, notamment pour reconstruire de la peau », explique son président Clément Baldellou, qui a choisi d’internaliser toutes les recherches. Actif dans le domaine de la dépollution des eaux, Capillum crée également des tapis de paillage biodégradable. « En agriculture verte, ils peuvent remplacer les grandes bâches noires que l’on voit parfois et même le chanvre ou encore la fibre de coco, qui fait des milliers de kilomètres avant d’arriver dans les jardins. » Plébiscités lors d’une campagne de crowdfunding, ces tapis devraient être prochainement disponibles via un e-shop.
Tant du côté des coiffeurs que de celui des acteurs du recyclage, on note un enthousiasme des consommateurs pour la démarche. Clément Baldellou a reçu des enveloppes de cheveux du monde entier: « On voit que l’écologie ne marche pas encore quand c’est contraignant ou cher, mais là c’est un geste simple. On doit juste prendre conscience que nos cheveux ont du pouvoir. »
De la marée noire à l’économie d’eau
Le cheveu est lipophile (on peut tous observer qu’il devient « gras » si on ne le lave pas). Il est capable d’absorber huit fois son poids en hydrocarbure. Conditionné sous forme de boudins ou de tapis, il est très efficace en cas de marée noire. La technique a été utilisée à l’île Maurice l’an dernier, mais elle avait déjà fait ses preuves dans le golfe du Mexique (2010) et lors de la marée noire du porte-conteneurs Cosco Busan, au large de Los Angeles, en 2007.
Un kilo de cheveux équivaut à deux cents litres d’eau économisés, peut-on lire sur les bacs de récupération de l’entreprise Capillum. « Pour créer un kilo de plastique, il faut en moyenne deux cents litres d’eau, résume Clément Baldellou, le fondateur. Comme on se substitue à des produits en plastique, fabriqués à base de pétrole, on estime que c’est l’économie d’eau que permet chaque coiffeur par kilo de cheveux donné. C’est une fourchette basse qui ne prend en compte que cet aspect de plastique qui ne doit pas être produit et que l’on peut facilement quantifier. En réalité, c’est bien plus. »
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