Réchauffement climatique: l’agonie des glaces
Les glaces du monde fondent à un rythme jamais vu. Les glaciers reculent, le pergélisol dégèle et la banquise s’amenuise même là où on ne s’y attendait pas.
Notre planète change. Rapidement. La faute à une température moyenne qui grimpe dix fois plus vite qu’elle ne le devrait. Il n’aura fallu qu’un degré de plus par rapport à la période pré-industrielle pour que d’innombrables glaciers, banquises que l’on pensait éternelles et pans entiers de montagnes disparaissent. Et ce n’est là que le début.
Ceux qui parcourent les glaciers à travers le monde en sont les témoins impuissants, car les températures augmentent trois fois plus vite dans les milieux montagneux. Là, plus qu’ailleurs, le phénomène est cruellement visible. Les glaciers disparaissent littéralement sous leurs yeux. Ils atteignent les niveaux les plus bas jamais enregistrés.
On estime que 70 % des glaciers de l’Ouest canadien devraient disparaître d’ici 2100. Le parc national des Glaciers du Montana n’aura probablement plus de glaciers actifs d’ici 2030. L’ancienne glace du glacier Matanuska est déjà en train de disparaître rapidement. Dans les endroits les plus élevés et les plus froids de la planète, le constat est identique. Même le mont Everest n’y échappe pas. Des milliers de glaciers à travers l’Himalaya sont susceptibles de rétrécir de 99% d’ici 2100. Un enfant né aujourd’hui verra un Everest largement débarrassé de ses glaciers.
Dans les Alpes aussi
Depuis trente ans, le repli des glaciers des Alpes est rapide. La mer de Glace est remontée de 650 m, le glacier d’Argentière de 700 m et celui des Bossons de 1 000 m. Sur la seule décennie écoulée, les glaciers alpins ont fondu quatre fois plus vite que la moyenne de leurs homologues du globe.
En 2018, il a à nouveau fait trop chaud et trop sec dans les Alpes. On a relevé des températures proches de zéro au sommet du mont Blanc (4 810 m). Ici aussi cela provoque le dégel du pergélisol qui en haute montagne assure la création de glace qui joue le rôle de ciment dans les fissures des parois. Lorsqu’il fond, la montagne s’émiette et devient de plus en plus dangereuse. Parfois, c’est un simple rocher qui tombe, d’autres fois c’est un pan entier de la montagne qui s’écroule comme en Suisse, le 23 août 2017 ou trois millions de mètres cubes sont tombés provoquant une avalanche rocheuse, puis une coulée de boue de six kilomètres qui a dévasté le village de Bondo. Cette fragilisation de la montagne pourrait aussi provoquer la vidange brusque des lacs nés du retrait des glaciers ou celle des eaux accumulées à l’intérieur même des glaces.
Les glaciers suisses ont perdu 2,5% de leur volume en 2018
Selon un rapport publié mardi par l’Académie des sciences naturelles helvétique, 2018 constitue l’une de ces années record dont la récurrence fait que les glaciers suisses ont perdu « un cinquième de leur volume au cours de la dernière décennie ». Et pourtant, après trois années au très faible enneigement, l’hiver 2017-2018 s’annonçait plutôt propice à une bonne protection des glaciers grâce des chutes de neige exceptionnelles. C’est en effet la couche de neige recouvrant les glaciers qui les empêche de fondre. « Jusqu’à la fin mars, il y avait encore, au-dessus de 2.000 mètres, plus de deux fois plus de neige que d’habitude » et « les hauteurs de neige étaient les plus élevées enregistrées au cours des 20 dernières années », ont ainsi noté les scientifiques. Mais aux chutes de neige inhabituelles de l’hiver ont répondu des températures et une sécheresse extrêmes à partir de mars.
Cette chaleur, couplée à la sécheresse, « a non seulement fait fondre les quantités énormes de neige hivernale (parfois jusqu’à 5 mètres sur les glaciers), mais il a en plus fait fondre la glace. Le total de la fonte (fonte de neige et de glace) n’a jamais atteint un tel niveau hormis au cours de l’année 2003 », a expliqué à l’AFP Matthias Huss, responsable du Réseau suisse de relevés glaciologiques (GLAMOS) qui chaque année mesure et analyse les glaciers.
« 2003 reste la pire année pour les glaciers, mais 2018 se situe assurément dans le Top 10 des 100 dernières années, et dans le Top 3 pour certains glaciers », a-t-il estimé, ajoutant: « s’il y avait eu le niveau de chutes de neige de 2017 par exemple, 2018 aurait sans doute constitué un record absolu ». Et si le réchauffement continue sur le même tempo, prévient cet expert, « de nombreux petits glaciers vont complètement disparaître » et « les plus gros glaciers vont continuer à beaucoup reculer ».
Cet été, la plus ancienne et la plus épaisse mer de glace s’est fissurée en Arctique
Depuis plusieurs années, la glace se fragmente aussi au pôle Nord, mais c’est la première fois qu’un tel phénomène se produit dans cette zone au nord du Groenlan que l’on pensait protégée. Cette mer gelée était surnommée « la dernière zone de glace », car c’était la plus ancienne et la plus solide mer de glace de l’arctique. D’après les scientifiques, cette zone devait être l’une des dernières touchées par le réchauffement climatique. Les fortes chaleurs et les vents puissants en sont responsables. L’Arctique perdrait plus de 3,5 % de sa banquise chaque décennie. Certains estiment même que d’ici 2030 à 2050, il n’y aura plus en été de mers gelées dans l’océan arctique.
La fonte du pergélisol et le rot apocalyptique
Les sols gelés couvrent le quart de l’hémisphère Nord, principalement en Alaska, au Canada, au Groenland, en Russie et en Chine. Selon un rapport de la NASA, pendant des centaines de millénaires, « les sols du pergélisol arctique ont accumulé de vastes réserves de carbone organique » – entre 1 400 et 1 850 gigatonnes, alors qu’il y a actuellement 850 gigatonnes de carbone dans l’atmosphère terrestre.
Plus inquiétant encore les scientifiques s’aperçoivent que le pergélisol arctique est moins permanent que son nom l’indique. Les estimations de la quantité de carbone qui sera libérée par le dégel du pergélisol indiquent qu’elle pourrait s’élever en moyenne à environ 1,5 milliard de tonnes par an, soit à peu près la même quantité que les émissions annuelles américaines actuelles provenant de la combustion de combustibles fossiles. Les changements dans le pergélisol qui se produisent sur le versant nord de l’Alaska sont dus à certaines des augmentations de température les plus spectaculaires au monde. En 35 ans de mesures ici, la température à 20 mètres sous terre a augmenté de 3C depuis la première mesure de Romanovsky, et à la surface du pergélisol à un mètre sous terre, la température moyenne a augmenté de 5° depuis le milieu des années 1980. Même de petites augmentations rapprochent la température du pergélisol de 0 °C. En franchissant cette ligne, le pergélisol commencera à fondre. Certains estiment que cela pourrait être le cas vers 2050 ou 2060 au plus tard.
Dans les océans aussi le danger rôde, car la fonte du pergélisol sous-marin de l’Arctique pourrait provoquer un » rot » de méthane de gaz précédemment piégé. Ce « rot » libérait donc dans l’atmosphère l’équivalent de plusieurs fois la quantité totale de CO2 émise par les humains. Nul besoin de dessin pour comprendre que ce serait catastrophique.
Le chercheur Leonid Yurganov précise dans The Guardian que la libération rapide du méthane influerait sur la température de l’air près de la surface et accélérerait le réchauffement de l’Arctique. « La différence de température entre les pôles et l’équateur entraîne nos courants d’air d’ouest en est « , dit-il. « Si cette différence diminue, le transport aérien d’ouest en est devient plus lent et les courants d’air nord-sud deviennent plus forts. Il en résulte de fréquents changements de temps dans les latitudes moyennes. « Cela changerait le climat, dit-il, « partout dans le monde ».
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