Bruno Guemes
Quand les filles parlent du changement climatique, nous devrions les écouter
Voilà plusieurs années que les enfants et les jeunes exigent des mesures contre le changement climatique. Cependant, ce qui passe souvent inaperçu, c’est que ces millions de jeunes militant.e.s sont souvent dirigé.e.s par des filles. Si Greta Thunberg en est un exemple bien connu, les activistes comme l’écoféministe Oladosu Adenike et Marinel Ubaldo sont nombreuses dans le monde à descendre dans les rues pour montrer la voie à suivre. Et pour cause : les filles sont à la fois plus touchées par le changement climatique et essentielles dans la lutte pour renverser la tendance. C’est là un aspect primordial de l’impact du réchauffement climatique.
Clairement, le changement climatique affecte plus que les seules conditions météorologiques ; il a des conséquences profondes pour des groupes spécifiques de notre société. Loin de toucher tout le monde dans la même mesure et partout, son impact est inégal et carrément injuste. Les filles font partie de ces groupes qui, en raison de leur genre et de leur âge, risquent plus gros face aux dangers du changement climatique.
Droits des filles et changement climatique, même combat
Selon ONU Femmes, les femmes et les filles qui vivent dans la pauvreté sont confrontées à de multiples formes de discrimination qui les rendent plus vulnérables face aux catastrophes naturelles. Les filles dans la pauvreté sont, par exemple, 2,5 fois plus susceptibles de subir un mariage précoce, un phénomène qui s’aggrave en période de crise et d’urgence. Or, le changement climatique ne fera qu’accentuer la fréquence et l’intensité des catastrophes naturelles.
Lorsqu’une crise climatique éclate, combinée aux problèmes économiques, elle joue souvent un rôle de catalyseur de conflit. C’est le cas dans des régions comme le lac Tchad ou le Sahel. Ce dernier fait face à des risques accrus de sécheresse et de désertification. Dans une zone déjà sujette aux conflits en raison de la rareté des ressources, cela peut sérieusement exacerber les tensions.
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Plan International a mené des études qui montrent l’impact significatif de la pandémie de COVID-19 sur les filles du monde entier. La pandémie illustre en effet bien comment une catastrophe à l’échelle mondiale peut les affecter. Au Cameroun, une fille a déclaré : « La plupart d’entre nous terminaient l’école. Aujourd’hui, nous sommes confrontées à de sérieux défis. La plupart des filles abandonnent en raison de grossesses non désirées, de la pauvreté de leurs parents, du risque d’abus sexuels et d’attaques entre groupes armés. »
Par ailleurs, d’après les chiffres de l’ONU, 80 % des personnes déplacées par le changement climatique sont des femmes. C’est pourquoi l’Accord de Paris de 2015 a pris des dispositions spécifiques pour renforcer la position des femmes. Pourtant, les filles sont à peine mentionnées dans les plans mondiaux ou nationaux de lutte contre le changement climatique, alors même qu’elles font également partie de la solution.
Émancipez les filles, sauvez la planète
Les filles peuvent aider à enrayer la crise climatique. Un exemple ? L’éducation. D’après le Drawdown Review, l’éducation des filles serait même l’un des six principaux moyens de lutter contre le changement climatique. Grâce à une éducation de qualité, elles peuvent améliorer leurs connaissances, leurs compétences et leur capacité à s’adapter et à réduire les risques liés au changement climatique. Non seulement leur position économique s’améliore, les protégeant contre différents risques. Elles peuvent également contribuer à lutter contre le changement climatique, notamment grâce à l’innovation. En partageant leurs expériences, elles sont les mieux placées pour influencer les générations futures.
Et ce n’est qu’un des nombreux domaines dans lesquels nous pouvons renforcer les filles tout en sauvant la planète. Le travail de Plan International à travers le monde indique que cette stratégie fonctionne encore mieux si nous nous attaquons à l’ensemble des problèmes affectant les filles. Plan International se concentre sur la protection et le renforcement des filles dans des pays comme le Sénégal, le Mali et le Burkina Faso. Nous y proposons une éducation inclusive, nous stimulons l’esprit d’entreprise et nous luttons contre les mariages précoces, les excisions et la violence sexiste en général.
Cela a conduit des milliers de filles à prendre confiance en elles pour changer les normes locales, faire pression pour que la législation change et éveiller les consciences. À leur tour, les décideurs.ses politiques locaux.ales ont accru leur engagement. Nous constatons que la voix des filles est plus souvent entendue dans les plus hautes instances internationales. En octobre 2020, plusieurs filles de la région du Sahel ont été entendues lors d’une conférence internationale réunissant l’Union européenne, les Nations Unies et certains gouvernements européens. Grâce aux témoignages des filles et de leurs recommandations concrètes, tous les responsables présent.e.s se sont engagé.e.s à amplifier leur soutien dans la région.
Le plus important, c’est que les organisations de filles et la participation des jeunes sont au coeur de nos interventions. Nous écoutons les filles et les soutenons afin qu’elles puissent elles-mêmes plaider en faveur de changements de normes sociales, de politiques et de comportements. Les jeunes militant.e.s s’expriment pour exiger une action climatique, et nous devrions tou.te.s écouter attentivement.
Vers plus de justice climatique
Il est important de se rappeler que la responsabilité face au réchauffement climatique est très inégale. Certains pays ont historiquement émis le plus d’émissions de CO2, tandis qu’une poignée de grandes entreprises sont responsables de la quasi-totalité des émissions. Cette disproportion dans les responsabilités est également reflétée ailleurs : à travers le monde, la plupart des dirigeant.e.s et PDG sont depuis toujours des hommes. Dans cette pyramide des responsabilités, les filles issues de pays comme le Burkina Faso ou le Sénégal figurent tout en bas.
De plus, les effets du changement climatique sont injustes et affectent de manière inégale les populations à travers le monde. C’est pourquoi nous avons besoin de justice climatique : de reconnaître cette double inégalité, afin de pouvoir soutenir les groupes les plus vulnérables, tout en exigeant des actions de la part de ceux qui sont et ont été les principaux responsables du changement climatique.
Le gouvernement belge a déjà reconnu la nécessité de soutenir les pays partenaires et les personnes les plus touchées par le changement climatique. Il soutient expressément le principe de justice climatique. Depuis, le gouvernement a intensifié sa coopération dans divers secteurs liés au changement climatique et a renforcé sa communication à ce sujet auprès du public belge. Mais les défis spécifiques des filles sont rarement reconnus explicitement dans nos efforts pour lutter contre le changement climatique à l’étranger. On pourrait en faire plus en soutenant davantage des fonds spécifiques pour les filles dans les pays partenaires, afin que nos actions soient menées de la manière la plus efficace.
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Le soutien des ONG et du gouvernement ne suffit pas. Heureusement, toujours plus d’entreprises privées commencent à soutenir des projets dans des régions comme le Sahel, du reboisement à l’installation de panneaux solaires dans les écoles. Et bien sûr, toute action individuelle est un outil précieux pour soutenir les filles dans leur lutte contre le changement climatique. En demandant à nos représentant.e.s politiques d’être plus audacieux.ses ou en manifestant notre soutien à nos filles, nos soeurs et nos amies, nous pouvons contribuer à faire la différence.
Je suis très optimiste par rapport à nos jeunes, et en particulier nos filles. Dans le monde entier, je les ai vues et entendues et j’ai été témoin de leur volonté de collaborer à un avenir meilleur. Nous devons comprendre que les filles jouent un rôle de premier ordre dans l’atténuation du changement climatique. Nous devrions également écouter leurs expériences de vie, sur lesquelles devrait se fonder toute action climatique. Que ces filles vivent en Europe ou en Afrique, les enjeux sont énormes pour elles, et elles ont beaucoup à dire. Alors écoutons-les.
À propos de l’auteur : Bruno Guemes est spécialiste en changement climatique chez Plan International Belgique, une ONG de défense des droits de l’enfant et des filles. Il a travaillé dans les domaines des droits des filles, de l’environnement et du changement climatique dans divers pays d’Amérique latine, d’Asie-Pacifique, d’Afrique et du Moyen-Orient. À l’occasion de la Journée mondiale de l’environnement, ce 5 juin, il a écrit un article d’opinion sur les droits des filles et le changement climatique.
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