« La dernière frontière raciste ? Celle entre l’homme et l’animal »
Aymeric Caron, journaliste et écrivain, plaide pour la reconnaissance des droits essentiels aux animaux. Interview exclusive.
Voici trois ans, Aymeric Caron avait écrit No Steak (Fayard), dans lequel il s’insurgeait contre l’industrie de la viande. Dans Antispéciste (1), l’ex-chroniqueur d’On n’est pas couché, sur France 2, va plus loin. Il plaide ainsi pour la reconnaissance des droits essentiels aux animaux.
Antispéciste, c’est une suite de No Steak ?
Aymeric Caron : Dans No Steak, je racontais mon expérience du végétarisme et les raisons pour lesquelles, bientôt, nous ne mangerons plus de viande. Je suis végétarien depuis l’âge de 20 ans (NDLR : il en a 44). Je ne suis pas devenu végétarien pour des raisons politiques, simplement par respect pour les animaux. Mais je ne pensais pas que No Steak me collerait autant à la peau. Désormais, quand on dit « Caron », les gens répondent « Ah ! oui ! le végétarien. » Antispéciste, c’est en effet une suite logique et nécessaire.
Vous-même, êtes-vous antispéciste ?
Je suis végétarien, j’ai arrêté de boire du lait récemment, et je suis aussi antispéciste. Les antispécistes affirment simplement qu’il n’existe aucune raison de privilégier l’animal humain sur les animaux non humains, qu’il ne faut pas traiter différemment deux espèces, qui ont les mêmes spécificités d’intelligence et de sensibilité, au simple prétexte qu’elles n’appartiennent pas à la même espèce. Ce n’est pas parce qu’une vache n’est pas un animal humain que j’ai le droit de la faire souffrir. Ce n’est pas parce qu’un cochon n’est pas un animal de compagnie que j’ai le droit de le faire souffrir… Ce cochon est aussi intelligent et affectueux qu’un chien. N’a-t-il pas les mêmes droits que mon chien ?
Pour les antispécistes, il n’y aurait pas de hiérarchie entre l’homme et l’animal. L’homme ne serait-il qu’un animal comme les autres ?
Vous mettez précisément le doigt sur toute l’ambiguïté de ce terme. Mais, non ! Il ne s’agit pas de mettre tous les animaux à égalité avec les hommes. Je ne parle pas d’une égalité stricto sensu, mais d’une égalité de considération. J’ajouterais aussi une égalité entre les douleurs. Pour un animal, la douleur qu’il ressent n’est pas moins grave ni moins aiguë.
Une refonte du statut de l’animal ne suffit-elle pas ? Votre pays, la France, a modifié le statut de l’animal, qui n’est plus un meuble, dont on peut faire ce qu’on veut, mais un être vivant sensible, dont on doit respecter certains droits.
C’est tout notre rapport à l’animal qui doit changer. Il ne suffit pas d’exiger que l’on tue les bêtes sans qu’elles souffrent. Là, on est vraiment au coeur du débat qui anime l’antispécisme. Les uns, les welfaristes, estiment que l’on peut arriver à une solution en militant pour l’adoption de lois qui garantissent ou améliorent le bien-être animal. Mais ils ne remettent pas en cause l’exploitation animale, et on bute sur un os, qui est la fin de vie : à la fin, il faut tuer l’animal et il s’agit toujours d’une euthanasie. Les autres, les abolitionnistes, disent que tant que les animaux continueront à être traités comme des marchandises produites et échangées, leur sort ne pourra pas s’améliorer, ou qu’à la marge.
Et vous, de quel côté vous rangez-vous ?
Je suis dans la veine abolitionniste. Encore que dans mon livre, je prends du recul. Ainsi les abolitionnistes affirment que, dès qu’il y a contact avec un animal, il y a domination… Je ne vais pas jusque-là. Je ne suis pas contre manger un oeuf, s’il vient d’un petit élevage où cela se passe sans souffrance. Je ne suis pas dans une compassion béate, mais je m’appuie sur un raisonnement rationnel et moral : mon action est-elle utile, et ai-je le choix ? La viande, la fourrure, la corrida, le cirque, le zoo, la chasse, l’exploitation animale : puis-je m’en passer ou pas ? Oui, je peux faire sans, je peux m’en passer. Ce ne serait pas la même chose, si j’étais sur une île déserte et que la faim me rongeait l’estomac. Je devrais tuer un animal pour manger. Mon action serait négative mais nécessaire.
Etes-vous quand même favorable à des droits pour les animaux ?
Evidemment ! Par contre, pour moi, on peut se contenter de ces trois droits fondamentaux, jusqu’ici réservés à l’homme : le droit de ne pas être tué, de ne pas être emprisonné et de ne pas être vendu. Ils figurent dans la Déclaration universelle des droits de l’homme. Ce qui, fatalement, signifie la fin de l’exploitation animale et de l’élevage industriel.
Certains semblent craindre qu’en valorisant l’animal, on rabaisse l’humain.
Voilà bien un argument purement spéciste ! Ça n’a pas de sens. Pourquoi est-ce dégradant d’être associé à un animal ? Il exprime une vision négative de l’animal. Mais on peut aussi considérer que c’est inacceptable de faire souffrir les animaux, parce que l’on a démontré que l’homme qui exploite les animaux exploitera les humains.
En somme : après les Noirs, les femmes et les gays, libérons les vaches ! Vous poussez le bouchon ?
Mais le spécisme relève de la même évidence. Dresser une frontière entre l’homme et l’animal est la dernière des frontières racistes. Pour moi, l’antispécisme incarne une vision sociale qui consiste à se soucier des plus faibles et des opprimés, animaux compris. En ce sens, il se rapproche des luttes contre les autres discriminations : l’esclavagisme, l’antiracisme, le féminisme, l’homophobie… Je suis sûr que c’est le grand combat des décennies à venir, le marxisme du XXIe siècle.
Un jour alors, les animaux auront tous des droits ?
Le chemin à parcourir reste long, ça prendra du temps. Mais j’en suis convaincu. Un jour viendra, je pense d’ici vingt ans, on accordera d’abord le statut de « non-humains sensibles » aux grands singes. Ce qui implique de leur accorder des droits essentiels comme l’interdiction de les tuer, de les priver de liberté et de les faire souffrir, même pour des raisons expérimentales. Ce sera ensuite le tour des autres mammifères sociaux comme les dauphins et les baleines. A un moment donné, ce mouvement inclura les autres espèces et la législation suivra d’elle-même. Vous et moi, ne serons sans doute plus là pour le voir. Ce n’est pas pour notre génération, mais pour les suivantes.
Vous considérez-vous comme un militant ?
Ecrire un livre est un acte militant. Je souhaite faire avancer les choses et contribuer à cette prise de conscience nouvelle. J’ai choisi de me consacrer à la bataille pour le respect des espèces animales et végétales. Je suis par exemple intéressé par ce que fait le Parti pour les animaux aux Pays-Bas (NDLR : sa mère est d’origine néerlandaise et il y a vécu un an).
L’ex-chroniqueur va être chroniqué ? Le journaliste sera peut-être moqué…
Qu’importe et que personne ne se prive… L’antispécisme est un concept différent par rapport à ce qu’on a l’habitude d’entendre. Ceux qui posent un regard neuf sont parfois moqués. Mais l’histoire montre qu’au départ, pour chaque mouvement de libération, c’était pareil, il a d’abord provoqué les moqueries, les sourires, puis la discussion et enfin l’adoption.
Antispéciste, par Aymeric Caron, Don Quichotte éd., 480 p.
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