En mai, tonte à l’arrêt: « Une stratégie manque pour sauver les pollinisateurs »
Cruciales pour notre alimentation et les écosystèmes, les populations d’abeilles s’effondrent depuis des décennies. Les jardins peuvent aider à inverser la tendance. Mais ce devoir incombe aussi aux pouvoirs publics, rappelle Sophie Maerckx, directrice de l’asbl bruxelloise Apis Bruoc Sella.
Pourquoi les abeilles, en particulier, sont-elles si importantes pour la nature et pour les humains?
Depuis cent millions d’années, elles ont coévolué avec les fleurs et développé des adaptations morphologiques pour assurer au mieux le service de pollinisation. Inversement, les fleurs se sont elles aussi adaptées: les pétales servent de piste d’atterrissage et disposent de signaux ultraviolets, tandis que l’odeur constitue un autre canal de communication avec les pollinisateurs. Dans cette famille, on retrouve en premier lieu les abeilles domestiques et sauvages. Ces dernières sont les plus efficaces. A côté d’elles, il y a d’autres pollinisateurs comme les papillons, les guêpes, des mouches, des coléoptères et des thrips. Environ 75% des plantes ont besoin de la pollinisation par les insectes. Ceux-ci sont donc à la base de toute la chaîne alimentaire et des écosystèmes tels qu’on les connaît. Sans pollinisation, il n’y aurait plus de nouvelles plantes poussant à partir des graines et des fruits. A terme, les écosystèmes s’effondreraient, tout comme notre diversité alimentaire.
Placer une ruche dans son jardin pour sauver les abeilles, cela n’aide pas du tout la biodiversité. C’est un peu comme mettre des poules pour aider les oiseaux. »
Sophie Maerckx
L’agriculture intensive est souvent pointée du doigt pour son rôle dans le déclin des populations de pollinisateurs. A juste titre?
L’intensification agricole est en effet l’une des causes principales, et en particulier le recours aux insecticides, dont les néonicotinoïdes, qui représentent à peu près 40% des ventes mondiales. Les pesticides n’ont pas nécessairement un impact létal direct sur les insectes. Même à faible dose, ils peuvent toutefois altérer des comportements vitaux d’apprentissage, de communication ou d’hygiène. Des régulations existent au niveau européen pour conduire à la suppression des néonicotinoïdes. Mais la Belgique passe outre, en accordant des dérogations pour la culture de betteraves. Les monocultures entraînent par ailleurs une homogénéisation des paysages. On y retrouve beaucoup moins de lisières fleuries et de haies.
Quelles sont les autres causes?
L’artificialisation des milieux entraîne un recul des surfaces naturelles ou semi-naturelles. Il y a ainsi moins de ressources alimentaires disponibles pour les insectes et de possibilités de nidification. En particulier pour les abeilles sauvages, dont 70% des espèces nichent dans le sol. A cela s’ajoute le problème de la fragmentation des territoires. Même quand des poches de nature subsistent, elles ne sont pas forcément connectées entre elles. Or, l’aire de butinage des abeilles sauvages s’étend sur maximum quelques centaines de mètres. Les abeilles domestiques, elles, peuvent aller jusqu’à 3 kilomètres. La fragmentation peut avoir un impact sur la variété de leur alimentation, sur le brassage génétique et, dès lors, sur les capacités futures d’adaptation des espèces.
Votre asbl met en lumière la concurrence problématique que se livrent les abeilles sauvages et domestiques…
C’est un vrai problème, que l’on rencontre surtout dans les villes. Aujourd’hui, les gens savent qu’il y a un problème avec les abeilles. Pour tenter de les aider, beaucoup proposent alors de placer une ruche dans leur jardin. Or, faire cela n’aide pas du tout la biodiversité. C’est un peu comme si on mettait des poules pour aider les oiseaux: on ne parle pas de la même chose. Il y a quelques années, un article scientifique indiquait qu’au-delà de trois ruches par kilomètre carré, on risquait d’avoir un impact négatif sur les communautés d’espèces sauvages. Malheureusement, nous n’avons pas de données précises, mais on estime qu’il existe entre 500 et 1 000 ruches à Bruxelles. Le problème, c’est que le lobby des apiculteurs fait tout pour ne pas réduire l’activité.
En quoi cette concurrence est-elle problématique?
Il y a d’une part un risque accru de transmission de virus entre espèces, et d’autre part un problème d’accès aux ressources. Une ruche d’abeilles domestiques compte environ 50 000 individus au plus fort de la saison. Les abeilles sauvages, elles, ne dépendent que d’elles-mêmes pour assurer leur subsistance et butinent dans une aire beaucoup plus restreinte. Même si les abeilles domestiques butinent essentiellement sur les arbres, un effet de ratissage peut se produire sur les plantes herbacées aux alentours qui, elles, sont consommées par les abeilles sauvages.
Pour enrayer le déclin des populations de pollinisateurs, les jardins peuvent-ils jouer un rôle?
Chacun peut agir en arrêtant les pesticides, en mettant des fleurs diversifiées, en gardant des zones de nature dans son jardin et en y plaçant un talus, un tas de sable, des bûches percées ou des tiges creuses. Mais il y a aussi une responsabilité des pouvoirs publics. Ils doivent développer une stratégie ambitieuse pour préserver les pollinisateurs. Je suis favorable à une apiculture amateure. En revanche, dans une ville comme Bruxelles, il n’y a pas de place pour de l’apiculture professionnelle ou du placement de ruches. Actuellement, aucune abeille n’est sous statut de protection. En juillet 2017, l’ex-ministre de l’Environnement, Céline Fremault, avait annoncé une stratégie en ce sens. Nous sommes en 2021 et nous n’avons toujours rien. Même si son successeur, Alain Maron, prend position, je crains que le gouvernement bruxellois se contente de faire un catalogue de bonnes intentions. Dans les campagnes, une évolution des pratiques agricoles est tout aussi indispensable.
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