En images: en Inde, la flore menacée des Western Ghats dotée d’un « camp de réfugiés »
Depuis cinquante ans, le Gurukula Botanical Sanctuary, niché dans les Western Ghats, chaîne montagneuse du sud de l’Inde, agit comme « un camp de réfugiés » où des milliers d’espèces végétales menacées d’extinction par la déforestation, la pollution et le changement climatique sont recueillies et sauvées in extremis.
La mousson tire à sa fin dans les Western Ghats, dont les montagnes, classées au patrimoine mondial de l’Unesco, captent les nuages et redistribuent les pluies nécessaires à l’écosystème des forêts. Les flots de la rivière bordant le Gurukula Botanical Sanctuary, dans le district de Wayanad, sont encore rageurs.
« Gurukula » – expression utilisée en Inde pour désigner un lieu de retraite où un gourou (maître) dispense un enseignement-, a été choisie par Wolfgang Theuerkauf, un Allemand devenu citoyen indien, lorsqu’il a fondé ce sanctuaire sur trois hectares de forêt primaire en 1971.
Depuis, trois générations de « jardinières de l’écosystème forestier », femmes des tribus et des villages à l’entour, aidées par des botanistes, s’y sont succédé pour secourir des milliers d’espèces végétales. « La forêt est notre gourou disait Wolfgang », décédé il y a sept ans, raconte à l’AFP Suprabha Seshan, 55 ans, une des conservatrices du sanctuaire qui s’étend désormais sur 30 hectares.
Gurukula conserve aujourd’hui entre 30 et 40% de la flore endémique des Western Ghats, en plus de centaines d’espèces d’arbres et de plantes. « Un vaste rassemblement pour un seul et même endroit », souligne-t-elle, « unique au monde ». Les Western Ghats abritent au moins 325 espèces de flore, de faune, d’oiseaux, d’amphibiens, de reptiles et de poissons menacées au niveau mondial, mais pour l’Union internationale pour la conservation de la nature les perspectives y sont « très préoccupantes ».
« La civilisation est arrivée »
Quand Suprabha s’est installée ici, il y a 28 ans, « le plastique était encore étranger à notre culture », se souvient-elle, puis un jour Wolfgang a repêché un premier sac plastique dans la rivière : la civilisation est arrivée fut son seul commentaire ».
La forêt tropicale, abritant le sanctuaire, semble vrombir tant la vie y est intense. La terre rouge ferreuse, gorgée d’eau et d’avides sangsues, est parsemée de mousses phosphorescentes. Une multitude de fleurs et de plantes s’épanouissent sous les pierres et les arbres majestueux, le long des troncs et des branches.
Certaines de ces espèces endémiques, telles que les Impatiens clavata, Ceropegia omissa,Asplenium crinicaule, sont plus ou moins vulnérables à la température, aux fluctuations de l’humidité, à la perte de leur habitat. « Les petites plantes des Western Ghats sont très sensibles, comme les grenouilles et certains champignons », explique l’experte, « plus le climat change, plus leurs stratégies de vie reproductive doivent s’efforcer de s’adapter à ces variations de température ou de précipitations. »
« En soins intensifs »
« Quand 93% (du biome) a disparu, l’holocauste a déjà eu lieu », poursuit-elle, « nous en sommes-là, à essayer de sauver tout ce qui est possible ». Les espèces végétales sont ici des « réfugiées » survivant « en soins intensifs » avant d’être réintroduites dans leur milieu naturel. Les conditions nécessaires à leur développement, sans apport de technologies ni de produits chimiques, y sont recrées. C’est le principe de la conservation ex-situ qui s’impose « quand commence l’érosion des espèces, que la sixième extinction de masse est en cours », ajoute Suprabha.
Vêtements bigarrés, cheveux noués sous des foulards, toutes chaussées de grandes bottes en caoutchouc pour se protéger des morsures de serpents comme le redoutable king cobra, et des sangsues, les jardinières s’affairent dans la forêt, sous les serres et les pépinières, rempotent ici, pollinisent là. D’autres tamisent le compost, collectent des graines, pulvérisent des pesticides naturels malodorants, à base d’urine de bovin.
Leur « jardinage » s’entend aussi par la pratique de « la conservation in-situ, la plus importante forme de conservation qui soit, consistant simplement à préserver l’habitat naturel tel qu’il est, où qu’il se trouve », insiste Suprabha.
« Je souffre quand la forêt meurt »
Laly Joseph, conservatrice, née dans ces montagnes, orchestre les tâches quotidiennes depuis plus de 25 ans, invente des systèmes simples reproduisant les conditions propres à chaque espèce scrupuleusement inventoriée. Elle n’est jamais plus satisfaite qu’au regard d’une espèce rare s’épanouissant de nouveau dans la forêt, à l’instar de cette impatiens jerdoniae aux petites fleurs rouge et jaune, greffée sur les hauteurs d’un arbre, trois ans auparavant.
« Elle est heureuse ici », murmure la quinquagénaire à la chevelure grisonnante, dont les traits graves soudain s’illuminent d’une joie enfantine. « Ces plantes poussent sur les troncs d’arbre, quand elles fleurissent, s’il ne pleut pas, elles se fanent, ne peuvent pas polliniser, ne donnent pas de graines, c’est ainsi que l’on perd des espèces », ajoute-t-elle.
Laly n’a de cesse d’arpenter les Western Ghats pour recueillir des espèces en souffrance et surveiller la réadaptation de ses protégées jusqu’à leur « prolifération » signant la réussite du sauvetage. « J’ai besoin (de les sauver) du changement climatique », dit-elle simplement, « je souffre quand un arbre tombe, quand la forêt tropicale meurt. »
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