Des légumes rustiques relancés grâce à la mémoire russe des semences
Les « haricots de Lyon » et le chou « quintal d’Auvergne » doivent une fière chandelle au botaniste russe Nikolaï Vavilov. Disparues pendant des décennies, des graines de ces vieux légumes français rustiques et résistants ont été retrouvées dans la plus ancienne banque de semences du monde: à Saint Petersbourg, en Russie.
Dans une semaine exactement, le 11 avril, le vénérable Institut Vavilov de Saint-Petersbourg, patrimoine vivant du végétal mondial, ouvrira près de Lyon sa première station de conservation et de multiplication de semences hors de Russie, avec des partenaires français.
L’enjeu, c’est de « développer au maximum la biodiversité cultivée », de manière à repérer les plantes résistantes à la sécheresse, aux maladies, comme le fait l’Institut Vavilov en collectionnant les végétaux du monde entier depuis 1894, explique à l’AFP Benjamin Canon, du fonds pour la diversité biologique De Natura, coordinateur du projet, qui réunit entreprises, associations, collectivités et fondations du Crédit agricole.
Au total, Vavilov conserve et reproduit quelque 350.000 variétés de graines. L’institut redistribue gratuitement ce patrimoine génétique fruitier ou légumier, y compris dans les lieux d’origine d’où il avait parfois disparu. Le chou quintal, délicieux dans la potée auvergnate, a ainsi été réintroduit l’automne dernier en Haute-Loire.
La station française sera lancée à Charly près de Lyon sur quatre hectares sécurisés. Pour l’occasion, trois variétés seront solennellement semées (en pot): un maïs du 17e siècle, le maïs de Bresse, un tournesol russe à plusieurs tiges et plusieurs fleurs, très mellifère, et un haricot grimpant.
Les semenciers ont « oublié la diversité »
« Nous avons choisi des variétés résistantes aux maladies, qui attirent les insectes auxiliaires », (protègent l’écosystème contre les ravageurs), explique à l’AFP Stéphane Crozat, ethno-botaniste ex-CNRS, qui a lancé l’association Centre de Ressources de Botanique Appliquée (CRBA) à Lyon, responsable scientifique du projet. Certaines variétés ont été retrouvées dans le Caucase, préservées et multipliées dans des installations Vavilov.
Le budget de la future station Vavilov française porte sur 400.000 euros par an, comprenant un centre de documentation, une pépinière et une boutique. Le projet prévoit aussi le lancement de 15 jardins connectés entre eux, dans différentes villes de France, pour montrer au public et partager la biodiversité, pour un budget de 300.000 euros.
A elles seules, quatre fondations de mécénat du Crédit Agricole vont apporter 100.000 euros par an pendant trois ans au projet, indique à l’AFP Virginie Percevaux, déléguée générale de l’une des quatre, « Solidarité et développement ».
Le reste vient des collectivités locales et des quatre paysagistes qui ont fondé de De Natura, sous forme d’heures de travail ou de matériels.
Le premier de ces jardins conservatoires avait été inauguré dès 2016 sur le site du siège du groupe Seb à Ecully. D’autres ont fleuri, comme à la Chartreuse de Neuville près du Touquet, ou sont en germe, comme à Lille.
« Le volet pédagogique autour de Vavilov est crucial », souligne à l’AFP Benoît Lambrey, directeur général de la deuxième entreprise de paysage française, Tarvel, et président de De Natura, passionné de biodiversité végétale et animale.
« La seule solution pour faire face au réchauffement climatique est de multiplier au maximum la diversité végétale et les résistances des plantes », ajoute Stéphane Crozat. Or, depuis la deuxième guerre mondiale, les semenciers et l’agriculture industrielle « ont fait exactement le contraire »: « En ne faisant progresser que les rendements, ils ont spécialisé la génétique, et oublié la diversité », relève M. Crozat.
Résultat: selon la FAO, l’agence des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture, 80% de la ressource génétique cultivée a disparu en 70 ans.
« Les végétaux n’arrivent pas à suivre le réchauffement »
Il est donc « urgent d’agir », selon M. Crozat, « dans 10 ans il sera trop tard », le changement climatique va beaucoup trop vite, les plantes ont déjà du mal à s’adapter » estime-t-il, en citant l’avancée d’un mois de la floraison de certains végétaux qu’il constate en région lyonnaise.
« L’été dernier, tous les maïs et les courgettes qui ont des besoins en eau similaires n’ont pas pu supporter la sécheresse, certains ont fleuri mais n’ont pas fructifié, les végétaux n’arrivent pas à suivre », ajoute M. Crozat.
Son association CRBA a réintroduit, avec des maraîchers de la région, des variétés de haricots locales, comme le beurre du Mont d’or, retrouvé en Russie, alors qu’il avait été « créé » par le semencier Rivoire en 1850.
Les botanistes vont maintenant comparer les espèces en les faisant pousser en France et en Russie avec les mêmes protocoles pour suivre leur comportement et leur adaptation aux maladies et au climat, et leurs qualités nutritionnelles.
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