Waterloo Sports: le conseil d’administration pouvait-il ignorer les dérives? (enquête)
Les dysfonctionnements avérés de l’asbl communale Waterloo Sports ont précipité sa liquidation. Les autorités communales se disent victimes d’un mécanisme complexe de fraude qu’elles imputent à la direction. Le conseil d’administration, très proche du pouvoir local, peut-il pour autant s’exonérer de toute responsabilité?
« Dynamique et performante. » Ainsi l’asbl Waterloo Sports se présente-t-elle sur son propre site. Depuis mars dernier et son arrêt de mort signé par les autorités communales, l’asbl n’est pourtant plus qu’une coquille vide: la convention la liant à la commune a été révoquée, sans inventaire de sortie. Ce passage express à la guillotine met fin à une suite de dysfonctionnements, infractions légales, abus de biens sociaux, écritures comptables fantasques et autres coups de canif dans le contrat de gestion relevés dans son chef.
La vaste réorganisation des activités sportives de la commune, rapidement votée, donne à penser que certains ne souhaitent pas ébruiter l’affaire ni se pencher sur les éventuelles responsabilités politiques en cause. Cette structure, qui reçoit annuellement un million d’euros de la commune, soit entre 50,8% et 55,2% de son financement, est pourtant bien une asbl communale, au sens de la loi. Elle devrait d’ailleurs, de ce fait et parce que son conseil d’administration est composé majoritairement de représentants des pouvoirs locaux, être soumise à la tutelle régionale. Or, elle ne l’est pas.
Notre responsabilité d’administrateur peut être mise en cause.
« Le mode d’organisation décidé initialement en 1977 et revu en 1998 ne correspond plus aux spécialités actuelles d’une gestion efficiente des infrastructures sportives », argue le collège communal, le 22 mars dernier, pour justifier la révocation du contrat le liant à l’asbl. « Cette révocation ne répond pas à la question du manque de suivi et de contrôle de la commune sur Waterloo Sports et laisse penser qu’on veut se débarrasser au plus vite de cette asbl et de son passé », réplique l’opposition.
Héritière d’une situation datant de l’ère du précédent bourgmestre, le MR Serge Kubla, tombé depuis lors en disgrâce, Florence Reuter insiste sur l’inspection générale qu’elle a lancée à partir de 2018, au lendemain des élections communales. Celle-ci vise à contrôler les associations les plus subventionnées par la commune, la gourmande Waterloo Sports au premier chef.
L’exercice a débouché, pour cette dernière, sur un audit cinglant de 22 pages (lire l’encadré ci-dessous), signé par le directeur financier de la commune. Le conseil d’administration en a pris connaissance le 19 février 2020 et, dès le lendemain, a licencié son directeur, en poste depuis 24 ans, pour faute grave et sans indemnités. Le directeur adjoint, licencié dans un premier temps, a finalement reçu une sanction disciplinaire et s’est vu chargé de la gestion ad interim de la structure, jusqu’en juillet. Contacté, ce dernier n’a pas répondu à nos questions, évoquant son devoir de réserve. Les salaires bruts cumulés de ces deux directeurs pesaient quelque 295 000 euros par an, avantages compris.
L’audit, dans le détail
- Les cartes de crédit: « Toutes les dépenses effectuées au moyen des deux cartes de crédit octroyées à la direction sortent du cadre réglementaire de la comptabilité. Dans les faits, le contrôle n’est effectué ni par les commissaires aux comptes ni par le trésorier de l’asbl. » En cause, des frais de restaurant non justifiés ou non autorisés, l’achat de matériel informatique, d’un vélo électrique. Le conseil d’administration n’a fixé aucune limite d’utilisation à ces cartes.
- Les cartes de carburant : aucun contrôle n’est effectué sur la consommation de carburant. Les véhicules ne disposent pas d’un carnet de route. Là encore, aucune limite n’a été déterminée pour l’utilisation des deux véhicules de fonction ni pour les véhicules de garde. Il n’y a d’ailleurs pas de décision formelle du conseil d’administration octroyant un véhicule de fonction à quiconque.
- Les avantages de toute nature : ces avantages comme la mise à disposition gratuite de matériel ne sont ni repris sur les fiches de paie ni déclarés, ce qui constitue une infraction à la législation. Les montants dus n’ont donc jamais été payés ni à la sécurité sociale ni au fisc. Les mêmes infractions aux lois sociales et fiscales sont relevées pour des GSM, ordinateurs, photocopieuse et imprimante professionnelles installées au domicile du directeur.
- Les dettes: au 1er février 2020, Waterloo Sports devait quelque 189 500 euros à la commune pour des factures de gaz et d’électricité. « L’analyse des comptes et du budget aurait dû mettre cette problématique en évidence, estime le bureau d’experts BCGFi. Les objectifs de contrôle interne n’ont pas été atteints, ce qui peut remettre ce contrôle en question, en partie tout au moins. » Un plan d’apurement a été mis en place mais il n’a été que partiellement respecté: seuls 36 000 euros ont été remboursés entre décembre 2018 et octobre 2019.
- La trésorerie et les comptes bancaires: on en compte dix-neuf, caisses comprises. Leur gestion « ne semble pas respecter les règles élémentaires de contrôle interne », dit l’audit. En 2019, ces comptes présentaient un solde total de 289 976 euros, alors que l’asbl est en dette à l’égard de la commune pour les factures d’énergie. « Une asbl financée à hauteur de plus de 50% par un pouvoir local a-t-elle vocation à accumuler autant de liquidités et à épargner sur les subsides octroyés? Non », répond l’audit. Dans le bilan de l’asbl figure une provision pour financement des investissements, à hauteur de 164 500 euros, ce qui est illégal.
- La comptabilité: les principes élémentaires des lois comptables ne sont pas respectés, épingle l’audit. Côté Horeca, on note par exemple des différences entres les ventes réalisées via les distributeurs et le cash encaissé. Les variations de stocks sont enregistrées et valorisées sur la base d’un montant aléatoire laissé à la discrétion de la direction.
- Le secteur Horeca de Waterloo Tennis: il est fortement déficitaire alors que cela ne devrait pas être le cas, assure le bureau d’expertise BCGFi. Ce déficit s’explique selon lui par « des erreurs flagrantes de gestion » et notamment la gratuité excessive des repas et boissons, par exemple au profit du président du conseil d’administration Marc Vanrysselberghe (MR), du directeur, du personnel Horeca. Le président n’a pas donné suite à nos questions.
- Les droits d’usage: Waterloo Sports a cédé son droit d’usage à plusieurs tiers via des baux ou conventions sans l’autorisation du collège communal, ce qui lui est interdit. Tous ces contrats posent problème entre autres en termes d’enregistrement et de précompte immobilier.
- Les travaux : alors que Waterloo Sports, locataire des infrastructures sportives de la commune, est tenue de demander l’autorisation de celle-ci pour tout aménagement ou tous types de travaux, elle ne l’a pas fait. Elle a ainsi aménagé des terrains de padel pour 200 000 euros et installé un nouvel éclairage pour les terrains de tennis à hauteur de 50 000 euros.
17 ans déjà
Petit retour en arrière. Le 18 juin 2019, le collège communal mandate son directeur financier faisant fonction, Christian Janssen, pour lancer un audit sur les activités de Waterloo Sports. Ce dernier connaît d’autant mieux l’asbl qu’il en a signalé certains dysfonctionnements au collège, à l’occasion d’un audit réalisé en 2003-2004. En mars 2004, le conseil d’administration avait d’ailleurs confié la gestion générale de l’asbl à l’échevin des Sports pour mieux la contrôler, la gestion journalière et de la trésorerie restant aux mains de la direction. Il y a 17 ans, donc, que la gestion de Waterloo Sports pose question.
Pour mener sa mission à bien, Christian Janssen s’appuie notamment sur l’analyse du bureau d’expertise BCGFi, qui s’est entre autres penché sur la gestion de l’Horeca par Waterloo Tennis. La réalisation de cet audit dure sept mois. Conclusion: « La gestion de l’asbl est inefficace, inefficiente et non pertinente. Des irrégularités et illégalités de gestion ont été constatées. Par manque de contrôle, l’institution s’expose à des risques financiers importants. Le manque de personnel compétent et le constat de conflits d’intérêts exposent l’institution à des risques opérationnels relativement importants. Des illégalités et irrégularités comptables ont été constatées et font partie intégrante de pratiques « douteuses » et d’une certaine culture d’entreprise installée de longue date. Les outils du contrôle interne manquent d’efficacité, de pertinence et d’efficience. En conclusion, l’outil ne fonctionne pas correctement ni sainement au regard des moyens octroyés. Il n’y a aucun contrôle ni vers le haut ni vers le bas. »
Or, la convention entre la commune et l’asbl prévoit qu’un rapport de gestion soit communiqué trimestriellement au collège échevinal. Des commissaires aux comptes sont également chargés de valider les chiffres qui leur sont transmis. « Découvrir des dysfonctionnements n’implique pas nécessairement un manque de contrôle, insiste Florence Reuter. Il arrive que les contrôles « normaux » ne suffisent pas à découvrir certains dysfonctionnements bien dissimulés. » L’audit les détaille largement, pointant en outre plusieurs infractions au contrat de gestion et à la législation sur les marchés publics. Le constat est accablant pour Waterloo Sports. « C’est une zone de non-droit« , résume un observateur de la vie politique locale. Présenté le 17 février 2020 au collège communal, cet audit n’a pas été rendu public. Parce que le directeur conteste son licenciement pour faute grave devant le tribunal du travail? « Cette affaire encore en justice implique une certaine réserve et nous devons tenir compte de l’impératif de protection de la vie privée des personnes concernées », avance la bourgmestre. Certes. Mais l’ampleur des dysfonctionnements relevés pose inévitablement la question du contrôle exercé sur cette structure. Se peut-il que tout cela ait échappé, durant autant d’années, au conseil d’administration, aux échevins de tutelle successifs, aux commissaires aux comptes?
« Certains faits sont anciens et d’autres très récents mais pour diverses raisons, l’ampleur des dysfonctionnements n’était pas connue et n’aurait pu l’être avant cet audit qui a pris des mois et a mobilisé des ressources considérables, affirme Florence Reuter. Le contrôle réalisé par les commissaires aux comptes est loin d’être aussi poussé que l’audit. L’opacité de la structure et des opérations rendait presque impossible la détection de certaines pratiques dans le cadre d’un contrôle normal. C’était d’ailleurs le but », ajoute-t-elle, évoquant à demi-mot un système pensé pour échapper à tout contrôle. Le directeur financier Christian Janssen n’a pas souhaité répondre à nos questions. « Il ne m’appartient pas de discuter de mon rapport d’audit avec des personnes étrangères à notre organisme. »
L’opacité de la structure et des opérations rendait presque impossible la détection de certaines pratiques. C’était d’ailleurs le but.
Mais à quoi servent, alors, les organes de contrôle? Quel est l’intérêt d’un conseil d’administration et d’un commissaire aux comptes? « Les rapports d’audit ne pointent pas des problèmes de contrôle par la commune ou le conseil d’administration mais des problèmes de contrôle interne, c’est-à-dire par la direction elle-même », ajoute encore Florence Reuter.
Ce n’est pas tout à fait exact. L’audit relève, par exemple, l’absence totale de cadre fixé par les administrateurs pour l’usage des cartes de crédit ou de carburant, l’accès gratuit, pour le président du conseil, à l’Horeca de Waterloo Tennis ou les importants investissements réalisés sans l’aval du conseil. Or, des terrains de padel passent rarement inaperçus… Un PV du conseil d’administration de Waterloo Sports, daté du 20 novembre 2019, est encore plus explicite: « Il y a de gros problèmes de gestion et il est temps d’y voir clair, y est-il écrit. Notre responsabilité d’administrateur peut être mise en cause. »
Sur les 19 membres du conseil d’administration, une écrasante majorité sont des libéraux. Alain Schlösser, toujours échevin aujourd’hui, a été échevin des Sports et a présidé le conseil d’administration de Waterloo Sports par le passé. Cédric Tumelaire, actuel échevin des Sports, siège de facto au conseil, de même que Célinie Leman, échevine et administratrice de l’asbl.
Ne pas porter plainte
A l’heure actuelle, ni Waterloo Sports ni la commune de Waterloo n’ont déposé plainte contre l’ancien directeur, pourtant très largement incriminé dans l’audit. « Pour diverses raisons de stratégie judiciaire », commente, sans en dire plus, Florence Reuter. Tout au plus l’asbl lui réclame-t-elle le remboursement de certaines sommes et la réparation du préjudice financier. Un préjudice non chiffré: « vu la complexité des mécanismes de fraude mis en oeuvre », il faudrait un nouvel audit, que la commune ne semble pas prête à payer. Un montant provisionnel de quelques milliers d’euros a été réclamé à ce stade. La prise de position étonne dans les rangs de l’opposition: « Si des moyens publics ont été détournés ou si des infractions aux lois ont été soulevées, il est urgent que les autorités communales se constituent partie civile dans le cadre d’une plainte au pénal pour défendre les intérêts des Waterlootois », estime ainsi l’USC (Union socialiste communale) de Waterloo.
L’audit a été transmis au parquet de Nivelles, qui confirme avoir ouvert une information judiciaire à ce sujet. Quant au directeur remercié, il conteste son licenciement pour faute grave. « Nous réclamons des indemnités compensatoires de préavis, précise son avocate Géraldine Hallet. Mon client rencontrait toutes les semaines l’échevin des Sports et une fois par mois le conseil d’administration. » Les plaidoiries se tiendront le 4 novembre prochain devant le tribunal du travail du Brabant wallon, section Nivelles.
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