Wallonie de demain, future réforme de l’Etat, stratégie monétaire européenne: le citoyen doit-il être consulté ? (débat)
Wallonie de demain, future réforme de l’Etat, stratégie monétaire européenne, tout devient matière à consultation citoyenne en ligne. Jean-Benoit met en garde contrairement à Hugues Dumont qui souhaite une participation plus grande du citoyen dans la vie politique au delà d’une plateforme de dialogue.
Jean-Benoit Pilet, politologue à l’ULB: « Gare au vernis participatif »
Le politologue Jean-Benoit Pilet (ULB) prévient: ouvrir les boîtes à idées ne suffira pas.
Demander leur avis aux citoyens, c’est nouveau et c’est tendance?
Le mouvement procède d’une dynamique plus large. Les moyens par lesquels on peut consulter et associer les citoyens à la prise de décision sans passer par les canaux classiques du vote ou des organisations intermédiaires se multiplient: commissions délibératives mixtes d’élus et de citoyens tirés au sort, budgets participatifs, mécanismes de pétitionnement en ligne, plateformes de dialogue. On assiste clairement à une accélération du phénomène et la plus grande diversification des outils de consultation en ligne n’y est pas étrangère. On observe aussi des modes à l’intérieur même de cette dynamique: à la vague des budgets participatifs a succédé l’engouement pour le tirage au sort et la consultation interactive par le biais de plateformes citoyennes.
L’illusion de la participation ne fera que nourrir les frustrations.
A force de se mettre à consulter le citoyen sur tout, ne finit-on pas par le consulter sur n’importe quoi?
Le risque existe et c’est une vraie question qui renvoie à la nécessité d’inculquer une culture de la citoyenneté plus active. En faire trop, c’est finir par risquer de réserver les consultations aux citoyens qui ont du temps à leur consacrer et d’engendrer un effet de lassitude. Avec, pour danger principal, que le citoyen en retire l’impression qu’au bout du compte cela ne sert à rien et que l’on se moque de lui. Il est donc impératif que le participant à une consultation sache précisément ce que l’on va faire de son investissement. Faire en sorte que les idées percolent, prendre bonne note des propositions envoyées et dire qu’on verra bien ce qu’on en fera, ne suffit pas. Or, on en est encore là.
Même la politique monétaire européenne est soumise à la vox populi par les banques centrales de la zone euro: est-ce bien sérieux?
On observe que des enjeux ou des thématiques complexes peuvent susciter des contributions citoyennes utiles. Au Danemark, des citoyens ont travaillé avec succès sur l’impact sur la société de l’intelligence artificielle ou des recherches sur les cellules souches. A l’échelle de l’Union européenne, le processus décisionnel est très lent et les débats s’autoalimentent à partir d’une énorme diversité d’informations mais qui, dans l’immense majorité des cas, donnent lieu à un classement vertical. Que la Banque centrale européenne se connecte à ce type de démarche a de quoi surprendre. Le plus probable est que cette consultation à laquelle participe la Banque nationale de Belgique ne donnera rien.
Wallonnes et Wallons sont également invités en ce moment à dessiner l’avenir de leur Région meurtrie par la Covid-19: et alors?
C’est un peu le type de consultation fourre-tout, la foire aux idées dépourvue des dispositifs d’encadrement adéquats. Faute de cadre clair, on ne sait pas trop ce qu’on va faire de toutes les propositions rentrées par les citoyens. Dire que c’est un premier pas, ce n’est pas faux mais c’est un peu court.
Faut-il y voir une volonté délibérée des gouvernants de mal s’y prendre?
Il faut plutôt y voir le fruit d’un compromis entre ceux, de plus en plus nombreux, qui croient sincèrement à la démocratie participative et ceux qui freinent ce processus par crainte que ne soient mises en péril les prérogatives des élus. Il y a donc forcément un peu de cynisme là-derrière. Je ne parlerais pas d’amateurisme mais plutôt d’exercice de communication. « Ça le fait », comme on dit. Cela étant, on n’est pas à l’abri d’une surprise, d’un parlementaire ou d’un ministre qui se saisirait d’une contribution citoyenne pour proposer d’en faire plus que ce à quoi on s’attendait. Mais l’exercice reposera uniquement sur la bonne volonté des gouvernants.
C’est donc ça, la démocratie participative?
Non, c’est de la démocratie consultative. On ne donne aucun pouvoir d’influence à la participation citoyenne. C’est le service minimum: on écoute le citoyen, on prend son pouls, sans plus. Les institutions tendent à éviter de soumettre à l’exercice de la démocratie participative les sujets conflictuels ou de les aborder durant des périodes conflictuelles.
Cause toujours tu m’intéresses?
Il se met à pleuvoir des consultations citoyennes à grande échelle. Aujourd’hui sur la relance de la Wallonie une fois que sera tournée la page de la Covid-19, en ce moment aussi sur la politique monétaire européenne à mener, et demain sur une prochaine réforme de l’Etat. Que faut-il espérer de ces accès de démocratie participative en ligne qui s’adressent à tout-venant?
Demander aux Belges leur avis sur une prochaine réforme de l’Etat en 2024 comme l’annonce le gouvernement fédéral, n’est-ce pas les lancer sur un terrain sensible et placer la barre très haut?
C’est effectivement vouloir sortir d’une logique qui paralyse le jeu institutionnel depuis les années 1960. L’initiative peut être très audacieuse si le dispositif va plus loin, si on laisse le temps au citoyen de délibérer dans le cadre d’une assemblée tirée au sort et que les propositions qui seront formulées seront intégrées dans le processus. Sinon, cette plateforme de dialogue ne sera rien d’autre qu’un vernis participatif qui n’engagera pas un gouvernement.
Pourquoi ne pas consulter sur l’avenir même du pays ou de sa monarchie: stop ou encore?
Cela pourrait arriver si on décide d’impliquer vraiment le citoyen. Le grand nombre de demandes qui s’exprimeront dans le cadre de la plateforme de dialogue sur le fédéralisme n’auront rien à voir avec la question de la répartition des compétences mais porteront plutôt sur le cumul des mandats, la limitation du nombre d’élus, etc. Tous les partis seront-ils alors prêts à laisser tomber leurs tabous?
L’appétit risque de venir en mangeant. Pourra-t-on encore refuser aux citoyens de se prononcer sur un enjeu ou une matière touchant aux droits de l’homme, par exemple?
Le mécanisme de démocratie participative devrait pouvoir aller au bout de sa logique. Mais la participation citoyenne devra être bien consciente que la souveraineté populaire a ses limites et devra accepter que sa légitimité cohabite avec la légitimité d’autres acteurs comme les cours et tribunaux. Notons aussi que nombre de citoyens ne sont pas demandeurs de ce type de participation en estimant que ce n’est pas leur rôle mais bien celui des élus.
Au bout de la démocratie citoyenne, n’est-ce pas une grosse désillusion qui se profile?
C’est pourquoi il vaut mieux limiter le nombre de consultations citoyennes mais leur donner un cadre clair, poser des balises et fixer leurs conséquences bien précises. Plutôt que mal le faire, mieux vaut ne pas le faire. Car l’illusion de la participation ne fera que nourrir les frustrations, alimenter le sentiment de ne pas être pris en compte et le discours de rejet des élites.
Hugues Dumon, constitutionnaliste à l’USLB: « Impliquer le citoyen dans le divorce ou la reconstruction du pays »
Belgique, stop ou encore? Pour le constitutionnaliste Hugues Dumont (Facultés Saint-Louis), la question doit être tranchée et engager les citoyens. Bien au-delà d’une simple plateforme de dialogue sur l’avenir du fédéralisme.
Les gouvernants résistent de moins en moins à l’appel citoyen à être consulté. Engouement durable ou effet de mode par définition passager?
Attention à ne pas tout amalgamer dans cette montée en puissance de la démocratie participative. Avec ce type de consultations directes sans passer par des interlocuteurs sociaux ou des représentants citoyens, on se situe plutôt dans le registre de l’enquête publique où l’on soumet un projet à la réaction des gens qui y ont un intérêt potentiel. On donne la parole au quidam, éventuellement dépourvu de connaissances particulières sur le thème qui lui est proposé, qui a ses états d’humeur pertinents ou non, et qui est placé sur le même pied que les élus, les représentants d’un secteur ou encore les experts. Ce type de démarche n’est pas dénué d’intérêt mais ne représente certainement pas le Graal. Car la démocratie participative, ce n’est pas seulement mettre sur le même pied chaque individu, c’est aussi créer des collectifs.
Il faut écarter le risque que la boîte à idées ne débouche sur des propositions qui seraient aussitôt décrétées hors-piste.
Consulter en ligne sur une grande échelle, c’est un peu la solution de facilité?
Avant de se précipiter dans une multiplication des formules de démocratie participative, je pense qu’il faut partir de la crise de confiance envers la démocratie représentative, crise très pré- occupante puisqu’elle se nourrit d’une méfiance exacerbée envers la « classe politique », cette formule que je trouve détestable par sa référence abusive à un bloc. Il serait bon d’enseigner au public les vertus incontournables de la démocratie représentative, quoi qu’on en dise et qu’on en pense.
Mais le citoyen ne se satisfait apparemment plus de cette démocratie représentative…
C’est pourquoi contraindre les élus à délibérer et à argumenter avec des citoyens est une bonne chose. Dans ce cas, le processus de démocratie délibérative et aléatoire parce que fondé sur la sélection de citoyens par un tirage au sort qui veille à la plus grande représentativité possible de la population me paraît autrement plus prometteur. L’initiative lancée en Communauté germanophone (NDLR: un conseil citoyen permanent) semble très convaincante.
« Votre avis compte! » est le leitmotiv de ces mains tendues aux citoyens par le biais de consultations en ligne. Peut-on vraiment le croire ou faut-il parler de publicité mensongère?
Tout est dans la « prise en compte » effective des propositions qui sont avancées par les citoyens. Rien n’est pire que se cantonner à une addition d’idées émises par des individus, de les accumuler sans leur apporter une réponse collective et, ce point est essentiel, une réponse motivée. Attention donc à ne pas créer des usines à frustrations. Il ne faut pas tromper les citoyens sur la marchandise, ils doivent pouvoir comprendre dans quelle pièce ils jouent. Il faut écarter le risque que la boîte à idées ne débouche sur des propositions qui seraient aussitôt décrétées hors-piste, pour un problème de compétence du niveau de pouvoir, par exemple.
Mêler le citoyen à la réflexion sur la prochaine réforme de l’Etat, n’est-ce pas jouer avec le feu?
Les citoyens ont été jusqu’ici dépossédés de cette matière, chasse gardée des partis politiques et des mouvements sociaux. On en est arrivé à un degré de complexité institutionnelle tel que la majorité de la population est dépassée et aspire à y voir clair. Ce n’est pas parce que la thématique est complexe qu’il faut se priver de consulter les citoyens et de leur rendre la parole. Mais il faut aller bien plus en profondeur. Il faut lancer la réflexion sur l’avenir même du pays en la confiant à une assemblée constituante élue et spécialement habilitée à statuer sur ce que l’Etat belge doit devenir, à débattre de toutes les hypothèses sans tabou et à se prononcer sur toutes les voies jugées praticables et légitimes, y compris les plus radicales: préparer un divorce par l’option séparatiste ou emprunter la piste d’une reconstruction de l’Etat par un fédéralisme mature. A ce forum délibératif d’élus pourrait être adjoint une assemblée de citoyens tirés au sort. Sous réserve de ses modalités, ouvrir une plateforme de dialogue sur une prochaine réforme de l’Etat, comme l’annonce le gouvernement fédéral, ce ne sera certainement pas le nirvana mais ce sera déjà mieux que rien.
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