Voici à quoi va ressembler la réforme de l’enseignement supérieur
La réforme du décret Paysage avance en coulisse. Ceux qui planchent sur sa révision ne veulent pas de mesurettes dispatchées au cours de la législature, mais un « package » complet.
C’est la saison des résultats de la session de janvier. On entend les histoires à une réunion familiale, à un dîner entre amis, à la machine à café du boulot. Ça discute, ça calcule le nombre de crédits réussis au premier quadrimestre. Alors, combien ? Et des étudiants, à la question » à fond, hein, en seconde sess ? » répondent : » Oui, peut-être, mais non. On verra, en juin, si j’ai réussi 45 crédits. » Voilà, résumé, le piège du décret Paysage : le fantasme de réussite en n’ayant engrangé que trois quarts des cours, le solde s’ajoutant au programme de l’an prochain. Le texte décrétal imaginait des étudiants pilotes de leur parcours, ils sont surtout devenus stratèges. Des stratèges trop optimistes, qui vivent des années de galère où ils courent derrière une montagne de crédits.
Être « admis à poursuivre », ce n’est pas réussir.
Ainsi, selon les chiffres collectés par Catherine Dehon, professeure de statistique et spécialiste des questions d’enseignement à la Solvay Brussels School (ULB), 10 % des étudiants inscrits dans son université sont » déstructurés « . » Il s’agit d’étudiants qui « jonglent » entre plusieurs années. Ils ont dans leur sac à dos des cours de bac 1, de bac 2, alors qu’ils sont en bac 3 « , explique Catherine Dehon. Cet effet pervers remue toutes les universités et toutes les hautes écoles. Toutes en dénoncent d’autres : l’allongement des études avec, comme corollaire, une hausse des coûts, des abandons plus tardifs, des conflits d’horaire ou encore l’augmentation de la charge administrative pour les personnels enseignant et administratif.
A l’usage, le décret Paysage ne tient plus la route et sa réforme est devenue une urgence. Du coup, à peine nommée ministre de l’Enseignement supérieur, en septembre dernier, Valérie Glatigny (MR) promettait de l’évaluer et de le modifier le plus rapidement possible. Dès le mois d’octobre, elle ouvrait la concertation avec les représentants de l’enseignement supérieur, recteurs d’universités, directeurs des hautes écoles, étudiants, syndicats… Ils ont tous remis leurs propositions. Depuis, le rythme s’est un peu ralenti. En coulisse, on reproche à Valérie Glatigny de tarder à bouger, de ne pas oser trancher. Ça énerve. » Je pensais que cela irait plus vite, puisque tout le monde s’accorde sur la nécessité de réviser le texte « , regrette un expert consulté par le cabinet de la ministre. L’intéressée, elle, refuse une réforme à marche forcée. L’échéance est bien là : Valérie Glatigny se donne » Pâques, au plus tard » pour lancer des réunions formelles. Et prend soin de poser les limites de l’exercice. » L’idée n’est pas de mettre le décret Paysage à la poubelle, précise-t-elle. Il faut conserver son esprit, qui repose sur la progression de l’étudiant par accumulation de crédits. » Pour autant, de solides pistes sont déjà tracées.
1. Passer avec 45 crédits en deuxième année, ce sera fini
» Le message doit être plus rapide, plus clair, plus fort : être « admis à poursuivre », ce n’est pas réussir, déclare Pierre Wolper, recteur de l’ULiège. Réussir, c’est réussir 60 crédits. » Si tout le monde soutient cette idée, il n’existe pas encore d’accord quant à la solution à apporter. » La question est de savoir jusqu’où mettre le curseur « , relève Vincent Blondel, recteur de l’UCLouvain. A 48 crédits ? A 50 ? Des experts soutiennent clairement une réussite à 60 crédits en bac 1, à l’image de Catherine Dehon, également interrogée par la ministre. Sinon ? » L’étudiant redouble, mais on peut imaginer qu’il suive éventuellement des cours de bac 2 « , détaille le professeur, ajoutant que de nombreux collègues académiques la rejoignent. Sondés par Le Vif/L’Express, aucun acteur ne souhaite aller si loin. » Je n’ai pas de religion sur la question, répond Valérie Glatigny. Passer avec 48 crédits, 50 ou plus… Moi, je trancherai sur ce qui fait consensus, sur le plus petit dénominateur commun. En revanche, nous devons nous concentrer sur le début du cursus. »
2. Rendre leur rôle aux jurys
Les recteurs et les directeurs veulent également rendre aux jurys de fin d’année la place qu’ils ont perdue. » Ils sont les seuls à avoir une vision globale sur le parcours de l’étudiant, son évolution, des aspects personnels… Ils sont très souvent plein de bon sens et d’indulgence, avance Vincent Blondel. Il faut donc leur redonner ce rôle, cette place que le décret leur a retirée. » L’idée, en tout cas, passe bien et la requête semble validée. Un bémol, cependant : il ne faudrait pas que les appréciations varient d’un jury à un autre, d’une faculté à une autre, voire d’un établissement à un autre. » Là, il faudra mettre des balises. Le jury devra se montrer transparent et sa décision devra être motivée « , poursuit la ministre.
3. Des tests d’orientation
Un test volontaire, non contraignant, assorti d’un plan d’accompagnement individuel, et ce à la sortie du secondaire : c’est la voie qu’a suivie Valérie Glatigny. Des experts planchent toujours sur la meilleure formule. Ce test sera disponible en ligne et sur smartphone. » Il doit être facile à manier, facilement accessible et attrayant. » Pour les intervenants sondés, l’occasion est trop belle d’engager une vraie réflexion sur les prérequis à l’entrée des études supérieures. En clair, il s’agit de lister les compétences nécessaires pour entamer un cursus supérieur : prendre des notes, avoir une méthode de travail efficace, gérer son temps de manière optimale… Il n’est donc pas question de contenus, de connaissances pour réussir dans telle ou telle formation. C’est là que le principe suscite des interrogations. Pour d’aucuns, ces futurs tests à l’entrée devraient contenir les attendus à maîtriser pour entamer un cursus. Ils critiquent aussi une évaluation non obligatoire et sans contrainte. Ainsi, Denis Dufrane, directeur de la Haute Ecole en Hainaut, estime que l’étudiant qui ne possède pas les prérequis nécessaires devrait être obligé de suivre une formation complémentaire. » On risque de voir des étudiants s’entêter alors qu’ils n’ont pas les outils, les compétences et les prérequis pour se lancer dans une filière « , réagit Denis Dufrane, qui représente les hautes écoles au sein de l’Académie de recherche et d’enseignement supérieur (Ares). A l’arrivée, on risque de se retrouver avec des propositions d’aide à la réussite fréquentées… par ceux qui n’en ont pas besoin, les meilleurs en fait. Ce que dénoncent depuis des années les établissements supérieurs.
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