Pierre Havaux
Vent du Nord de Pierre Havaux: décrochage électoral (chronique)
Enfin libre. Libre d’emprunter ou non le chemin des urnes. Rendez-vous en 2024 pour cette première sensation de délivrance, lorsque la Flandre passera à l’heure du vote non obligatoire lors de ses élections locales et provinciales. Voulu et décidé aujourd’hui par le gouvernement Jambon I (N-VA – Open VLD – CD&V), le moment est historique. Historiquement grave s’il faut en croire l’appel au sursaut lancé par voie de presse par vingt politologues flamands, issus de tous les horizons universitaires. Cette communion remarquée d’experts dans une opposition à l’abolition du devoir électoral n’a pas dissuadé la commission des Affaires intérieures du parlement flamand de franchir un pas qui n’attend plus qu’une confirmation en séance plénière.
Mieux vaudrait un u0022foert-stemmeru0022 u0026#xE0; la maison qu’un citoyen ronchon dans l’isoloir pour endiguer la montu0026#xE9;e des extru0026#xEA;mes.
Très mauvaise idée, dénonce l’opposition de gauche (Groen – Vooruit – PVDA). Pire que cela, « erreur historique », assure ce collectif d’experts en science politico-électorale. A leurs yeux, c’est un grand bond en arrière infligé à la démocratie locale, la plus proche du citoyen. Les principales victimes en seront les groupes socio-économiquement défavorisés et peu scolarisés: ceux-là ne trouveront dans cette dispense à se rendre au bureau de vote qu’un motif de s’éloigner un peu plus encore de la politique et la conviction renforcée qu’ils ne sont de toute façon pas représentés. Et les signataires du manifeste de poser la brûlante question: « Devrons-nous bientôt compter 2021 comme l’année où il fut décidé de ne plus vouloir entendre toutes les voix, et singulièrement celles des moins scolarisés? Si c’est cela que l’on veut, qu’on le dise franchement. »
La réponse est non, mille fois non, rétorquent les partis de la majorité, la N-VA, l’Open VLD et un CD&V à deux doigts de flancher sur cet enjeu tant il craint de perdre beaucoup dans cette aventure. Appuyés par d’autres experts qui se félicitent de la disparition prochaine d’une approche paternaliste de l’exercice du vote, les partenaires de la coalition au pouvoir préfèrent parler de la fin d’une hypocrisie quand pratiquer l’urne buissonnière n’est plus puni. Surtout, ils veulent y voir une saine volonté de restaurer la confiance perdue dans la politique, une salutaire incitation à ce que les partis sortent de leur zone de confort pour aller au contact, arpenter rues et marchés à la recherche de mains à serrer et d’esprits à convaincre d’aller voter.
Mieux vaudrait donc un électeur libre qu’un votant contraint pour faire reculer l’antipolitisme qui monte, qui monte. Mieux vaudrait un « foert-stemmer » à la maison qu’un citoyen ronchon dans l’isoloir pour endiguer la montée des extrêmes et empêcher le Vlaams Belang de s’abreuver à ce vote protestataire. Façon sans doute commode d’évacuer un problème ou de feindre d’y croire. Le pari est hasardeux et c’est là jouer avec le feu, relèvent les politologues réfractaires à la levée du vote obligatoire: « Si nous regardons aux Pays-Bas, en Allemagne ou en France, nous voyons que les partis radicaux obtiennent des pourcentages aussi élevés que chez nous. Ceux qui en ont vraiment assez du système sont précisément ceux qui sont le plus motivés à aller voter. » Plus que trois ans dormir avant de vérifier si les prophètes de malheur avaient eu raison de l’être en 2021.
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