Pierre Havaux
Vent du Nord de Pierre Havaux: à trop forcer sur les lobbys (chronique)
Agriculture, industrie, transports, construction, c’est toute l’économie flamande qui risque l’asphyxie si les autorités régionales ne réconcilient pas au plus vite, d’ici à l’ été de préférence, l’activité humaine et son lot de pollutions avec la nature.
Un seul permis vient à manquer et toute la Flandre est groggy. Frappée par un séisme de forte intensité qui a pour épicentre Kortessem, bourgade jusqu’ici sans histoires nichée en pays limbourgeois. A ce jour, une seule victime est pourtant à déplorer: un élevage industriel de poules qui se voit interdire de s’étendre pour cause d’émissions d’azote. Permis annulé, requête recalée: ainsi vient de trancher le Raad voor Vergunningsbetwistingen, organe régional indépendant chargé du contentieux en matière d’aménagement du territoire. Ce sera à présent tolérance zéro, fini d’espérer une extension d’activités sans présenter une analyse scientifique rigoureuse des effets du gaz invisible sur la nature et la santé, humaine ou animale. Il n’en fallait guère plus pour que la Flandre entière soit prise au piège de règles environnementales jugées en délicatesse avec les normes européennes, et se retrouve à la merci de possibles répliques.
Agriculture, industrie, transports, construction, c’est toute l’u0026#xE9;conomie flamande qui risque l’asphyxie.
Plus que fâcheux, le précédent créé par l’arrêt rendu est potentiellement catastrophique. Agriculture – responsable de 75% des émissions d’azote -, industrie, transports, construction, c’est toute l’économie flamande qui risque l’asphyxie si les autorités régionales ne réconcilient pas au plus vite, d’ici à l’ été de préférence, l’activité humaine et son lot de pollutions avec la nature. L’ insécurité juridique plane désormais sur tout projet de croissance du port d’ Anvers ou d’élargissement de la partie flamande du Ring de Bruxelles, sur d’autres chantiers d’envergure sans même parler de l’ élevage intensif en sursis. Un scénario du pire se met à circuler, celui vécu par le voisin batave, victime en 2019 d’une même « crise aiguë d’azote » qui a brutalement mis à l’arrêt des milliers de chantiers, faute de règles nationales conformes aux normes européennes. Une facture de cinq milliards, la vitesse maximale sur les autoroutes fixée à 100 km/h et un sale coup porté à l’image du pays: les Pays-Bas ont trinqué et dégustent encore pour se racheter une conduite environnementale.
Tout mais pas ça. Le gouvernement Jambon I (N-VA – CD&V – Open VLD) est au pied du mur et le ton de ses ministres en première ligne sur le front est à la dramatisation. Si l’on excepte la maîtrise du coronavirus, la Flandre ne connaît plus d’autre défi aussi grand que la prise de contrôle de l’azote, assure Zuhal Demir (N-VA), en charge de l’Environnement. Hilde Crevits (CD&V), à l’ Agriculture et à l’Economie, a pris des accents carrément churchilliens pour annoncer qu’il est sans doute venu, le temps de la sueur et des larmes, celui des mesures douloureuses, non sans faire le serment que « l’azote ne plongera personne dans la pauvreté ».
Ni le Boerenbond ni le Voka n’imaginent qu’il puisse en aller autrement. Du soutien du premier dépend depuis longtemps une partie de la survie du CD&V. Avec l’appui du second, la N-VA capitalise sur le monde de l’entreprise. Et si les gouvernements flamands précédents ont été impuissants à faire en sorte que l’industrie et l’agriculture fassent enfin bon ménage avec la santé et la nature, c’est en partie au pouvoir d’influence de ces groupes de pression qu’ils le doivent. A trop forcer sur les lobbys, on se prend une monumentale gueule de bois.
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