Carte blanche

Unia: un anti-racisme d’Etat qui pose problème

Lettre ouverte à Unia. Comment est-il possible que vous, UNIA, Institut national des droits humains, service public  » indépendant « , ne décelez aucune incitation à la haine et à la discrimination dans les caricatures suprémacistes blanches du Carnaval d’Alost, suprémacisme dans ses versions négrophobes et antisémites ?

Vos omissions négrophobes s’inscrivent dans une histoire de plus en plus longue. A Alost, silence radio à propos de personnes déguisées en membres du Ku Klux Klan. Balbutiements à propos des Blackfaces malgré les avertissements internationaux exigeant de la Belgique une politique anti-négrophobie. Vous ne condamniez pas non plus ces jeunes qui, au PukklePop, chantaient « Coupons des mains, le Congo est à nous », ni la caricature des Noirs comme « sauvages » au Carnaval d’Ath, et préférez de vagues appels à la « pédagogie » visant à expliquer à des individus que « le racisme, c’est mal ». A propos du Zwarte Piet/Père Fouettard vous déclarez qu’il n’y a pas d’incitation à de la violence, à la haine ou à la discrimination. De votre part, donc, aucune action conséquente en prise avec l’histoire (post)coloniale belge, aucun lien avec les formes de racismes institutionnels.

L’argument d’un cadre légal qui ne le permet pas n’est désormais plus crédible. En effet, expliquez-nous pourquoi alors vous vous constituez partie civile contre un homme seul qui, face à des policiers lors d’une intervention, s’énerve : « vous ne comprenez rien avec vos cerveaux de Blancs ». Sur quelle base Unia a-t-elle estimé qu’il y a à ce moment et dans ce cadre-là incitation délibérée à la haine des Blancs ?

Pourquoi tenter de faire d’un supposé « racisme anti-Blanc » un sujet de société mettant sur le même plan racismes systémiques à l’égard de ceux qui sont tous les jours objets de discriminations – de l’école à l’emploi, en passant par le logement et l’espace public – et réactions sans effets sur cet ordre racial. Misères de l’abstraction : aucune différence de principe entre satires carnavalesques envers les oppresseurs et satires carnavalesques envers les opprimés. Mais une différence pratique : poursuivre des faibles et protéger les plus forts au nom d’une loi censée protéger contre le racisme.

Préférer l’abstraction à l’analyse des recompositions du racisme et de ses effets

A propos des caricatures antisémites du carnaval d’Alost : ces incitations n’étaient pas délibérées ? Nous avons du mal à comprendre : les porteurs de projet auraient-ils fabriqué chars et déguisements sans comprendre leurs actes ? Ces lentes opérations techniques sont réfléchies, débattues, délibérées et peaufinées pendant des semaines, voire des mois. Les affects qui les traversent ont le temps de se répandre, de se déployer. Idem pour les Blackfaces. Ces opérations, ces humours racistes, entretiennent concrètement les machines négrophobes et antisémites.

Les recompositions suprémacistes blanches puisent, en Europe comme aux Etats-Unis, dans un antisémitisme décomplexé se construisant sur la qualification d‘autres plus ou moins nuisibles voire « sauvages ». Les adeptes du folklore d’Alost présentent toutes les caractéristiques d’un processus de construction du racisme. D’abord on s’amuse à dénigrer l’Autre, puis on l’insulte, on le diabolise. Tout doucement, l’Autre est (re)vu comme dangereux et son humanité peut lui être dénigrée. Les conditions de production du racisme, voire du passage à l’acte sont réunies. Les folklores contribuent à perpétuer les caractères racistes et déshumanisant de certaines traditions. Dans l’histoire de l’antisémitisme européen, les carnavals et processions religieuses ont d’ailleurs donné lieu à des pogroms anti-juifs. Quant au KKK, il était friand de « lumineuses » et sanglantes processions.

Au lieu d’un positionnement sur ces recompositions, c’est la « pédagogie » individuelle qu’UNIA semble préconiser comme principale réponse. D’une politique des effets, vous ne voulez pas. Pourtant, supposer l’absence d’effets de ces manifestations sur les marchés de l’emploi, du logement, dans les secteurs scolaires et interventions policières relève d’un geste d’une abstraction délirante.

En considérant que la loi sur l’incitation à la haine ne s’applique pas à la manifestation d’Alost, vous lui offrez l’impunité. Que ce soit par la présence de « Nation » lors de la Ducasse d’Ath cette année ou la récente attaque suprémaciste à La Haye contre un rassemblement pacifique contre la tradition du blackface en Hollande organisé par Kick Out Zwarte Piet, cette impunité, dans un climat de statu quo, semble favoriser la radicalisation des groupes d’extrême droite.

Ce manque de cohérence dans votre mission qui consiste à faire de tous les citoyens des victimes potentielles du racisme, porte un coup à votre crédibilité et renforce la perte de confiance en votre institution des personnes qui subissent la violence du racisme dans leur vie quotidienne. Pour réinstaurer une confiance minimale, il faudrait commencer par tirer les conséquences d’un cadre légal qui serait limitatif et ne vous permettrait pas d’instruire le caractère raciste et discriminatoire de pratiques telles que le Blackface ou les caricatures antisémites. Il s’agirait de prendre la mesure des effets de pratiques culturelles sur le racisme structurel, telles que le relatent les concerné.e.s à partir de leur expérience. Et d’engager une réflexion de fond sur les nécessités de redéfinir les cadres aussi bien politiques qu’analytiques, voire juridiques en la matière.

Signatures

Isabelle Stengers, philosophe (ULB)

Didier Debaise, philosophe (ULB)

Monique Mbeka Phoba, réalisatrice et productrice, conférencière décoloniale

Anne M Georgine Dibua Mbombo, coordinatrice de l’association Bakushinta

Laura Nsengiyumva, artiste

Nicole Grégoire, anthropologue

Véronique Clette-Gakuba, sociologue (ULB), Présences Noires

Marianne Van Leeuw-Koplewizcz, éditrice, Editions du Souffle

David Jamar, sociologue (UMONS)

Olivier Mukuna, journaliste et essayiste

François Makanga, comédien

Katrin Solhdju, professeure en anthropologie et sociologie (UMONS)

Aline Bosuma, Belgïk MoJaïk Asbl

Achaïsso Ambali, journaliste

Selma Benkhelifa, avocate

Benedikte Zitouni, professeure de sociologie (USL-B)

Audrey Boucksom, Belgïk MoJaïk Asbl

Jacinthe Mazzocchetti, anthropologue (UCL)

Maryam Kolly, sociologue (USL-B)

Sorana Munsya, psychologue

Andrew Crosby, chercheur Girsef (UCL) & IES (VUB)

Elsa Roland, Sciences de l’éducation (ULB)

Dileta Tati, assistante en droit (USLB)

Doumdeoudje Memde, surveillant, Présences Noires,

Justine Vleminckx, anthropologue (UCL)

Jérémine Piolat, anthropologue (UCL)

Youri Lou Vertonge, sciences politiques (USLB)

Martin Vander Elst, anthropologue (UCL)

Kinzola Masa – Fonctionnaire public / Liberation mind-ed activist

Lukamba Leslie, militante antiraciste et féministe décolonial.

Inêz Oludé da Silva, membre de la coalition d’artistes internationaux de l’Unesco pour la diffusion de l’histoire de l’Afrique

Nola Tekule

Khadija Senhadji, socio-anthropologue

Faïza Hirach,

Rachida El Baghdadi, éducatrice

Ouardia Derriche

Rudi Barnet, metteur en scène

Graziella Van Loo – Activiste dans les médias alternatifs

Joëlle Baumerder, Bruxelles

Aïda Yancy, Historienne militante, féministe antiraciste

Mouhad Reghif, Bruxelles Panthères

Nordine Saidi, Bruxelles Panthères

Daan Broos, photographe.

Guillermo Kozlowski, chargé de mission au Collectif formation-société à Bruxelles

Milady Renoir, Voisine Solidaire de la Lutte des Sans Papiers

Change Asbl

La Diaspora Chuchote

Nouvelle Voie Anticoloniale

Stop Répression

JOC Bruxelles

Le Poisson sans bicyclette

Présences Noires

Bruxelles Panthères

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