Mélanie Geelkens
Une sacrée paire de morts: « l’existence d’une mère ou d’une grand-mère raccourcie à une ‘femme de' »
Jeannine, toute son existence et donc même au-delà, dut être « la femme de Georges ». Preuve en est sur son annonce de décès où il est noté « Madame Georges Humoir » avec en tout petit en dessous indiqué « née Jeannine Ruquat ». Evidemment, l’inverse ne se produit jamais.
Elle s’appelait Georges. « Madame Georges Humoir ». Puis, en dessous, en tout petit sur l’annonce: « née Jeannine Ruquat » (1). Georges/Jeannine avait 103 ans, trois enfants, six petits-enfants, quatre arrière-petits-enfants et, visiblement, un mari. Qui, même décédé, restait apparemment plus connu qu’elle, dans le hameau du Condroz où ils vivaient. C’est pour ça que sa famille avait demandé qu’on écrive en grand et gras le nom de (feu) Monsieur. Pour qu’on identifie mieux Madame. Pour éviter les: « Jeannine Ruquat, c’est qui, ça? Connais pas » mais permettre les: « Ah oui, la femme de Georges Humoir! »
Jeannine, toute son existence et donc même au-delà, dut être « la femme de Georges ». Son avis de décès la laisse imaginer à l’ancienne, au foyer, à la cuisine, à la lessive, à la sortie de l’école, au supermarché. Au café, parfois, lorsqu’il fallait ramener l’époux ayant un peu trop picolé. Des dames comme ça, y en a plein les pages nécrologiques des journaux. Depuis qu’un lecteur l’a fait remarquer (merci à lui), on en voit presque tous les jours. « Madame Jean-Claude Sepulchre de Tollières, née Thérèse Albert », lundi dernier, dans La Libre. « Madame Luc Vander Straepen, née Gertrude Poots », le samedi précédent, dans Le Soir. « Madame Marc Gailly, née Gisèle Mazart », dans L’Avenir, deux jours plus tôt, etc.
Evidemment, l’inverse ne se produit jamais. Genre u0022Monsieur Ginette Dupont, nu0026#xE9; Hervu0026#xE9; Tartempionu0022. On n’abaisserait pas un homme u0026#xE0; u0026#xE7;a.
Leurs descendants auraient pu choisir d’écrire « Thérèse Sepulchre de Tollières » ou « Gisèle Gailly ». Accorder aux défuntes au moins leurs propres prénoms. La reconnaissance d’une existence à part entière, dont le seul élément significatif n’aurait pas été d’avoir marié un homme plus important qu’elles. En 1992, le théologien Gabriel Ringlet publiait Ces Chers Disparus. Essai sur les annonces nécrologiques (Albin Michel), basé sur l’analyse de 20.000 faire-part. Six cents pages et pas une évoquant ces épouses invisibilisées. C’étaient les us et coutumes, c’était comme ça, ça ne faisait sourciller personne. C’était – et ça reste – un souhait des nobles et des bourgeois, soucieux de transmettre le nom (masculin, bien sûr) de génération en génération. Ou des catholiques à cheval sur les traditions. Les mêmes qui, dans un passé proche, faisaient parfois s’asseoir les veuves, lors des enterrements à l’église, un rang derrière celui occupé par les mâles du clan.
Evidemment, l’inverse ne se produit jamais. Genre « Monsieur Ginette Dupont, né Hervé Tartempion ». Jamais. Même si le discret Hervé était moins connu à Houte-Si-Plou que la sacrée Ginette. Jamais. Tant pis si tous les curieux n’auront pas été mis au courant en lisant la gazette, s’il y aura moins de fleurs ou de visites au funérarium. Jamais. On n’abaisserait pas un homme à ça.
Ce truc ancien serait, à en croire les spécialistes du secteur interrogés, de moins en moins courant désormais. Ben oui, tout le monde divorce, même les cathos et les bourgeois… Rester marié quarante ans à la même personne? LOL. Puis, accessoirement, les femmes acquièrent tout de même une existence propre, elles font des études, travaillent, s’impliquent dans la société, tout ça… Le responsable des pages nécrologiques d’un quotidien, lorsqu’il avait commencé à y travailler, avait été interpellé qu’un tel procédé puisse encore être utilisé. Alors, il avait fait en sorte que les noms de jeunes filles des défuntes soient imprimés en plus gros, en plus gras. C’est déjà ça. En attendant que les familles rompent avec ce choix désuet et déshonorant pour la mémoire d’une mère, d’une grand-mère, qui fut tellement davantage qu’une simple « femme de ».
(1) Le nom des défunts a été modifié, par égard pour les familles, mais tous les exemples cités ici sont réels et récents.
Quotas, acte II?
Après les quotas dans les conseils d’administration des entreprises publiques et cotées en Bourse, place aux quotas dans leurs comités de direction? La première mesure avait été instaurée en 2011 et la place des femmes avait triplé, atteignant 26%. La seconde est une proposition de loi récente de la députée Els Van Hoof (CD&V), qui argue que cela permettrait de briser plus rapidement le plafond de verre. Chiche?
2 300
femmes font aujourd’hui partie de F(s), un collectif créé en 2018 pour instaurer une meilleure équité et représentativité dans le secteur culturel. Alors que l’heure est au renouvellement dans plusieurs théâtres de la Fédération Wallonie-Bruxelles, ce groupement avait posé sa candidature collective au Varia, à Bruxelles. Un geste politique, expliquaient-elles, le 12 novembre dans La Libre… qui a été écarté dès le premier tour. Mais qui entend servir de tremplin à d’autres candidatures féminines. Les postes de direction des théâtres sont à 70% occupés par des hommes, 20% par des femmes et 10% par une équipe mixte.
La phrase
Ça devait être le 11 novembre mais, Covid oblige, la date de sortie d’Aline, nouveau film de Valérie Lemercier inspiré de la vie de Céline Dion, a été reportée sine die. L’actrice et réalisatrice a toutefois entamé sa promo et, dans une interview au Figaro, elle racontait avoir adoré tourner son biopic au Canada. Parce que « là-bas, cela ne leur pose pas problème de travailler avec une femme […] En France, il y aura toujours un assistant dans votre dos pour dire que vous êtes folle, ou un gars qui vous expliquera que vous n’y connaissez rien en technique parce que vous êtes une femme. Les choses sont en train de changer, mais ici, nous sommes encore un peu vues comme des emmerdeuses. »
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