Une petite-fille de Léopold II chez les nazis
Dora de Saxe-Cobourg a connu les fastes de la Mitteleuropa, les conflits autour d’héritages et la ruine. Son monde s’effondre en 1918 et elle s’acoquine, vingt ans plus tard, avec le régime hitlérien.
Dora de Saxe-Cobourg, vous connaissez ? Oubliée en Belgique, mieux connue outre-Rhin – du moins jusque dans les années 1960 -, cette princesse n’a même pas sa page Wikipédia ! Petite fille de Léopold II mariée à un beau-frère du Kaiser Guillaume II, elle ne fait, certes, pas partie des figures influentes ou romanesques de l’Histoire, celles que convoitent les biographes et les producteurs de télévision. Jeune fille effacée et peu instruite, épouse soumise et futile, veuve amenée à se battre seule pour défendre ses intérêts, elle n’a eu aucun impact sur la conduite du monde, n’a pas joué un rôle culturel ou scientifique et n’a pas non plus collectionné les amants. Difficile, dès lors, de faire le poids face à sa mère, Louise de Belgique, qui a fait scandale à travers l’Europe, a dilapidé la fortune de son époux avec un officier croate, et a été déclarée folle.
Pourtant, après avoir raconté, il y a une douzaine d’années, la vie tumultueuse de Louise, fille aînée du deuxième roi des Belges, Olivier Defrance et Joseph van Loon se sont « attaqués » à sa fille, estimant qu’elle méritait, elle aussi, une biographie fouillée (La Fortune de Dora, qui sort ces jours-ci chez Racine). « Dora et sa mère sont deux femmes que tout oppose, reconnaît Defrance, auteur de plusieurs ouvrages sur le clan Cobourg. Autant Louise est élégante et dépensière, autant sa fille est mal habillée et avare. Dora est néanmoins une figure emblématique d’une époque troublée, celle de la fin des privilèges d’Ancien Régime dans toute la Mitteleuropa. »
Affrontements chez les Cobourg
Née à Vienne en 1881, la fille de la princesse Louise et de Philippe de Saxe-Cobourg a mené, dans sa jeunesse, une existence fastueuse, de Karlsbad à Spa, de la Riviera française à Philippopole (Plovdiv), de Cobourg à Primkenau. C’est dans cette cité de Basse-Silésie, aujourd’hui polonaise, que se trouve le château de son mari, Günther de Schleswig-Holstein, général dans l’armée prussienne. « L’histoire de Dora permet de se familiariser avec le monde des princes », remarque le comte Michel Didisheim, auteur de la préface. « Un univers fermé, aux moeurs très codifiées, avec sa superbe mais aussi ses mesquineries, avec son apparente bienveillance mais aussi son arrogance et ses attitudes empruntées », poursuit l’ancien chef de cabinet du prince Albert, l’actuel roi des Belges. La transmission du patrimoine, surtout de la terre, a toujours été une obsession chez les aristocrates. Elle ne se réalise pas toujours sans mal : le livre de Defrance et van Loon est truffé d’affrontements familiaux, pour ne pas dire de coups tordus.
En 1918, le bel édifice princier s’effondre avec la défaite des empires centraux et la chute de grandes monarchies. La haute aristocratie d’Europe centrale peine à surmonter ce traumatisme. La tentation sera grande, dans ce milieu, de pactiser avec les régimes autoritaires émergents. La veuve de Günther, mort en 1921, voit ainsi la plupart des membres de sa famille adhérer au nouvel ordre imposé par le mouvement national-socialiste. Selon son entourage, Dora elle-même n’aurait eu que « dégoût » pour l’idéologie hitlérienne. « Elle a tout de même fait partie d’une association, la DAG, qui soutenait le parti nazi, relève Defrance. Et, surtout, elle a demandé, en 1938, l’assistance de ce parti pour régler, à son avantage, un litige familial lié à un héritage. Josias, le cousin attaqué par la duchesse, a dû se soumettre au tribunal d’arbitrage nazi pour éviter l’internement. Un épisode peu glorieux dans la vie de Dora. Quand, au cours de mes recherches, j’ai rencontré des Cobourg, descendants des protagonistes de mon récit, j’ai bien senti qu’ils n’étaient pas très heureux à l’idée que je sorte de l’ombre leur tante procédurière ! »
Dès les années 1920-30, les affaires de succession ont brouillé la princesse avec toute sa famille. Mais les procès retentissants et les multiples démarches plus ou moins fructueuses en vue de récupérer une partie des héritages de Léopold II et de Charlotte, l’ex-impératrice du Mexique, n’arrêteront pas la chute : l’immense fortune de Dora s’évapore année après année. Ses biens sont confisqués et, lorsqu’elle fuit l’Armée rouge, en 1945, son château est dévasté et elle est totalement ruinée. Comment expliquer un tel fiasco ? « La suppression de la rente du Kaiser à la famille et la dévaluation du mark n’expliquent pas tout », estime l’historien. La princesse a-t-elle été victime d’un entourage malveillant ? C’est ce que suggère l’auteur, qui pointe du doigt son amie et confidente Erika von Sass. A la suite d’un pénible exode, la vieille duchesse de Schleswig-Holstein, qui fait pitié, est hébergée par des princes de Tour-et-Taxis. Et cela jusqu’à sa mort, en 1967, à l’âge de 86 ans. A nouveau, le cousinage, la solidarité de caste.
Olivier Rogeau Les bonnes feuilles dans Le Vif/L’Express de cette semaine.
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