Une filiale d’Ogeo Fund a payé les frais de justice de l’ex-chef cab’ de Bart De Wever
Le promoteur immobilier Land Invest Group a indirectement versé au moins 18.000 euros à l’ancien chef de cabinet de Bart De Wever afin qu’il dépose plainte, en 2016, contre Apache. Le site d’investigation flamand avait enquêté sur des décisions politiques controversées dans des dossiers immobiliers anversois liés à Land Invest, alors filiale à 50% du fonds de pension liégeois Ogeo Fund.
Indice supplémentaire de l’existence de liens étroits entre le PS liégeois et la N-VA anversoise ? Simple solidarité avec un ancien employé ? Coup fourré des actionnaires anversois « dans le dos » de leurs associés liégeois ? Probablement un peu des trois. Mais une chose est sûre : Land Invest Group (LIG), alors filiale immobilière à 50% du fonds de pension liégeois Ogeo Fund, a payé les frais de justice d’un ex-chef de cabinet de Bart De Wever pour qu’il dépose plainte contre le média d’investigation flamand en ligne Apache. Un procès intenté en octobre 2016 qui a fait pschitt en février 2018, les demandes introduites contre les journalistes ayant été jugées « non fondées » ou « irrecevables » par le tribunal de première instance d’Anvers. Aucun plaignant n’a interjeté appel.
D’après des documents que Le Vif/L’Express et Apache ont pu consulter, Land Invest Group a effectué trois paiements en faveur du cabinet d’avocats Souidi & Souidi pour un montant total de 17.998,75 euros. Cette somme a été payée via des virements de 5.293,75 euros, 7.260 euros et 5.445 euros, montants facturés par Souidi & Souidi entre septembre 2016 et janvier 2018.
2011 : la connexion Liège-Anvers
Pour bien comprendre cette affaire, il convient de rappeler que le fonds liégeois Ogeo Fund s’est associé fin 2011 à un partenaire anversois, Elba Advies, pour créer la société de promotion immobilière Land Invest Group. L’objectif d’Ogeo Fund était alors de diversifier ses placements dans la « brique » après la crise financière de 2008. Ogeo Fund est le fonds de pension de Publifin, de la Province de Liège, de la Ville de Seraing et d’une poignée d’intercommunales liégeoises. Il a été dirigé par Stéphane Moreau de sa création en juillet 2007 jusqu’à juin 2017, lorsque la FSMA a exigé sa tête. C’était juste après son exclusion du PS, fin avril, suite à son rôle central dans le scandale Publifin.
Me Omar Souidi, qui dirige le cabinet d’avocats Souidi & Souidi avec son frère Mounir, a défendu Joeri Dillen, qui fut le chef de cabinet du bourgmestre d’Anvers Bart De Wever de décembre 2012 à juillet 2014. En octobre 2016, Dillen a réclamé 100.000 euros à Apache pour un préjudice matériel et moral prétendument subi suite à la publication, par le site d’investigation, d’une série de… 17 articles entre janvier 2013 et septembre 2016. Une semaine plus tard, une deuxième plainte débarquait dans la boite aux lettres d’Apache. Elle émanait cette fois de Land Invest Group qui réclamait 250.000 euros de dommages et intérêts pour les mêmes motifs. LIG était pour sa part représenté par Me Walter Damen.
3,2 millions tombés du ciel
Les articles citant Dillen concernaient principalement le dossier « Tunnelplaats ». En décembre 2012, un ancien garage Renault, au nord de la ville, est acquis pour 5,8 millions d’euros par une société qui le revend le jour même pour 9 millions à une filiale de Land Invest Group, Tunnelplaats NV. Qui s’est partagé ces 3,2 millions d’euros de plus-value mystérieusement tombée du ciel ? Le dossier Tunnelplaats rebondit ensuite fin août 2014 quand la Ville accepte, contre l’avis de l’organe public d’urbanisme, de délivrer un permis pour construire une tour particulièrement haute sur le site. Cette dérogation aux règles urbanistiques a de quoi interpeller pour au moins deux raisons.
La première est qu’Apache avait précédemment révélé que Joeri Dillen travaillait pour Land Invest Group juste avant de devenir le chef cab’ de De Wever au lendemain du scrutin communal de 2012. De quoi mettre, pour LIG, toutes les chances de son côté pour obtenir le permis tant convoité ? Un permis controversé qui sera accordé fin août 2014, on l’a vu, soit quelques semaines seulement après le départ de Dillen du cabinet De Wever… La seconde raison est que l’opération a profité, entre autres, à Erik Van der Paal, un promoteur immobilier actionnaire d’Elba Advies (qui contrôle alors 50% de Land Invest). Mais surtout un ami proche de Bart De Wever. De quoi amplifier sérieusement les soupçons de conflits d’intérêts.
Héros du Fornuisgate
Erik Van der Paal a fait la une des journaux, en novembre 2017, lorsqu’Apache a publié une vidéo montrant que le collège communal d’Anvers, presqu’au complet, avait été chaleureusement accueilli à sa fête d’anniversaire dans le restaurant étoilé ‘t Fornuis. Erik Van der Paal est le fils de feu Rudi Van der Paal, cofondateur de la Volksunie et grand mécène des partis et mouvements nationalistes flamands de droite et d’extrême-droite.
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Les transferts d’argent au cabinet d’avocats Souidi & Souidi ont été effectués par Land Invest Project Management (LIPM), filiale de Land Invest Group (LIG) dont Erik Van der Paal était jusqu’il y a peu l’homme fort du comité de direction. En effet, LIG a été revendu par ses deux actionnaires, Elba Advies et Ogeo Fund, au groupe Cavens au cours du premier semestre 2018 (Elba cédant ses parts en janvier, Ogeo Fund en mai après une âpre bataille entre Jeff Cavens et Dominique Janne). Dans la foulée, Cavens a changé le nom de LIG (qui s’appelle désormais Urban Living Belgium) et en a cédé 20% à Immobel.
« On aide ses amis »
Le soutien financier de LIG à l’ancien chef de cabinet de Bart De Wever offre un éclairage nouveau sur l’assaut judiciaire mené contre Apache. En déposant une double plainte – une de Joeri Dillen et une de Land Invest -, on a tenté de séparer clairement le promoteur immobilier du monde politique. Bien que les faits décrits dans les deux plaintes et les demandes de dommages intérêts soient similaires, les deux avocats, Me Souidi et Me Damen, ont tout mis en oeuvre pour obtenir du tribunal que les deux affaires soient traitées séparément. Le tribunal n’a pas répondu à leur demande. Il n’a pas été dupe…
« Je n’ai rien à vous dire », réagit Joeri Dillen lorsqu’on le confronte avec les faits. « En tant que fonctionnaire [NDLR : au service d’urbanisme à la Ville d’Anvers, qu’il a quitté en novembre 2016], je n’ai jamais pu compter sur le soutien de mon employeur. Et qui dit que je n’ai pas remboursé ces frais par la suite ? » En tout cas, pas Erik Van der Paal. Ce dernier confirme que les factures du cabinet d’avocats Souidi & Souidi ont bien été payées par LIPM : « C’est normal, M. Dillen a été sali médiatiquement pour des choses qu’il n’a pas faites. On aide ses amis quand ils ont des problèmes. »
Ogeo Fund pas au courant
Van der Paal n’aurait-il pas pu aider Dillen personnellement, avec son propre argent et non celui de Land Invest ? « Non, les allégations fausses concernant M. Dillen ont été faites parce qu’il a travaillé chez Land Invest. » Puis, quand on lui demande si son partenaire Ogeo Fund savait que les frais d’avocats avaient été payés par LIPM, il change de version : « Non, Ogeo n’a pas été mis au courant parce que les montants ont été transférés sur mon compte courant d’actionnaire au moment de la vente de LIG. C’est donc moi personnellement qui ai pris les frais d’avocat en charge. » Les documents que nous avons pu consulter n’accréditent pas cette version. Interrogé ce lundi matin par courriel, Ogeo Fund n’a pas répondu à nos sollicitations.
David Leloup (Le Vif/L’Express) et Tom Cochez (Apache)
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