Une campagne pour empêcher les crachats au temps du corona
Notre dessinateur Nicolas Vadot soutient une action de sensibilisation de la ville de Liège. La pandémie de coronavirus oblige à se pencher sur un phénomène endémique : le crachat dans l’espace public. Certaines grandes villes rappellent leurs consignes à l’égard de cette incivilité notoire et menacent de sévir.
Le dessinateur Nicolas Vadot (Le Vif/L’Express, L’Echo) illustre la nouvelle campagne de la Ville de Liège visant à décourager le crachat dans l’espace public. Elle est diffusée sur la page Facebook de la Ville de Liège (25000 followers), sur Twitter et sur les écrans digitaux Decaux disséminés sur le territoire de la Cité ardente. Une campagne à la disposition de toutes les communes qui voudraient lui emboîter le pas.
« Les petites incivilités du quotidien ont un impact considérable sur la qualité de vie, justifie Laurence Comminette, membre du Conseil de la nuit de la Ville de Liège. A Liège, nous considérons que chacun peut participer à améliorer les choses. Chaque année, depuis 2014, près de 2 000 jeunes de 5e secondaire participent à des séances de sensibilisation à une fête réussie. A cette occasion, on insiste sur les ‘bons comportements’, en essayant d’amener de l’humour dans les messages de prévention. Pour les jeunes, le slogan utilisé est ‘Stop à la génération lama’. Nous n’avons évidemment rien contre Serge Lama ! Avec la crise sanitaire actuelle, il nous semblait important de faire passer à nouveau le message. Merci à Nicolas Vadot d’avoir accepté de soutenir notre projet! »
« Quelque chose à éviter »
Parce qu’on ne circule plus autant qu’avant, on n’en voit plus autant sur les trottoirs. Des mollards. Autrefois porteur de maladies contagieuses dont la très redoutée tuberculose, le crachat en rue et dans les espaces verts est revenu en force sous l’effet de l’ignorance, de nouvelles pratiques culturelles ou encore de l’exemple de sportifs expectorant avec force ce qui leur encombre la gorge.
Qu’en est-il de l’impact de ce geste sur la dissémination du coronavirus? « C’est une question à laquelle il est difficile de répondre, voire impossible, pose David Alsteens, professeur au Louvain Institute of Biomolecular Science and Technology de l’UCLouvain. Tout va dépendre des conditions. Pour que le virus qui aurait été excrété dans un crachat ne soit plus infectieux, il faut qu’il se dessèche complètement. En plus du crachat en tant que tel, cette expulsion va produire des aérosols qui pourront aussi se diffuser dans l’air. C’est en tout cas quelque chose à éviter. »
Dans la région anversoise, des automobiliste qui prétendaient être porteurs du coronavirus ont craché sur les policiers qui les contrôlaient. Un acte qui les a conduit devant le tribunal. L’occasion pour le parquet d’Anvers de rappeler « qu’il sera strict à l’égard des personnes qui toussent, éternuent ou crachent délibérément sur les policiers et d’autres citoyens pendant la crise du coronavirus. Ce comportement est hautement antisocial et totalement inacceptable. Il est passible de peines allant de trois mois à deux ans de prison et d’amendes comprises entre 400 à 2 400 euros. »
Si le crachat ne figure pas dans les messages de prévention diffusés par le Centre de crise, les règlements communaux, eux, pénalisent depuis déjà longtemps cette incivilité caractérisée. Mais les contrevenants éventuels sont-ils suffisamment au courant de cette interdiction et des fondements sanitaires sur lesquels elle repose? Le cas échéant, sont-ils effectivement sanctionnés ?
Les villes les plus exposées
Quelques exemples en Wallonie et à Bruxelles. A Verviers, les lieux de passage, dont l’emblématique entrée de la gare, obligent le piéton à slalomer entre des traces étoilées et visqueuses de l’expectoration humaine. Il est pourtant interdit de cracher en rue ou de « souiller de quelconque façon le mobilier urbain », sous peine d’une amende pouvant aller jusqu’à 350 euros. L’échevin verviétois de la Transition environnementale (Propreté), Jean-François Chefneux (CDH), énumère les obstacles au respect de cette règle : « »Qui dit constat, dit, dans l’état actuel de la législation, nécessité de flagrant délit par un agent assermenté, policier ou agent constateur. Il s’agit d’une difficulté réelle puisque, dans le contexte actuel de pression sur les ressources humaines des agents communaux (Verviers ne dispose que d’un seul agent constatateur) et du personnel de la justice au sens large, il est quasiment impossible d’appréhender pareil comportement autrement que « par hasard », au gré d’autres missions, ou dans le cadre d’opérations « coup de poing ». Actuellement, vu l’existence d’un problème de santé publique majeur, nous pouvons uniquement demander à la police d’être attentive lorsqu’elle se déplace, notamment aux alentours de la gare. » A l’étage supérieur, ça ne suit pas non plus. « Dans l’état actuel de la législation wallonne, poursuit-il, lorsqu’une sanction est finalement appliquée, elle a très peu de chance d’être effective à cause du délai entre la commission de l’infraction et l’application de la sanction, du seuil d’insaisissabilité, de l’absence de sanction autre que financière en cas de refus ou de non-exécution d’une prestation citoyenne, etc. » Un Plan local de Propreté est toutefois en cours d’élaboration, qui inclura la thématique des incivilités (crachats, jets de mégots de cigarettes, déchets sauvages …).
A l’autre bout de la Wallonie, la Ville de Mons met en pratique une politique vigoureuse de lutte contre les incivilités, intégralement reprise dans son plan zonal de sécurité. « Au-delà de ce qui peut être réalisé par nos services communaux, la zone de police investit une capacité de quatre équivalents temps plein dans une cellule mixte de lutte contre les incivilités, détaille le bourgmestre, Nicolas Martin (PS). Par ailleurs, chaque membre du personnel de la police participe à un plan d’action visant la constatation de ces comportements inciviques. »
La densité de population rend plus aigu encore la question de l’hygiène publique en temps de pandémie. Dès le 17 mars, la Ville de Bruxelles rappelait sur sa page Facebook l’amende de 50 euros qu’encourt le cracheur (se). « Le civisme de chacun.e est d’autant plus important en cette période. Ensemble, luttons contre la propagation du COVID-19. »
Depuis le début de la crise, la bourgmestre de Molenbeek (PS) et médecin généraliste, Catherine Moureaux (PS), multiplie les communications vidéo sur la page Facebook de la commune à l’enseigne de « »Molenbeek, solidaire et responsable face au coronavirus ». Le 18 mars, elle insistait ainsi sur le caractère dangereux du crachat dans l’espace public: « Le virus peut survivre trois heures en l’air », affirme-t-elle Sa vidéo a fait le buzz sur les réseaux sociaux. Molenbeek n’en est pas restée là. Le message anti-crachat est repris à l’instar d’autres « bons gestes » (ne pas s’approcher l’un de l’autre, se laver les mains, rester à la maison, désinfecter à l’eau de Javel) sur des affiches de deux mètres carrés et des affichettes placées à l’entrée des parcs.
Une occasion manquée ?
Certaines campagnes ciblées restent toutefois muettes sur la question. Ainsi, le service d’interprétariat en milieu social (SetisW) financé par la Région wallonne ignore le crachat dans sa traduction, dans les 14 langues étrangères les plus utilisées dans notre région, des gestes recommandés pour éviter d’être infecté ou propager le coronavirus. « Nous avons repris les infos sur le site infocoronavirus, explique Daniel Martin, directeur de SetisW. Nous ne sommes pas un organe de prévention, mais une association d’interprétariat en milieu social qui a pris la simple initiative de traduire pour que toutes les populations aient une info plus accessible. Si les dessins avaient mentionné le crachat, nous l’aurions repris. » (https://setisw.com/wp-content/uploads/2020/03/infocoronavirus-albanais-1.pdf)
La cellule « communication » du Centre fédéral a été saisie de la question par Le Vif/L’Express : faut-il ou non relayer un message prophylactique qui peut sembler mineur au regard des enjeux vitaux du confinement ou de l’hygiène des mains?
Interrogée par Le Vif/L’Express, Catherine Bouland, directrice du centre de recherche en santé environnementale et présidente de l’Ecole de santé publique de l’ULB, observe que, lors des Jeux olympiques de Pékin en 2008, les autorités chinoises ont déployé de grands efforts pour faire reculer la pratique du crachat. « Dans nos pays, cela ne fait plus l’objet de campagnes au niveau de l’hygiène, reconnaît-elle. Lorsque nous étions petits, c’est quelque chose qui ne se faisait pas. C’est donc acquis depuis longtemps en Europe, mais la mondialisation et les voyages ont favorisé le retour du crachat dans l’espace public. Tout l’enjeu, cependant, est de ne pas stigmatiser des personnes. Les mises en garde doivent être non-ciblées. En santé publique, les messages doivent être inclusifs. Les bourgmestres ont un rôle important à jouer par rapport à la santé de leurs administrés, via les éco-conseillers, le service de médiation, les gardiens de la paix… »
Comme le dessine Nicolas Vadot, il y aura un avant et un après-coronavirus. Egalement dans le domaine de l’hygiène publique.
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